La presse congolaise depuis la Conférence nationale : pluralité, périodicité, longévité

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Ce tour d’horizon de la presse congolaise témoigne à la fois de sa vitalité et des difficultés qu’elle rencontre.

Comme le soulignait le journal ivoirien Intertitres [n°2/ mai 1991], « l’ouverture de la Conférence nationale a coïncidé avec une floraison de journaux ».
Difficile inventaire
Avant cette date en effet, sous le monopartisme, la presse était essentiellement étatique : Etumba (Le combat), hebdomadaire, organe du parti unique, le PCT, Mweti (L’Etoile), s’annonçant quotidien et paraissant 4 fois par semaine ; à noter d’ailleurs que ces deux journaux ont fait long feu à l’avènement du pluripartisme : Etumba (premier numéro en 1964) a cessé de paraître fin 1992 ; Mweti (premier numéro en 1977) a stoppé sa parution en 1994 ; [signalons qu’un des anciens directeurs a créé sa propre publication en 1999, La Nouvelle République]. Un journal sportif existait Le Stade. Seul organe effectivement « politiquement » indépendant, La Semaine africaine, d’obédience catholique, créé en 1952 (La Semaine de l’AEF), est devenu au moment des indépendances La Semaine, puis en 1968 La Semaine africaine. Il s’intitule « hebdomadaire d’information et d’action sociale pour l’Afrique » ; de sous-régional, il était devenu publication nationale et n’a pour ainsi dire jamais cessé de paraître. Il fait encore partie à l’heure actuelle du petit nombre de journaux sortant régulièrement le jour annoncé.
Le recensement des titres publiés depuis 1991 – recensement certainement non exhaustif – atteint environ 95 titres.
Les guerres de 1993/94, 1997 et 1998 ont eu raison de nombreuses parutions, pour des raisons diverses : avant tout, bien sûr, par perte de ressources humaines et matérielles.
On assiste depuis à une véritable explosion du nombre de titres ; en 1998 et 1999 plus de 10 titres nouveaux, en 2000 et 2001 plus de 20 titres.
Il est difficile d’exprimer la durée de vie de ces publications ; certains titres ressurgissent alors même qu’on les avait complètement oubliés.
Périodicités aléatoires
Les périodicités annoncées sont en majorité bimensuelle, hebdomadaire et mensuelle puis bimestrielle. De nombreux hebdomadaires se révèlent être davantage des bimensuels voire des publications tout à fait aléatoires. L’Arroseur, dont le sous-titre est « hebdomadaire satirique d’informations et d’analyse », ne paraît pas souffrir de contradiction en annonçant en manchette : bimensuel. Trois journaux prévoyants (?) s’annoncent (ou s’annonçaient) « irrégulier ».
A l’heure actuelle, la presse hebdomadaire la plus régulière comporte La Semaine africaine (déjà citée), Le Choc (hebdomadaire d’information et d’opinion, premier parution 1994), L’Observateur (hebdomadaire indépendant d’informations, d’analyse et d’opinion, 1999), Tam Tam d’Afrique (hebdomadaire d’information, 2000), Les Echos (hebdomadaire d’information paraissant le mercredi, 2000). Ils sont vendus à 500 FCFA, de format A3, en noir et blanc en dehors de la première de couverture et parfois la dernière page, la plupart du temps en deux couleurs. Ils ont 12 pages et sont tirés entre 2000 et 3500 exemplaires, vendus essentiellement à Brazzaville et Pointe-Noire dans les quelques magasins de presse existant, par des vendeurs ambulants ou par abonnements.
Constatons là encore que la plupart des titres cités sont de parution récente « post événements ». D’autres titres très connus sur la place n’ont cependant pas la régularité des précédents. Citons notamment La Rue meurt (1990), devenu un temps La Rue au sortir de la guerre de 1998, redevenu La Rue meurt courant 2000, popularisé par son personnage « P’tit David », Le Pays (1997), Le Flambeau, La Nouvelle République (1999).
Autres titres
A noter quelques publications luxueuses (quadrichromie, pelliculée, A4 reliure agrafes) : Analysis (Bulletin trimestriel du club M’Kunga, club de recherche politique initié par des universitaires subventionnés par le pouvoir politique, créé en 2000; tirage à 2000 exemplaires dont 1500 écoulés sur la France, 5000 FCFA) et Les Dépêches de Brazzaville (1998, mensuel, 1000 FCFA, siège et rédaction à Brazzaville, un bureau à Paris également sponsorisé par le pouvoir). Remarquons que chacune fait paraître également un bulletin : Kimia (Cahier bimensuel du Club M’Kunga,) pour le premier, La Lettre de Brazzaville, hebdomadaire, pour le deuxième.
Certains directeurs cherchent à diversifier et le fond et la forme : Capital (bimensuel du monde des affaires et des décideurs économiques, 2001), Politis (bimensuel d’information et d’analyse, 2001). Cette diversification ne résout pas les problèmes de régularité des parutions.
Les journaux « sérieux » s’intitulant « d’opinion, d’information, d’analyses » côtoient quelques titres s’annonçant « satiriques » : La Corne enchantée (journal satirique paraissant toutes les deux semaines, 1995), Sel-Piment (hebdomadaire satirique pimenté d’expressions populaires, 1996, qui avait repris en 99/00 après les guerres de 97 et 98) ; l’Arroseur (hebdomadaire satirique d’information et d’analyse, 2001), Cocorico (hebdomadaire satirique, d’information, d’opinion, 2001). Le plus célèbre était sans doute Madukutsekele, l’irrégulier satirique – journal officiel du PORC (le « Maduku » est un cours d’eau traversant les quartiers populaires de Brazzaville, dans lequel se déversent les eaux usées. Il a réussi à se relever des deux guerres de 1997 et 98 mais ne paraît plus depuis fin 99. Il y a eu également un Cafard déchaîné.
Quelques corporations ont essayé, avec plus ou moins de régularité et de longévité de produire leur propre publication ; citons entre autres l’ONEMO (Office national de l’emploi et de la main d’œuvre) avec Liaison (1995) et L’Annonceur (2000), la Direction générale de la Police nationale (Police nouvelle, 2000), l’université (B.U.L., bulletin universitaire de liaison, 1999, apparemment interrompu), le ministère des Transports (Courrier des transports, 2001), le ministère de la santé (L’Humanitaire, 1999, interrompu depuis le deuxième trimestre 2000), le Secrétariat permanent du Comité de Privatisation (Privatisation, 1996, n’existe plus).
De même, avec ou sans l’appui officiel de financements extérieurs, des associations et ONG tentent leur chance : Bien-être (Association congolaise pour le bien-être familial – bi annuel, 1996, avec une périodicité élastique), Santé plus (bimensuel d’information, 1998), VIH Espoir (bimestriel d’information sur le VIH/sida, 2001), Mateya (bimestriel d’éducation, environnement, développement, 2001), Masta (La lettre des partenaires de l’évolution, trimestriel créé en 1997, interrompu jusqu’en fin 99, un seul numéro en 2001).
Publics spécifiques
Pour le public des jeunes, le plus ancien est Ngouvou, journal des lycéens et des collégiens créé en 1988 par l’association « Les amis de N’Gouvou », a un statut un peu particulier du fait des financements extérieurs. Il a cessé de paraître entre 97 et 2000. Il tire à 5000 exemplaires en écoule environ 3000. (1) Masta, journal du ? de l’évolution, association culturelle de jeunes, « s’investit dans la recherche, la consolidation et la production d’une culture de paix ». Il est gratuit et tire à 500 exemplaires. Bantuenia, le magazine des jeunes, mensuel (A4, quadrichromie, 600 FCFA, 36 pages) paraît depuis 2001. Sentinelle magazine est un bimestriel chrétien d’information, d’éducation et de divertissement (2000).
Pour ce nouveau public ciblé par la presse congolaise qu’est le public féminin, trois mensuels : Bakento (mensuel d’information et de promotion de la femme, créé en 1998, ne paraît plus depuis 2000), Jasmine, magazine d’information et de promotion de la femme, créé en 1998, (couverture quadrichromie, A4, 16 pages), Nzele, magazine de la femme, mensuel, le dernier né en août 2001 (A4, 24 pages, couverture quadrichromie, 1000 FCFA).
La presse économique a vu quelques titres se succéder. L’Enjeu, mensuel d’information et d’analyse économiques créé en 1990 ne paraît plus. Business infos, mensuel d’informations économiques et commerciales paru en 96, a fait long feu. Présence économique, (créé en 1996, 1000 FCFA) privilégie les abonnements annuels mais est irrégulier. Sésame (bimensuel créé en août 2001, quadri, A4) avait pour son n°0 60 pages au prix de 2000 FCFA). Le Commercial, magazine du jeune entrepreneur, fut de parution très brève.
L’essentiel de la presse est brazzavilloise. L’Océan, journal ponténégrin créé peu après la conférence nationale ne paraît plus. CREIMA, créé en 2001, a son siège social à Brazzaville.
Les journaux officiels de parti – La Colombe (RDPS), Le Soleil (MCDDI), créés au début du pluripartisme – n’existent plus.
A signaler un cas un peu particulier, la publication trimestrielle de l’association Rupture-Solidarité, animée par un collectif de chercheurs réunis autour de questions touchant à l’Afrique centrale, majoritairement congolais, basés au Congo et surtout à l’étranger. Rupture, d’abord éditée à Pointe-Noire, l’est depuis 1997 par les éditions parisiennes Karthala. Sa diffusion se faisait jusqu’à alors par une diffusion de proximité, diffusion d’autant plus difficile que certains numéros sont très engagés.
Officiellement indépendantes, la plupart de ces publications sont facilement identifiées par leurs lecteurs et rattachées à tel ou tel « courant politique », « ethnie », « personnalité »…  Notons que parfois la disparition de certaines paraît tout à fait « administrative » : une nouvelle publication surgit avec un siège social, une équipe éditoriale et une ligne éditoriale quasiment identiques. Deux exemples : Lumières équatoriales, devenu Lumières, Panorama, Octobre libre, Liberté ont tous le même siège social et directeur de publication ; de même Le Rayon (1995, hebdomadaire indépendant d’information, d’opinion et d’analyse) et Le Flambeau (hebdomadaire satirique congolais indépendant, d’information et d’opinion ; le directeur était très récemment encore le président d’un parti politique).
Nombreuses difficultés
Un des problème des organes de presse (de même que celui de tout éditeur) est celui de l’approvisionnement en papier. La Convention de Florence ratifiée par le Congo [convention légiférant les exonérations sur les importations de papier]ne concerne que les documents écrits ; des projets de centrale d’achat permettant un approvisionnement sur place seraient à l’étude ; un don de matériel informatique sera officiellement remis par les services de la présidence aux organes de presse privé. D’autre part, suite à la tenue en juin 2001 à Brazzaville des Etats généraux de la presse de langue française, le président de la République a promis de doter la presse privée de 300 000 000 FCFA, don conditionné par l’élaboration d’un dossier commun réalisé par les organes de la presse privée.
Les problèmes matériels sont effectivement incontournables mais ils ne suffisent pas à eux seuls à justifier l’irrégularité et les limites d’écoulement des parutions. L’après-guerre et les conditions économiques se font encore ressentir : les 500 FCFA que coûte un hebdomadaire représente une somme non négligeable pour de nombreux ménages ; ces 500F paieront plus facilement un morceau de poisson salé ou… une bière… pour oublier ! Les invendus représentent dès lors un pourcentage souvent important (ex. La Semaine qui pour un tirage de 3500 exemplaires n’avait avant 97 qu’une trentaine d’invendus en a actuellement aux alentours de 400).
Le nombre et la qualité des imprimeries de la place posent problèmes : il faut attendre son tour ; la qualité du « rendu », aussi bien des textes (souvent tronqués, truffés de coquilles) que des photos (souvent floues, mal cadrées…) ne contribuent pas à attirer les clients potentiels. Déontologie professionnelle et souci de compétence doivent également figurer parmi les exigences des professionnels de la presse et de l’impression. Le CRP, Centre de ressources sur la presse, « outil de développement au service de la presse », créé en 1994 sur l’initiative de Ouest Fraternité, le Club de la presse libre et le Forum des jeunes entreprises, avait justement comme objectif « la mise à la disposition des organes de la presse congolaise […] des matériels et compétences nécessaires à la réalisation de leurs publications et à la formation de leurs agents ». Ces objectifs sont-ils atteints ?
Un projet de loi sur la presse est passé à l’Assemblée nationale pour amender, voire abroger certains paragraphes de la loi promulguée sous la première présidence « démocratiquement élue », loi particulièrement décriée lors de son édiction. La presse dans son ensemble y trouvera-t-elle son compte ?
La censure n’existe pas officiellement ; notons toutefois que les procès contre les organes de presse ne sont pas rares ; certains journaux ont également été suspendus de parution (Le Flambeau au début 2001).
28 titres présents actuellement sur la place indiquent une adresse électronique ; contactés de cette manière, 4 seulement ont répondu. Il est certain qu’un bon nombre ont pu juger perte de temps de nous répondre, mais ayant pu rencontrer quelques uns de ces professionnels qui nous ont avoué ne pas consulter leur boîte ; un abonnement internet personnel n’étant pas financièrement possible dans la majorité des cas, il faut avoir recours à un cybercafé… ce qui bien sûr suppose un budget. Le recours au fax est assez classique dans nos pays ; c’est non seulement excessivement onéreux mais également très peu « discret » : le recours au courrier électronique n’est donc pas seulement un problème de finances mais aussi d’habitudes de travail. Il n’est pas encore vraiment entré dans les mœurs.

(1) Lire « La revue Ngouvou de Brazzaville, une belle aventure » par Colette Alègre, in Africultures 22 p.35-46 (ndlr).Annick Veyrinaud-Makonda anime Mokand’Art (Centre d’expressions plurielles de l’écrit et de l’oralité) ///Article N° : 2116

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