L’art ethnique, increvable moteur artistique

Exposition les Wodaabé Peuls du Niger, Moba Art Gallery, Bruxelles, nov-déc. 2001

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A l’heure où l’art africain traditionnel, qu’il soit appelé tribal, primitif ou premier, devient une valeur sûre du marché de l’art international, les présentations conjointes avec des œuvres contemporaines se multiplient. Pour beaucoup d’amateurs, comme pour certains artistes, la stimulante référence à la diversité des sociétés autres et à leurs systèmes de pensée opère plus que jamais. Cette référence modifie d’ailleurs souvent la valeur accordée à l’intention artistique du geste créateur, né quelque part entre la vie et l’objet.

On connaît les Peuls, ce peuple antique de pasteurs nomades, pour avoir migré et essaimé une multitude de groupes ethniques depuis l’Egypte jusqu’à la pointe ouest de l’Afrique subsaharienne. On les connaît aussi au travers de mœurs photogéniques qui ont depuis longtemps défrayé la chronique des médias des cultures du monde : des cérémonies célébrant la grâce et la beauté masculine dans des compétitions où les femmes sont juges et choisissent le partenaire idéal. Au Niger, chez les Wodaabé, qui signifie les « isolés », on appelle cette cérémonie le Géréwol. C’est le thème de cette exposition composite, montrée une première fois au CCF de Lomé, accueillie et développée fin 2001 par la Moba Art Gallery de Bruxelles.
Polo Garat est un photographe toulousain, d’origine basque, qui a bien sillonné l’Afrique de l’Ouest. Ses photos du Géréwol sont aux antipodes du document ethnographique et descriptif. On y voit des fragments de préparatifs, de groupe de personnages ou d’étoffes, de silhouettes qui s’éloignent, sur de grands formats panoramiques. Sa vision semble en mouvement, et toujours trop proche de son sujet pour le saisir dans son entier. L’épisode est clos sans qu’il ait livré un seul aspect symbolique ou narratif. De vive voix, ce photographe baroudeur confie que c’est la mentalité peule qui l’a le plus touché, dans sa dimension humaine, relativisant pour l’étranger la place accordée aux objets. Culture d’une « nudité » matérielle, quasiment logique chez un peuple nomade.
Dans une autre salle, des chants polyphoniques peuls et ce « lit » en bois disposé devant un ensemble de tuniques brodées. Il est entièrement démontable, composé de deux montants et cinq rondins sculptés dépourvus de fixations. Des échancrures sur les montants permettent à ces quelques traverses du sommier de rester équidistantes. Inévitablement, l’objet inconfortable est davantage perçu comme une sculpture représentant un lit plutôt que comme un objet usuel. Car en tant que sculpture, cette pièce s’impose comme un chef-d’œuvre inimitable !
Ailleurs encore, une multitude d’objets verticaux en bois sont disposés au sol par types d’objets. Leurs fonctions, méconnaissables, et leurs répétitions accentuent la perception de leurs lignes simples. Le visiteur peut se surprendre à contempler l’ensemble comme s’il se tenait devant de la sculpture abstraite moderne. Seuls quelques symboles gravés et la patine du bois confirmeront le fait que ce sont là les accessoires du mobilier d’authentiques tentes touaregs.
Enfin, un dernier espace présente une sélection de pièces de la statuaire sacrée ouest africaine. Du haut des socles, des personnages de tailles diverses semblent se défier ou s’ignorer, créant un champ relationnel complexe à l’intérieur duquel le visiteur fraye son chemin.
Ainsi, suivant le fil conducteur de l’exposition répartie sur les quatre niveaux de cette bâtisse au charme ancien, les visiteurs sont confrontés à un large éventail de catégories d’objets,. Un jeu de questionnements sur les « œuvres » et les intentions « artistiques » de leurs créateurs aura, sans doute, accompagné bon nombre d’entre eux. Car, selon les cas, l’objet peut s’imposer ou s’effacer derrière le mode de vie qu’il représente, au su ou au senti des conditions dans lesquelles il a été créé, de l’usage auquel il a été destiné. Cette question se pose et sa réponse varie pour chaque statuette, accessoire ou photo d’art.
C’est donc avant tout une sensibilité du regard que proposent de cultiver Sandra Agbessi et Walter De Weerdt, les responsables de la galerie. Présenter et associer les objets implique une dimension créative proche du sens de l’installation en art contemporain, où l’intention définit la place et la nature des objets pour former un sens global. Elle, métisse belgo-togolaise, s’occupe des objets anciens. Elle a élargi son champ d’action, parti d’un coup de cœur pour la sculpture Moba (Togo), à toute l’Afrique de l’Ouest. Lui, d’origine wallonne, s’est tourné vers la création contemporaine africaine et la collectionne (Kay Hassan et Karl Gietl, d’Afrique du Sud, le togolais Sokey Edorh, entre autres). Entre deux expos thématiques, arts ethniques et contemporains restent visibles sur rendez-vous.

Moba Art Gallery, 29 rue de L’Epargne, 1000 Bruxelles – Belgique
Infos : Sandra Agbessi 0475/82 52 76 – Walter De Weerdt 0475/219 250.
T. +32 2 / 219 22 50 F. +32 2 / 219 22 40 – E-mail : [email protected]///Article N° : 2097

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Les images de l'article
une exposition/installation d'art Moba au 1er niveau de la Galerie





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