Douala : le squatt des plasticiens

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Squat’art two : des plasticiens travaillent et exposent dans un bâtiment abandonné. La deuxième de cette opération, avec une quarantaine d’artistes camerounais, sur une dizaine de jours, s’est achevée le 18 février 2002 à Douala. Oeuvres fortes et techniques innovantes.

Un vieux bâtiment de style colonial. A l’intérieur, à droite du couloir, un patchwork de vingt petites pièces (des carrés d’aluminium enchâssés sur du bois) rangées par quatre sur la largeur et cinq sur la longueur, qui compose un rectangle de 1,17 x 1,50 m. Des pièces autonomes, découpées dans des tôles usagées, calcinées, colmatées, déchirées, aux pointes entremêlées, que Salifou Lindou travaillera à la manière d’un artisan, avec juste un marteau. La surface ainsi aplatie révèle l’éclat naturel du métal vieilli, une brillance qui navigue entre l’argent, le gris clair et le noir. Une démarche nouvelle révélant un aspect inconnu de ce plasticien de 36 ans qui nous avait jusqu’ici habitué à des sculptures naines, assemblages de bois et collages de métal, ou encore des peintures acryliques comprenant de la poésie en mots croisés et les traits de couture si caractéristiques de son expression.
A visiter Squat’art two, il est clair que cette proposition artistique aura été la plus imitée de l’atelier. D’autres artistes ont monté à la manière de Lindou mais avec des matières différentes, le bois notamment, des séries de petites compositions.
Autre proposition, autre innovation : les gravures sur métal de Joël Mpah Dooh. Le plasticien de 46 ans a ici abandonné pinceaux, toiles et couleurs pour expérimenter la gravure, en grattant au couteau ses personnages captifs, sur du zinc neuf brûlé. Les trois pièces, inachevées au moment de la fermeture de Squat’art two, permettront à Mpah Dooh de poursuivre plus tard la réflexion dans son atelier. « J’ai pour habitude, dans les résidences auxquelles je participe, de travailler sur un autre support, en associant autant que possible une technique nouvelle. Au cours de ce Squat’art, j’ai eu envie de chauffer le zinc et de le gratter, de manière à récupérer le fond de sa brillance. C’est une suggestion de quelque chose dont je serais incapable en ce moment de vous dire sous quelle forme elle va aboutir. Mais je compte l’associer à la photographie, et peut-être à la sculpture, en faire une composition, pour monter une expo en Off de la sélection officielle de Dak’art 2002 à laquelle je suis invité ».
Dans un autre atelier, « Introspection », une installation complexe du jeune Wanko Cubart voyage dans les profondeurs de la conscience humaine, avec pour cahier de route la philosophie de Cheik Anta Diop. Sur une table basse, l’artiste reconstitue dans une architecture très compliquée, le monde, ses gratte-ciels, ses satellites, ses constructions nucléaires, ses puissantes lignes rouges destructrices… un labyrinthe sur lequel règne un masque d’où s’échappent trois fils rouge, blanc, jaune : « les trois races » explique le jeune artiste, la race noire étant représentée à l’intérieur du masque par une photo de Cheik Anta Diop, à côté d’une cauri, « symbole de la fierté et de la conscience africaine », absente chez les autres races, semble insinuer l’artiste. Sur les murs, des empreintes de mains rouge-sang aux poignets enchaînés éclairent le descriptif affiché plus haut « Science sans conscience n’est que… ». Et un regard inquisiteur, mystique, planant sur cette galaxie désigne le coupable : « Ce regard surnaturel représente la conscience de l’homme, le moi…. Le problème de l’homme n’est nulle part ailleurs que dans lui-même », affirme l’artiste dont la rage, même si elle est exprimée de façon plus subtile, n’est pas sans rappeler celle de son compatriote Mallam.
Une série d’innovations qui a ravi le public : l’œuvre de Salifou Lindou a trouvé preneur à deux millions de FCFA l’après-midi même du vernissage. Plusieurs autres pièces ont elles aussi rejoint des collections privées. « J’avais constaté quelque relâchement d’artistes que je suis depuis un moment. Heureusement, en se retrouvant en situation de travail collectif dans un atelier comme celui-ci, cela favorise l’émulation et cette recherche de créativité qui est très flagrante ce soir », témoignera à l’issue du vernissage, un observateur averti, Didier Schaub, directeur artistique de la galerie Doual’art.
« Cela s’inscrit dans le but de ces ateliers. Dès sa création l’année dernière, nous avons voulu faire de Squat’art un lieu de remise en question, d’expérimentation, de brassage et d’échange et non le prolongement du travail que l’artiste a l’habitude de faire seul dans son atelier », explique Koko Komégné. Le plasticien de 51 ans est le principal promoteur de Squat’art, avec son camarade d’arme, Kuoh Eyango, décédé en novembre dernier et dont les artistes, en travaillant dans le vieux bâtiment qui abritait l’atelier au quartier Deido, ont voulu honorer la mémoire.

///Article N° : 2208

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Les images de l'article
Berger Peul, sculpture (bois et métal) de Alioum Moussa © DR
Wanko Cubart : Vue partielle de Introspection, installation de Wanko Cubart © DR





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