Jésus-Christ fait femme

Tracey Rose, vidéaste

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« Comment ces libéraux à la noix peuvent-ils prétendre que l’apartheid sera encore là pendant trente ou quarante ans ? Ils ne se rendent pas compte que ça montre à quel point ils sont prêts à ne rien faire ? A quel point ils n’en ont rien à foutre ? » A vif, Tracey Rose s’emporte vite. Sa colère monte par vagues, pour redescendre aussitôt et finir en éclats de rire. L’histoire de son pays, elle ne la porte pas seulement dans ses gènes. « L’apartheid n’a jamais empêché les gens de se voir et de baiser, j’en suis la preuve vivante« , rit-elle. Métisse, descendante d’un « European trash« , comme elle appelle son arrière-arrière grand-père écossais, elle porte aussi, à 27 ans, le poids d’un lourd passé. Des souvenirs de petite fille inscrite à l’école blanche, un univers où elle a surtout appris à se détester.
Mémorable, l’une des ses premières performances l’a vue entièrement nue et rasée, dans une cage de verre, occupée à tricoter tous les poils de son corps. En fond sonore, des témoignages de métis parlant de leur statut. Ni noire, ni blanche, Tracey Rose est femme. Lourd handicap, dans une société de « cow-boys » qu’elle trouve aussi machiste chez les Noirs que chez les Blancs. « Les femmes ont le cancer du sein parce qu’elles ont le coeur brisé« , soutient-elle. Sa dernière installation, présentée en juin 2001 à la Biennale de Venise, a montré en trois dimensions un film intitulé Ciao Bella. Jouant tous les rôles à la fois, Tracey Rose a incarné douze personnages de femmes, mi-marionnettes, mi-poupées, habillées de papiers et de sacs poubelle multicolores. Outre Lolita la jeune bombe sexuelle et Islama la musulmane en tchador, elle a aussi mis en scène Saartje Baartman, la Vénus hottentote exhibée au début du XXe siècle en Europe pour la taille de ses fesses. Et puis Mermaid l’africaine, qui s’avèrera, bien que tour à tour endormie et muette, être le personnage central de cette farce… Coupe afro et frites à la main, Mermaid assiste impassible aux mimiques, aux répliques toutes faites, aux chants puis aux derniers soubresauts de toutes les autres femmes, avant de finir elle-même dans la pose de la crucifixion, un peu de ketchup dans chaque main. Référence à une blague pleine de sauce tomate vue dans Pulp Fiction, le film de Tarantino, clin d’oeil aux copains gays et bras d’honneur à l’Afrique du Sud des églises et des stades. Non seulement Dieu est noir, mais Jésus-Christ était femme…

///Article N° : 1873

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