« C’est à partir des lieux qu’on traverse qu’on crée », indiquait Emile Ollivier dans Africultures (n°16, p.50). Regarde, regarde les lions et Passages errent entre Haïti et Québec.
Construit comme une variation sur le thème de l’errance, le roman Passages mène en parallèle l’histoire de deux couples : celui de Leyda et Normand, exilés depuis de longues années au Québec, et celui du vieux Amédée et de sa femme, partis d’Haïti vers l’Amérique à bord du « Caminante », une embarcation de fortune, à la recherche d’une plus grande liberté. Les espérances d’Amédée – dont on devine facilement la déchéance, tant ce périple marin semble voué à l’échec – font écho aux désillusions de Leyda et de Normand.
Ollivier tisse ces deux histoires côte à côte, lentement, pour ne les lier que lors des tous derniers chapitres, par le biais d’Amparo, maîtresse cubaine de Normand, qui découvre les corps des naufragés du « Caminante ». Pour Amparo, l’exil revêt un autre visage. Ayant quitté l’île à l’adolescence, elle n’en a gardé que des souvenirs de jeunesse dont elle se sert pour se forger un pays mythique, plus rêvé que réel.
La découverte macabre est d’ailleurs d’autant plus douloureuse que la jeune femme avait toujours espéré faire le voyage inverse : retrouver La Havane de son enfance. Sa déception est aussi prévisible que le sort du « Caminante ». Sa relation avec Normand devient alors un refuge, un lieu d’enracinement, « un lieu sur mesure ».
L’errance est encore au cur de plusieurs nouvelles de Regarde, regarde les lions. Ces textes naviguent entre Haïti et Amériques, au gré des migrations et des exils. Chauffeur de taxi hanté par une étrange femme, tortionnaire rattrapé par un cadavre ou mystérieux entraîneur de coqs de combat – les personnages d’Ollivier sont habités par le surnaturel et le rêve, la mémoire des morts toujours présents. Ici aussi, l’imaginaire devient un échappatoire à une réalité trop violente, à une existence qui consiste à survivre.
Passages, d’Emile Ollivier. Coll. Motifs, Le Serpent à Plumes, 2001, 250 p., 45 FF.///Article N° : 1980
