Une musique pour l’éducation et l’unité des Noirs

Entretien de Samy Nja Kwa avec So Kalméry

Print Friendly, PDF & Email

Avec ses frères, So Kalméry joue du brakka dès l’âge de 9 ans. A la mort de son père, en 1966, la famille s’exile en Zambie. Le jeune So intègre une chorale, puis se retrouve à 14 ans embarqué de force dans une tournée qui l’emmène au Burundi et au Kenya. Il réussit à s’enfuir au bout d’un an et forme son groupe, « Vedette Mambo » que EMI s’engage à produire. « King Melody Band », « Ujamaa » sont les noms qu’emprunte le groupe dont le répertoire se compose de reprises. De retour en Zambie, So Kalméry rencontre le groupe « The Blazes ». Il voyage entre l’Afrique et l’Europe et rencontre de nombreux musiciens, dont Papa Wemba et Koffi Olomidé, et il ouvre sa musique à d’autres cultures. Le brakka devient son étendard, confirmé avec « Bendera », son nouvel album.

Tu es originaire du Congo.
C’est un pays compliqué, que tout le monde ne connaît pas, et qui comporte aussi des liens avec l’Afrique du sud. Il y a diverses langues, moi, je parle Pemba, qui est une langue de la Zambie. Effectivement j’ai grandi au Congo. Après la mort de mon père, qui était en quelque sorte un engagé politique – il était proche de Lumumba – je me suis réfugié en Zambie avec ma famille.
Mais avant la disparition de ton père, écoutais-tu déjà de la musique ?
Oui, on écoutait tout genre de musiques, surtout le brakka. On dit que c’est comme du blues, alors que je ne savais même pas à cette époque où se trouvait l’Amérique. Alors je me dis que le brakka est peut-être l’ancêtre du blues. Le brakka est une musique noire, qui a subi les influences de toute l’Afrique, qui va de la musique de Johnny Clegg à celle d’Ali Farka Touré. Nous faisons partie de la même famille, notre musique a une histoire.
Tu as joué des musiques aussi différentes les unes que les autres, celle de Viva La Musica, au Congo, les musiques d’Afrique du Sud. Qu’est-ce que tu en retires ?
J’ai commencé à composer dès l’âge de 9 ans, je suis monté sur scène à 13 ans et j’ai fais un premier disque à 16 ans, chez EMI au Kenya, avec mon groupe. J’ai donc rencontré depuis mon jeune âge pas mal de gens, qui m’ont donné beaucoup d’énergie, comme justement Dorothy Masuka, qui a écrit la chanson « Pata Pata », interprétée par Miriam Makeba. Ce sont de gens comme ça qui m’ont influencé ; au Congo, il y a aussi Mwenda J-Bosco, des gens qui chantaient et s’accompagnaient tout seuls à la guitare. Avec Viva La Musica, c’était comme jouer avec des amis. Je me reposais à Kinshasa lorsque j’ai rencontré les autres membres du groupe (Papa Wemba, Emeneya…) qui étaient de la même génération que moi. C’était le groupe phare de l’époque qui, à son tour, après Zaïko Langa Langa, a influencé une nouvelle génération de musiciens. C’est une musique qui a connu une évolution grâce aux musiciens et j’y ai amené un groove.
Cette musique évolue, comme le brakka : on est passé des instruments traditionnels aux modernes.
La confusion est là. Je ne suis pas musicien, je me considère comme un serviteur du peuple noir, sans distinction : j’essaie d’ouvrir les voies pour le futur. Il y en a qui s’en foutent, mais je m’adresse à l’homme noir, pas seulement aux Africains, parce que le passé des Africains est écrit par les Européens et ces derniers veulent écrire leur futur. Or l’homme noir a son passé et son histoire, donc, il doit construire son avenir. Mon travail est d’y contribuer, en faisant comprendre à la jeunesse qu’on a un passé glorieux, donc un avenir. Les gens pensent qu’avant, les Noirs ne jouaient pas de la guitare. Mais c’est faux ! La guitare, les cordes ont toujours existé en Afrique. Je joue des chansons qui datent de plus de 2500 ans. Il faut retourner dans notre Histoire pour comprendre notre futur. Je joue aussi du luth. C’est un instrument africain. Pour certains, ce qui est bien n’est pas africain. Le brakka est joué avec tous ces instruments, il a évolué. Je vis dans une nouvelle époque et je fais exister le brakka par rapport à aujourd’hui, le chant aussi a évolué.
Tu y a introduis un engagement, un discours politique hérité peut-être de ton père ?
Oui, je dois dire que pour moi tout cela est très important, parce que servir son peuple demande beaucoup de travail : il faut chercher, vérifier avant de donner une information qui n’est pas toujours accessible. Donc on apprend son Histoire, celle de l’homme noir, ce qu’il a fait, et à savoir dans quelle direction aller. Il faut aussi avoir la volonté de le faire et en être digne.
Pour revenir au brakka, qu’est-ce qui le caractérise ?
Le brakka est une musique ancestrale. Mon jeu de guitare n’a rien à voir avec le jeu classique européen que beaucoup d’Africains ont aujourd’hui. Ceci montre qu’avant l’arrivée des Européens, il y avait une méthode de guitare. Nous jouons selon sept principes, c’est une question d’unité et mon rôle est de faire connaître notre histoire. Nous devons nous référer aux anciens de nos villages pour connaître l’utilité de chaque chose et notre Histoire. Ils vivent dans la tradition et n’ont pas oublié leur passé, ils n’ont aucun complexe. Et la musique brakka permet de faire évoluer l’intellect. C’est aussi une musique de danse, comme la capoeira qui en est issue. Le brakka est donc une musique ayant sept principes multipliés à l’infini. Ce qui signifie par exemple que lorsqu’on connaît les sept pas du brakka, on peut connaître à peu près toutes les danses et les rythmiques musicales qui ont des fonctions multiples (la science, la politique, la médecine…), tout est lié. Le brakka prône l’unité et permet aux Noirs de s’éduquer.

///Article N° : 1969

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Les images de l'article
So Kalméry © Julie Carretier-Cohen





Laisser un commentaire