Faux-semblant de page blanche après l’apartheid

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« L’autobiographie de Nelson Mandela a été le plus grand best-seller de la décennie passée, écrit Shaun de Waal, critique littéraire pour l’hebdomadaire The Mail & Guardian. C’est dire l’état dans lequel se trouve l’édition sud-africaine ». Les mémoires du premier président noir de l’Afrique du Sud, Un long chemin vers la liberté, ont en effet éditées en 1994 aux Etats-Unis, pour ensuite être importées en Afrique du Sud. Pour des raisons strictement financières, un accord avait été passé par Nelson Mandela avec Little Brown & Cy, un éditeur bostonien, afin de mieux contribuer au financement de son parti, le Congrès national africain (ANC).
C’est aussi pour des considérations financières que les auteurs connus et reconnus tels que Nadine Gordimer, André Brink et John M. Coetzee publient à l’étranger – pour la plupart à Londres, chez Penguin. Les éditeurs sud-africains comme Tafelberg, David Philip ou Human & Rousseau, eux, survivent tant bien que mal. Pour la plupart, ils représentent des maisons étrangères en Afrique du Sud, chargés d’importer pour leur compte le nombre exact de livres demandés par les libraires, par petites commandes de 200 exemplaires. Très étroit, le marché du livre voit un succès commercial commencer à 3 000 unités pour les titres en anglais et plafonner à 150 000 exemplaires s’il s’agit d’ouvrages en afrikaans.
La langue la plus parlée du pays représente en effet un créneau important. Elle répond à la demande d’un public (blanc et métis) soucieux de défendre sa culture. La romancière Dalene Matthee vend beaucoup plus que n’importe quel auteur anglophone – l’anglais est parlé en famille par moins de 10 % des Sud-Africains. Pour des raisons à la fois historiques et économiques, les neuf langues africaines nationales, elles, sont très peu représentées.
Les changements qui ont balayé la vie politique sud-africaine depuis la libération de Nelson Mandela ne semblent avoir qu’effleuré le monde littéraire. D’importants ouvrages ont été écrits sur la transition, les meilleurs par le journaliste et historien Allister Sparks, auteur de The mind of South Africa (Arrow Books, 1997, Londres) et Tomorrow is another country (Struik Book Distributors, 1994, Le Cap). Ces deux dernières années, une dizaine d’essais sont sortis autour des travaux de la Commission vérité et réconciliation (TRC), une institution indépendante chargée de faire la lumière sur les violations des droits de l’homme commises pendant l’apartheid. Le plus fameux titre à avoir découlé de ce processus, The country of my skull, a été signé par la poétesse afrikaner Antjie Krogg.
Au rayon des fictions, en revanche, la production s’est avérée assez limitée. Une nouvelle génération d’auteurs noirs n’est pas venue prendre la relève. Mandla Langa (Memory of Stones, 1999) et Zakes Mda (In the heart of redness, 2000) sont les seuls à avoir rejoint au panthéon des classiques noirs Ndjabulo Ndebele (Fools and other stories, 1984), la défunte Bessie Head (A collector of treasures, 1977) et Esk’ia Mphahlele (The unbroken song, 1988).
Renommé au début des années 1990, le poète Lesego Rampolokeng lit toujours ses vers sur fond de dub ou de rap, et parle de la vie dans les townships – des quartiers noirs qui n’ont pas disparu. Poussé par le Congrès des écrivains sud-africains (Cosaw), qui a édité deux recueils, Talking Rain et Horns for Hondo, il n’est pas pour autant sorti de l’underground. Faut-il en déduire que ces auteurs sont en panne d’inspiration depuis la fin de l’ancien régime ? Est-il devenu impossible d’écrire dans l’Afrique du Sud post-apartheid ?
« C’est un mythe », répond Annari van der Merwe, directrice de Kwela Books, une maison fondée en 1994 par le groupe média afrikaner Nasper afin d’attirer les nouveaux talents multiraciaux. « La société n’est pas moins mauvaise qu’avant, il y a autant d’histoires à raconter, poursuit-elle. Au contraire, les auteurs n’ont plus la même pression, si ce n’est celle du politiquement correct« .
Si le paysage littéraire sud-africain paraît si désolé, c’est qu’il a subi de plein fouet les changements introduits après l’élection de Nelson Mandela à la présidence. Afin de niveler la rémunération des enseignants dans l’Education nationale, des salaires qui différaient en fonction de l’appartenance raciale de chacun, le gouvernement a vite consacré l’essentiel de son budget à cette transformation, au détriment des livres et autres équipements. Or, les maisons d’éditions locales ont toujours financé leurs publications littéraires – non rentables – par leurs revenus tirés de l’éducation, avec la fourniture en manuels scolaires des écoles et des bibliothèques du pays. Résultat : dès 1996, les éditeurs ont massivement licencié et gelé leurs programmes de parutions. Un léger mieux se fait ressentir depuis la nomination, en 1999, d’un nouveau ministre de l’Education nationale, Kader Asmal.
Annari van der Merwe est l’une des rares éditrices à compter, dans son catalogue, autant de talents confirmés, comme le romancier d’origine indienne Achmat Dangor, ou plus récents. Métisse, professeur de littérature à l’Université de Strathclyfe (Ecosse), Zoë Wicomb s’est notamment fait remarquer en 1987 avec You can’t get lost in Cape Town et vient de publier David’s Story, l’histoire d’un combattant anti-apartheid métis dont la relation amoureuse n’a pas résisté à la transition post-apartheid. Sello Duiker, un jeune Noir de 26 ans, est quant à lui considéré comme l’un des talents les plus prometteurs de la « nouvelle » Afrique du Sud. Après un premier roman, Thirteen Cents, il a signé cette année The quiet violence of dreams, le premier roman homosexuel noir sud-africain.

Lire également dans le dossier Afriques du Sud méconnues du numéro 4 d’Africultures les articles consacrés à Achmat Dangor, Bessie Head, Njabulo Ndebele, Ivan Vladislavic, ainsi qu’un entretien avec Gcina Mhlophe. Lire aussi : La littérature jeunesse de la « nouvelle » Afrique du Sud (Africultures 22, p.15).///Article N° : 1875

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