Les ateliers sténopé d’Oscura au Mali

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L’association Oscura, très présente en Europe, tente d’élargir son champ d’action aux autres continents, dont l’Afrique. Son objectif (cf encadré) : grâce à la magie du sténopé, réconcilier les gens avec leur lieu de vie. Elisabeth Towns, membre de l’association, revient sur les temps forts des ateliers d’Oscura au Mali.

Oscura est présent au Mali depuis 1996. L’association propose d’initier la population et plus particulièrement les jeunes en situation difficile à la pratique du sténopé, dans le cadre d’ateliers. Pour ce faire, elle s’est appuyée sur des structures comme, par exemple, ENDA Mali.
Chronique d’une journée ordinaire
L’entretien du laboratoire, les règles de politesse et d’hygiène ont été les tout premiers pas faits dans ce domaine de l’apprentissage de la photographie qui s’est très vite avéré beaucoup plus vaste que ce que l’on peut imaginer… Par exemple, bon nombre d’entre eux ne savaient pas lire l’heure. Or, l’utilisation de la cellule n’a de sens que si l’on est en mesure de savoir compter les secondes et les minutes. Il a donc fallu trouver un moyen pour leur apprendre la lecture de l’heure.
Les jeunes ont reçu le même enseignement que les adultes formés avec eux la même époque. Mais leur degré de concentration étant inversement proportionnel à leur degré de fatigue (ils vivent la nuit au rythme d’une espèce de « movida » à la malienne, propre aux jeunes qui vivent dans la rue), la durée nécessaire à une bonne assimilation des connaissances était parfois plus longue que prévue. Plus tard, leur assiduité allant croissant, les jeunes étaient au local parfois bien avant 8 heures, c’est-à-dire bien avant notre arrivée.
Très rapidement, ils ont pris l’habitude de nettoyer le local avant le début des activités et ce, à tour de rôle. Pendant ce temps, les autres faisaient la toilette ou continuaient d’écrire inlassablement leur nom sur leur cahier. Pour certains d’entre eux, c’était là une nouvelle découverte et même encore maintenant, elle continue de faire sensation.
Après le ménage, venait la mise en place des produits qui pouvait donner lieu à quelques incidents dont on ne se rendait compte qu’au moment du développement du négatif : il pouvait se retrouver fixé avant même d’avoir été développé. Il en est allé de même pour les papiers photo mis à l’envers dans la boîte ou placés sur le trou servant d’objectif.
Tout en continuant de s’émerveiller de la magie du sténopé, les jeunes ont fini par affiner leur pratique et par investir la ville avec une consigne qui, au fil du temps, était devenue une obsession : y dénicher des éléments que le regard a l’habitude de voir mais que l’œil, jusque là, ne regardait pas vraiment.
Ou alors, quand la ville était trop chaude et paraissait alors plus lointaine, voire inaccessible, ils exploraient un autre monde : celui du corps humain. Ils ont fait des pieds et des mains pour le cadrer au plus serré, pour le tordre et en faire l’objet d’aberrations morphologiques, histoire de chatouiller la susceptibilité des schémas corporels et des canons de beauté qui nous servent habituellement de référence.
Ou encore, il pouvait aussi leur arriver de s’amuser à attraper un photographe professionnel, rien que pour voir sa réaction incrédule lorsqu’on lui demande de faire une photo avec une simple boîte de lait Nido et sans viseur, de surcroît. C’est un peu comme si on lui demandait de faire une photo sans appareil photo et les yeux fermés. Autant dire que pour lui, la tâche relève, suivant la taille de son ego, soit du défi, soit d’une imposture en bonne et due forme (on a caché un appareil photo à l’intérieur de la boîte), soit d’une remise en cause à peine voilée de son professionnalisme…
Une politique de « contamination »
Les adolescents fréquentant l’atelier ne devaient pas se limiter à leur pratique personnelle. La transmission des savoirs et des savoir-faire étant l’une de nos priorités, ils ont été amenés à « éprouver » la qualité et le degré de leur assimilation des connaissances, en accueillant et en guidant les nouveaux venus dans leur initiation au sténopé. Au fil du temps, certains d’entre eux, comme Sidi Ouedraogo, Djoubel Dramera ou Papou Gaba à Mopti, sont devenus « assistants animateurs sténopé ».
La consigne était de « montrer comment faire » et non de « faire à la place de ». Ils se devaient donc de gagner en assurance et en maîtrise concernant leur pratique. Nous étions là pour les accompagner dans ce travail qui relevait du défi pour cette population peu habituée à être encouragée dans ses actions et ses tentatives et être reconnue dans ses mérites.
Cette phase de transmission des savoirs et des savoir-faire est essentielle pour plusieurs raisons :
Essentielle, parce qu’elle réveille la Faculté du Possible. La mise en confiance permet au jeune de se percevoir et de se positionner différemment. C’est, du coup, une autre image de lui qui prend forme, plus dense, plus difficile à entretenir mais plus juste parce que moins indulgente.
Essentielle aussi parce qu’elle permet d’évaluer les fragilités et les carences de notre propre transmission.
Essentielle tout autant, parce qu’elle lui permet de découvrir, sous le voile des aléas et des contingences d’une histoire chaotique, la lumière, le sourire et la beauté d’un monde toujours disposé à la réconciliation.
L’avenir : la création d’un lieu et les Rencontres de Bamako
Puisqu’il n’a toujours pas de lieu fixe, aujourd’hui, l’atelier est en résidence dans un local en construction de la troupe théâtrale Don, voisine du Comité des Jeunes pour le Développement de Sabalibougou (CJDS). Ce comité, géré par Soulémane Sidibé et Jimi Traoré, s’est occupé de l’atelier et l’a hébergé dans son école communautaire durant toutes les vacances scolaires d’été.
La création de ce lieu est au cœur des initiatives que nous aimerions développer au Mali, afin d’ouvrir le champ de l’expression artistique à des publics qui jusqu’alors n’y avaient pas eu accès. Pour ce faire, les associations locales impliquées vont élaborer un projet à la fois pédagogique, artistique et social avec les publics dont elles ont la responsabilité.
Ce lieu doit être à la fois un laboratoire photo, un espace de mise en commun des compétences, une galerie d’exposition et une salle de consultation d’ouvrages photographiques.
Il devrait être aussi un lieu d’accueil et de recherche pour des jeunes, des photographes et des éducateurs d’autres pays qui pourront s’initier au sténopé, venir parler de leur travail et disposer de chambres de passage. Nous pouvons aussi envisager d’y fabriquer des objets (cartes postales, tee-shirt, affiches ou teintures sérigraphiées) qui seront ensuite vendus sur place et dans d’autres pays.
Aujourd’hui, avec le soutien du CJDS, des jeunes comme Allassane Diarra, Gouro Diallo, Bourama Fofana, ayant organisé et réalisé l’atelier sténopé dans le quartier de Sabalibougou entre juillet et octobre 2000, souhaitent présenter leur travail aux IVe Rencontres de la Photographie Africaine d’octobre 2001.

Elisabeth Towns est membre de l’association Oscura et formatrice sur les ateliers de sténopé au Mali.
A surveiller, la sortie imminente d’un livre sur les ateliers d’Oscura au Mali : « Mali-Photo. Sténopés d’Afrique », aux éditions Snoeck Ducaju & Zoon, 120 FF.
Les images présentées ici ont été réalisées par et avec les participants aux ateliers de Bamako et de Mopti, entre 1996 et 2000.
Oscura:
Depuis bientôt dix ans Oscura travaille en ville. Plutôt Saint-Denis que Paris, Ankara qu’Istanbul, Bucarest que Brasov, Rubi que Barcelone, Oscura s’est notamment investie en périphérie de mégalopoles ou au centre de villes-fractures, villes mutantes et ouvertes à tous les scénarios, métamorphosées par la nécessité et l’imaginaire d’aujourdhui.
Là où la ville est le plus en devenir, Oscura trouve son milieu.
Parmi les membres d’Oscura de France et d’Espagne, on trouve un animateur, un architecte, un iconographe, un vendeur, une philosophe, un squatter, un historien de l’art, une cartographe, une laborantine et enfin un photographe… Identité multiple, Oscura est en dernier ressort un groupe d’habitants. Tous ont cette qualité de marcher dans les rues, de traverser un parc, de longer les rails.
Signes particuliers:
Ils portent une boîte percée d’un minuscule petit trou, le sténopé. La pratique photographique basée sur le sténopé se démarque immédiatement des idées préconçues que l’on se fait de la photographie et de son utilisation courante. Tout d’abord chacun parcourt la mystérieuse fabrication des images. On n’appuie pas sur un bouton sans connaître ni l’avant, ni l’après de la prise de vue. On fabrique son boîtier, on s’interroge sur la lumière, on trouve les bases techniques fondamentales. A la prise de vue, on ne vise pas, on est dans un champ, on n’est jamais ni complètement derrière, ni complètement devant. Pas de déclic mais des temps de pose de plusieurs minutes, parfois des heures envahies par la rêverie. Enfin dans le laboratoire, on découvre sur le négatif et le positif que l’on tire les déformations, la profondeur de champ et les mouvements de cette image cinématographique qu’est l’image sténopé. ///Article N° : 1929

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