« Les critères occidentaux sont-ils applicables en Afrique ? »

Entretien de Sabine Cessou avec Stephen Hobbs, artiste, commissaire, producteur

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A 29 ans, Stephen Hobbs a déjà toute une carrière derrière lui. De 1994 à 2000, il a été le commissaire de la Galerie Rembrandt van Rijn, située à l’étage du Market Theater, le principal théâtre de Johannesburg. Là, il a organisé une centaine d’expositions en six ans. De ce poste d’observation idéal, il n’a cessé de capter les métamorphoses de « Jozi », l’un des surnoms de la métropole. L’an dernier, il a fondé avec deux autres artistes (blancs), Catherine Smith et Marcus Neustetter, un collectif dénommé Trinity Session. L’objectif : s’unir pour trouver des financements et rester indépendants. A la fois consultant, commissaire et producteur, son carnet de commandes est bien rempli. La nuit, au lieu de dormir, il poursuit son travail personnel. Des portraits urbains de Johannesburg, en vidéos et photos. Il met la dernière main à une vidéo interactive qui permet de visiter la ville à partir de sa City Golf jaune fluo… Un travail baptisé A user’s guide to a dysfunctional city (Mode d’emploi d’une ville dysfonctionnelle). Une autre vidéo récente, If you can make it here (Si vous y arrivez ici) intercale des plans poétiques de Jo’burg avec des images de la version originelle de King Kong et des images d’archives d’un match de boxe où l’on peut distinguer Mohammed Ali. Souligné par une musique très douce, inspirée par la bande originale de King Kong, le tout sonne comme une déclaration d’amour pour Johannesburg.

Votre regard sur Johannesburg rejoint-il les discours blancs sur le « désastre » que représente l’africanisation du centre-ville ?
Pour moi, survivre dans la cité fait partie intégrante du travail. Ce qui m »intéresse, ce sont les aspects dysfonctionnels de la ville. Mes vidéos interprètent l »architecture. L’une d’entre elles voit la grande tour ronde de Ponte City avec l’oeil de l’un des nombreux suicidés qui se sont jetés de son sommet. J’ai laissé tomber la caméra à l’intérieur de la tour, circulaire. Il y a deux ans, j’ai obtenu la permission d’effacer toutes les signalisations sur 100 mètres de rue. Les codes, tout ce système générateur d’ordre a été retiré…Une autre vidéo porte sur des camouflages urbains, des reflets d’immeubles dans d’autres immeubles.
Avez-vous été confronté à la colère des artistes noirs, en tant que commissaire de la galerie du Market Theatre ?
Certains artistes noirs ont en réalité plus d’opportunités que les artistes blancs. Zwelethu Mthethwa, Pat Mautloa, Kay Hassan et Sandile Zulu ont autant d’opportunités que les Blancs, si ce n’est plus. Les soi-disant « artistes des townships », eux, doivent se battre au quotidien, à cause d’un manque de formation. Ils reçoivent une formation informelle dans les centres communautaires, et ils manquent d’expérience, parce que c’est très difficile pour eux de faire de l’art et d’en vivre. C’est très frustrant.
Peut-on reprocher à l’Etat de ne rien faire pour les soutenir ?
Non, il existe beaucoup de programmes pour développer l’artisanat. Mais le système dans lequel évoluent les artistes contemporains internationaux n’est pas accessible dans les townships. Beaucoup voient Zwelethu Mthethwa conduire une BMW, et beaucoup se demandent comment faire pour y arriver. Mais le fossé est tellement grand, et personne ne s’en préoccupe vraiment…
Vous sentez-vous une responsabilité personnelle pour combler ce fossé ?
J’ai passé neuf ans à enseigner, à participer à des ateliers dans diverses écoles… Il y a comme une apathie générale. Personne dans le monde de l’art n’est prêt à se battre en tant que groupe, c’est chacun pour soi. Si vous êtes un Blanc en position de pouvoir, il y a de fortes chances que les artistes noirs vous voient comme leur planche de salut. Vous avez beau leur expliquer que vous ne pouvez pas garantir le succès, que c’est dur pour les artistes blancs aussi, vous serez toujours accusé ne pas avoir aidé en fin de compte. La vraie question, pour nous, c’est de savoir si les critères occidentaux sont applicables en Afrique. Les identités religieuses, les fonctions sociales de l’art sont complètement différentes. Depuis la Renaissance, le monde occidental a tout construit autour de structures de pouvoir, du Vatican en passant par le Museum of Modern Art (Moma) de New York. Il y a un système dominant dans lequel les artistes créent et produisent, c’est presque une science. Tout se passe très différemment dans d’autres parties du monde.
L’apartheid envenime-t-il toujours la situation aujourd’hui ?
En tant qu’artiste, il faut continuer de travailler et arrêter de s’en faire à cause de tout ça. Si quelqu’un me traite de raciste, je le traite de raciste. C’est arrivé avec Sandile Zulu, dans mon bureau. Ce n’est pas la position à partir de laquelle on construira quoi que ce soit.

///Article N° : 1872

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