Du courage d’être burkinabè

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La question – éminemment culturelle – du pardon se pose crûment au Burkina Faso. La Journée nationale de pardon du 30 mars dernier laisse des interrogations.

« Peuple du Burkina Faso,
En cet instant solennel, en notre qualité de Président du Faso assurant la continuité de l’Etat, nous demandons pardon et exprimons nos profonds regrets pour les tortures, les crimes, les injustices, les brimades et tous autres torts commis sur des Burkinabè par d’autres Burkinabè, agissant au nom et sous le couvert de l’Etat, de 1960 à nos jours. »

C’était à Ouagadougou, le 30 mars 2001, à 17 heures 28 mn, au stade du 4-Août. Devant une foule nombreuse, venue des 49 provinces du Burkina Faso, Sangoulé Lamizana, au titre de doyen des trois anciens chefs d’Etat présents, venait de demander pardon au peuple burkinabè pour toutes les fautes commises au cours de leur mandat. Prenant la parole après lui, deux porte-parole (une femme et un homme) des familles de victimes des crimes de sang pour raison politique, reçurent la demande de pardon. Ce fut enfin le tour de Blaise Compaoré, chef d’Etat en exercice, de prononcer son allocution ci-dessus citée. Cela se passait dans le cadre de la célébration de la journée nationale de pardon, décidée par le gouvernement, en application d’une des recommandations du Collège de sages institué par le chef de l’Etat pour rechercher les voies et moyens de sortie de la crise socio-politique où s’est enlisé le pays depuis plus de deux ans. En effet, quelque chose devait être fait pour arrêter le cycle de violence politique qui a culminé dans l’assassinat du journaliste Norbert Zongo et de ses trois compagnons à Sapouy, le 13 décembre 1998. Il est vrai que des explications sur la disparition d’un de leurs leaders, Boukari Dabo et d’un de leurs professeurs, Guillaume Sessouma, ont toujours fait l’objet des revendications des étudiants de l’université de Ouagadougou. Ils ont été aussi les tout premiers à organiser spontanément une marche de protestation contre la mort du journaliste. Mais ces réactions auraient-elles pu avoir l’impact que l’on sait si, contre l’impunité, le Collectif des organisations démocratiques de masse et des partis politiques n’avait lancé son cri de guerre sainte « Trop c’est trop » ? Il convient d’ajouter enfin que le contexte international a favorisé et accompagné d’une manière ou d’une autre ce cheminement vers la décrispation de la situation nationale.
Mais si tout le monde était d’accord pour le pardon, encore fallait-il s’entendre sur la manière. C’est à ce niveau des procédures que les clivages se sont manifestés : non pas entre les pour et les contre le pardon, mais plutôt entre ceux qui pensent que le pardon d’abord pourrait faciliter la suite des opérations dont la vérité, la justice, la réconciliation, et ceux qui adhèrent à la logique de la trilogie préconisée par le Collège de sages, à savoir vérité, justice, réconciliation. Dans ce tir à la corde où chacun tient la vérité par un bout, on pouvait quand même espérer aboutir à un terrain d’entente, si ne prédominaient les enjeux politiques de cet acte. Et comme on sait que la morale entre difficilement dans les calculs politiques prompts à faire feu de tout bois, les procès d’intention allaient si bon train que d’aucuns avaient de la peine à comprendre comment ce qui était envisagé pour unir était sur le point d’approfondir les divisions. En effet, pour une même quête d’apaisement, des Burkinabè, recueillis et en deuil, protestaient dans les cimetières où reposent certaines victimes, tandis que d’autres Burkinabè étaient au stade, tout aussi recueillis et graves. Cette triste répartition n’a pas épargné les 102 familles des victimes dont un journal de la place dit que 10% à peu près était au stade du 4-Août.
La question n’est pas d’apprécier le bien-fondé de l’attitude des uns et des autres : l’auteur de Animal farm (La ferme des animaux) disait que « tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres ». Ainsi donc même si l’on peut dire avec monseigneur Anselme Titianma Sanon (archevêque de Bobo-Dioulasso, président du Collège de sages, et maître de cérémonie du stade du 4-Août) que « Nous sommes tous coupables (intellectuels, religieux, coutumiers, etc.) pour ce que nous n’avons pas fait, mal fait ou omis de faire », certains ne sont-ils pas tout de même plus responsables que d’autres ? S’il y avait eu un accord et un temps suffisant de préparation de la journée, « il y en a à l’opposition, comme il dit, et qui auraient gagné à être au stade pour demander pardon ». En effet, dans ce rendez-vous du donner et du recevoir, n’a-t-on pas l’impression d’avoir affaire à un jeu d’écritures dans une chambre de compensation ou dans les livres d’un comptable ? Bref, ce qui fut décidé eut lieu, et à la date fixée, nonobstant les appréhensions et les réserves des uns et des autres.
On n’a pas lésiné sur les moyens pour la mobilisation des grands jours dont le Burkina maîtrise les secrets. Les médias ont fait le maximum, allant interviewer des leaders d’opinion jusque dans des contrées les plus reculées. Les groupes cibles étaient d’abord les familles des victimes, puis les communautés religieuses et coutumières, enfin quelques personnalités dont l’opinion pouvait convaincre. Des partis politiques ont été contactés, et certains d’entre eux ont pu faire des déclarations dans la presse. A défaut de pouvoir rendre l’atmosphère de gravité et de recueillement qu’impliquait l’événement, tant dans les cimetières qu’au stade, pourrait-on peut-être apprécier cette description qu’en donne l’Observateur Paalga dans sa livraison n°5371 du lundi 2 avril 2001 :
« Il faut en tout cas reconnaître une chose : d’un point de vue purement formel, la mise en scène, le rituel et l’ordonnancement de la cérémonie semblent avoir été pensés. D’un côté les représentants des trois principales confessions religieuses et ceux des autorités coutumières, soit douze personnes pour concélébrer cet office du pardon ; de l’autre, les 3 anciens chefs d’Etat et celui en exercice dans un blanc immaculé, la couleur de l’innocence et de la pureté pour quelqu’un qui a pourtant pas mal de choses à se reprocher et à se faire pardonner. Entre les deux groupes, celui des confesseurs et des confessés, les représentants de familles de victimes qui ont adhéré a cette JNP. Le « repêchage » de Monseigneur Anselme Titiama Sanon, archevêque de Bobo-Dioulasso et président du Collège de sages à qui certains auraient voulu voir confier carrément l’organisation de cette JNP, aura sans doute aussi été du meilleur effet. Et c’est en véritable maître de cérémonie, en modérateur avisé, que le prélat distribuait la parole et faisait des commentaires d’une voix pastorale. Si l’on ajoute à cela le lâcher des pigeons blancs à défaut de colombes de la paix en fin de cérémonie, l’hymne aux morts de la fanfare militaire et la minute de silence à la mémoire des disparus, ‘tous confondus mais sans être confondu’ (Mgr Sanon dixit), la poignée de main accolades en sus entre les chefs d’Etat et les familles de victimes, l’on se rend compte que les concepteurs de ce cérémonial n’ont pas négligé l’enveloppe, le contenant au détriment du contenu. »
Après le repentir, l’aveu, la promesse de réparation et la résolution de ne plus faire, avec l’aide de Dieu et les mânes des ancêtres. Les gages sont les sept engagements ci-après, pris par le chef de l’Etat devant la communauté nationale pour marquer sa bonne foi :
1. la mise en oeuvre de mesures de réparation dont la création d’un fonds d’indemnisation en faveur de toutes les familles des victimes de la violence en politique ; 2. l’érection de monuments qui seront les témoins de notre devoir de mémoire à l’égard des martyrs et des héros nationaux : 3. le traitement diligent de l’ensemble des dossiers de crimes économiques et de sang qui ont causé tant de torts à notre pays ; 4. l’institutionnalisation du 30 mars chaque année comme journée de souvenir, de promotion des droits humains et de la démocratie au Burkina Faso ; 5. la mise en place d’un comité d’éthique composé de personnalités dont la probité, l’expérience et la compétence font autorité, dans le but d’aider à la moralisation de la vie publique et sociale, notamment la lutte contre la délinquance économique et la corruption ; 6. la consolidation du dialogue avec tous les acteurs politiques et sociaux aux fins de résorber le déficit de dialogue et de communication ; 7. la mise en place d’un mécanisme de suivi des présents engagements, composé de représentants des autorités morales et spirituelles, des organismes de défense des droits humains et de la démocratie.
Voilà donc des actions qui, selon le voeu de leur initiateur, devraient, progressivement, conduire les Burkinabè à se réconcilier avec eux-mêmes.
Se réconcilier avec soi-même et avec les autres, c’est là assurément l’idéal, et il n’est pas interdit de se donner un idéal de vie, une devise : en dépit de ce que l’on sait de la réalité quotidienne, les chefs traditionnels continuent de s’en donner : naaba ceci, naaba cela. Les princes d’Eglise aussi, tout comme les Etats. Malheureusement les héritiers de ceux qui ont changé la Haute-Volta en Burkina Faso n’ont pas eu le charisme de faire de nous des Burkinabè, ces hommes intègres, dignes et courageux que sous-entend l’appellation d’origine, à tel point que se faire appeler ressortissant du pays des hommes intègres en est venu à signifier suprême auto-dérision.
Qui aurait cru qu’après les assises des tribunaux populaires de la Révolution on aurait eu tant de peine à juger des crimes économiques et à lutter contre la corruption ? La journée du 30 mars, devenant journée du souvenir, de la promotion des droits humains et de la démocratie au Burkina Faso, devrait au moins, si elle était mieux préparée, grâce à la médiation de nos historiens, sociologues et autres psychanalystes, nous permettre cette réflexion et introspection individuelle et collective dont on a tant parlé mais qu’on a peu vue. « Souviens-toi d’où je t’ai tiré », dit en substance Yahweh à son peuple. Souvenons-nous du bas-fond jusqu’où nous sommes tombés. Il fallait cette humiliation ; il fallait ce dépouillement et de nos masques et de l’arrogance de nos statuts sociaux ; il fallait notre réduction à la simple poussière, pour que nous nous rendions compte , ainsi initiés, que notre salut ne peut venir de nous-mêmes. Le chef de l’Etat, en conseil des ministres le 4 avril 2001, a donné des instructions pour la mise en oeuvre de ses 7 engagements. Le ministre Alain Yoda, président du comité national d’organisation de la journée du 30 mars, faisant le bilan de la manifestation devant la presse le 5 avril, a exprimé sa satisfaction de constater que la Journée a atteint ses objectifs. Le Collectif des organisations démocratiques de masse et des partis politiques a programmé pour le samedi 7 avril un meeting suivi d’une marche, pour confirmer sa position. Ne serait-on pas justifié à penser, comme l’homme de foi, que si Yahweh ne construit la maison, en vain les bâtisseurs, devant un tel spectacle de ruines et de gravats, continueront-ils de marteler : « plus jamais cela au Burkina Faso » ?

///Article N° : 1947

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