Reportage : une tontine burkinabè

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Résonnance vécue aux entretiens de ce dossier, des femmes s’organisent au Burkina-Faso.

On est à Sancé, au Burkina Faso, un peu au Nord du Sahel, là où le château de carte de Madame la nature a un peu perdu l’équilibre ces trente dernières années. Salamata et les autres femmes du village sont sous le manguier pour une réunion de leur tontine, cette association d’entraide qui regroupe les femmes d’une communauté. On parle des problèmes ; on s’encourage ; on s’aide. Les cotisations servent à répondre aux coups du sort qui frappent le plus durement l’une ou l’autre famille de la communauté.
La tontine de Sancé existe depuis toujours et je ne suis pas loin de la vérité !
Mais aujourd’hui, on discute avec passion, acharnement. Deux clans distincts se forment. Les anciennes face à un groupe de jeunes.
C’est Salamata qui mène les jeunes. Salamata, mère de trois enfants, la trentaine, mouvements souples et allure moderne dans son pagne traditionnel, explique que les jeunes ne veulent plus d’une tontine qui ne sert qu’à secourir les plus touchés par la malchance avec les trois sous de la quête et à panser les pires blessures avec de la chaleur humaine. D’accord pour la chaleur humaine, mais elles veulent transformer la tontine en coopérative de tisserandes et de tailleurs qui gagne de l’argent et génère une économie à même de remplir un rôle de répartition, au-delà de celui d’entraide.
Les anciennes résistent. Parce que déroutées, pas l’habitude, méfiance de la nouveauté. Peut-être aussi un peu sur des schémas de pouvoir interne qu’on a peur de perdre. Bref, le théâtre humain est là, à fonctionner avec tous ses rouages bien huilés, prêt à générer de la vie, tout plein, c’en est un vrai bonheur.
Ce n’est pas la première fois qu’on en parle et qu’on s’accroche là-dessus. Les choses avancent doucement et pendant que le clan des anciennes raconte toutes ses bonnes raisons de ne rien changer, les jeunes imaginent déjà le coin où on mettra les mômes qui ne vont pas encore à l’école – pas trop près des bacs à teinture, à cause des émanations, pas trop loin des métiers à tisser.
L’école ? Non, il n’y en a pas à Sancé. Les quelques enfants qui ont eu la chance de pouvoir s’inscrire à Vato, le village là-bas, doivent faire quatre kilomètres à pied matin et soir. Les autres, la majorité, restent aux champs et autres travaux quotidiens. Mais on va la construire, l’école. Quand je demande à Faty comment elle fera le jour où elle pourra y inscrire tous ces enfants, je veux dire qui l’aidera à leur place ? Elle répond :  » J’ai neuf enfants. Aujourd’hui, trois seulement vont à l’école de Vato. Si demain il y en a une ici à Sancé, tous mes enfants y seront. Ce sera dur mais je sais que maintenant, on ne pourra rien faire sans passer par là.  »
Elle sait. Un peu parce qu’à Sancé, on entend le reste du monde dans les petits postes à ondes courtes et qu’on pressent que beaucoup de choses méritent d’être croisées. Beaucoup parce qu’elle sent, comme ses compagnes, comment s’orienter entre les coups et l’espoir.
Ici comme dans beaucoup d’endroits, les femmes sont vibrantes, juste à la lisière du quotidien et de la prédiction. Affairées aux tâches matérielles et branchées sur le cosmique, calmes et prêtes à tout. Parce qu’elles sont femmes ? Vaste débat. Hors de mes compétences en tout cas. Mais parce qu’elles ont l’âme polie à la friction de la vie, de ses nécessités dans toutes ses faces, parce qu’elles répondent de tout, tout le temps, lorsque le rôle de l’homme est plus sporadique : construire la maison, donner le cap, montrer l’exemple, défendre l’honneur et le sol, labourer, représenter son rang et son clan, être fier.
Mais les hommes écoutent les femmes parler de ce projet avec intérêt. Plusieurs d’entre eux veulent participer. Pas seulement pour construire le bâtiment mais bien pour travailler dans la coopé. On fait semblant d’avoir tout compris du premier coup. On sous-entend que tout ceci se fait sous l’autorité et la science bienveillante des hommes. Les femmes font semblant de le croire. L’ordre social est sauf. Personne ne se sent lésé, puisque personne n’est dupe, les choses se déclinant et s’égrenant selon un protocole pointilleux et sans surprise qui donne à lire un code où tout est expliqué et respecte tous.
Salamata et ses copines sont nées ici et c’est ici que leurs idées rebondissent contre les codes, pour trouver les réponses ou chercher la fuite lorsque la réponse ne veut plus rien dire. Elles savent que, femmes du Sahel, elles sont les gardiennes d’un temple façonné sur mesure pour une société où l’homme a eu beaucoup de choses à dire et à décider. Elles se sont frottées depuis longtemps à la difficulté de bouger une idée. Car le temple est aussi une prison avec ses murs faits de convenances, de pouvoir qu’on a peur de perdre, de risque de déshonneur lorsqu’on ne remplit pas son rôle. Et remettre en cause une idée, un rouage, bref, une tradition du temple, n’est-ce pas le cas où l’on trahit le plus sa mission ?
Transformer une tontine en coopérative est déjà un acte social important qui bouleverse les concepts politiques et économiques locaux. Quel degré de patience, de courage, de génie faudrait-il à toutes les Salimata qui peuplent l’Afrique pour aborder des virages plus sensibles, si l’évolution n’était le fait de tous ?

///Article N° : 173

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