Dans le nu de la vie, Récits des marais rwandais

De Jean Hatzfeld

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« Au lendemain d’une guerre, les survivants civils éprouvent un fort besoin de témoigner ; au lendemain d’un génocide au contraire, les survivants aspirent étrangement au silence. Leur repliement est troublant. » Ce livre cherche à briser le silence des rescapés du génocide rwandais, et partager leur douleur. Il prolonge ainsi La mort ne veut pas de moi (1997) de Yolande Mukagasana, témoignage d’une rescapée du génocide, citadine, infirmière-chef de son Etat. Les rescapés interrogés par Hatzfeld sont par contre majoritairement des paysans. Yolande Mukagasana s’est faite aider pour donner à son livre un statut littéraire, utilisant les techniques du roman : dialogues, jeux d’analepse, rebondissements narratifs, etc. A l’inverse, les témoignages recueillis par Jean Hatzfeld font valoir une dimension orale manifeste qui alterne avec son récit écrit dans une langue hexagonale. A la fois descriptif et poétique, il introduit les témoignages, situe le contexte d’énonciation, évoque les statuts des interviewés, leurs occupations et interrogations.
La juxtaposition des photos de Raymond Depardon aux témoignages tend à redonner un visage aux rescapés qualifiés, au moment du génocide, de cancrelats par leurs bourreaux, leur déniant ainsi toute humanité. Une sorte de premier assassinat par le langage. Ce sont des photos de l’après-génocide. Ayant sans doute assimilé la leçon de Jean Luc Godard selon laquelle la douleur n’est pas une star, Hatzfeld nous donne à voir/lire un texte pudique.
En choisissant de ne recueillir que les témoignages des rescapés tutsis, Hatzfeld veut rendre justice au déséquilibre de l’information, les journalistes ayant plutôt couvert la fuite des Hutus, ce qui ne fut pas sans entraîner « une confusion dans les esprits occidentaux au point d’oublier quasiment les rescapés du génocide, encore hagards dans la brousse, pour n’identifier comme les victimes que les fuyards hutus de cet exode sur les routes et dans les camps du Congo » (p. 172) Ecrire sur le génocide implique est ainsi un engagement ou tout du moins un choix éthique.
Comparés aux fictions réalisées dans le cadre de l’opération : « Rwanda, écrire par devoir de mémoire » (Fest’Africa 2000) ces témoignages tranchent par leur nudité, tant l’horreur est décrite avec des mots simples et dénote un pessimisme paralysant. Ils permettent de saisir comment le génocide a été perpétré, d’en comprendre les procédures d’exterminations, de déterminer les rôles et les statuts de ceux qui le conçurent et la manière dont les victimes ont été traquées et massacrées ; et par là, ils nous éclairent sur la singularité du génocide rwandais. Singularité qui se situe d’abord dans sa proximité (les Tutsi ont été massacrés par leurs voisins), dans sa durée (environ six semaines) et aussi dans le fait qu’il a eu lieu en direct pour reprendre l’expression de Rony Brauman dans Devant le mal. Un génocide en direct, (Arléa, 1994). Unités de lieu, de temps et d’action qui font du génocide rwandais une singulière tragédie contemporaine.

Dans le nu de la vie, Récits des marais rwandais, de Jean Hatzfeld, Seuil, coll. Fiction &Cie, Paris, 2000, 233 pages, 115 F.///Article N° : 1982

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