Kinshasa et sa horde de « shégués », une poudrière prête à exploser !

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Ils sont nombreux à arpenter les rues de Kinshasa. Orphelins de parents vivants largués par la société, les shégués sont les gosses qu’on nomme avec condescendance « enfants de la rue ». Sans parents ni famille, ou plutôt ne voulant ou ne pouvant pas vivre avec.

C’est le cas de Patience Bosopale, jeune garçon de 20 ans, résidant officiellement à Kisangani, une banlieue kinoise, sur l’avenue Ndjoko, et qui a élu domicile au centre ville de Kinshasa : « Je ne suis pas d’ici. Mes parents sont à Gbadolite (fief de feu Mobutu, province de l’Equateur) où je suis né et où j’ai grandi. Je suis arrivé ici en accompagnant ma soeur qui commerçait avec Kin et Gbado. Ayant fait faillite, elle s’est mariée avec le premier militaire venu et vit sa vie sans se soucier de mon sort. Pourtant, à Kin, je n’ai qu’elle comme famille, c’est ma grande soeur ! Depuis, je survis comme je peux en nettoyant les voitures en ville… »
Boulevard du 30 juin, centre-ville de Kinshasa. Du matin au soir, cette artère ne désemplit pas. Phénomène poignant : le boulevard s’est transformé en une place forte, où des dizaines de shégués sont généralement agglutinés aux vitres des voitures en arrêt devant les feux de signalisation, tendant la main pour quelque chose, des sous, une tige de cigarette… Les filles font le trottoir le soir venu pour un bout de rêve. Ces enfants font désormais partie du décor quotidien kinois et personne ne fait plus attention à eux. Et pourtant…
A Kinshasa, ils doivent être entre 12 000 et 20 000. Ils sont partout à travers la ville, sur les grands carrefours, dans les cités, devant les magasins, les résidences d’étrangers ou des vedettes locales, dans les marchés ou en ville. Selon l’ONG « Save the children« , le nombre de 12 000 est plus proche de la réalité. Sauf qu’ils n’ont plus de 6 à 16 ans. Ils ont grandi depuis le temps que personne ne s’en occupe. Ils sont aujourd’hui une poudrière sociale et politique qui risque de faire boum si on continue de faire les aveugles !
Le 15 août 2001, au Marché Central de Kinshasa, un policier tire sur un de ces gosses qui se préparait à commettre un larcin. Du coup, tous les autres se ruent sur le policier en fuite, le rattrapent et le battent à mort. C’est alors que tout le monde réalise que les shégués ne sont pas tous que des gamins, il y a parmi eux des adultes de 17 à 22 ans. Depuis se pose le problème de gestion de ces enfants venus de nulle part et qui n’appartiennent à personne.
Patience a lui une autre version des évènements du 15 août : « Certains militaires armés ne connaissent pas le maniement de leur arme. Qu’est-ce qui s’est au juste passé ce jour là ? Un de nos grands frères (de rue), « Cents paquets », avait piqué à un shayeur (vendeur ambulant) de croupions de dinde un morceau qu’il est allé déguster dans le carreau (resto du marché) d’une vendeuse de bouffe qui est sa maîtresse, et ce malgré la désapprobation générale. Arrive un militaire, également amant de la dame, mais faisant là office d’agent de l’ordre. Il charge son arme en même temps qu’il ordonne à « Cent paquets » de rendre le croupion volé sinon, pan ! L’autre au nom de la rivalité – ils se connaissaient bien en plus ! – empoigne une marmite pleine d’eau bouillante en menaçant de la renverser s’il ose tirer. Mais il n’a pas le temps de passer à l’acte, le militaire le vise sur « ses bijoux de famille »… Le temps d’arriver à l’Hôpital Général pas très loin, trop tard ! Et au lieu de se pencher sur la dépouille, on se met à nous battre, puis on nous embarque pour nous « enregistrer ». On nous dit qu’on va nous créer un Centre. Mais c’est faux ! Il y a des copains qu’on a enrôlé de force dans l’armée et qui se retrouvent au front, nous on doit notre salut à notre fuite, c’est ça qui nous a sauvé… »
Le gouvernement s’est donc vite rappelé qu’il est de son devoir de s’occuper de ces enfants. Seulement la logistique n’a pas suivi. Alors que certaines organisations caritatives se sont vues arracher les enfants qu’elles avaient sous leur garde parce que ça faisait bien d’annoncer à grand renfort de pub que les enfants seraient placés « en lieu sûr pour une bonne rééducation »…
On se limite à plaindre leur nombre de plus en plus croissant et du danger qu’ils représentent pour les poches des bons citoyens qu’ils ne s’empêchent pas de visiter ou des voitures qu’ils cambriolent. Il a fallu cet incident grave du 15 août pour que leur cas se pose brutalement à la société congolaise.
Difficile de croire quand on visite Montfleury, ce quartier chic de Binza Macampagne (une commune de Kin), que juste en bas il y a des « abris » (qui ressemblent à la « briqueterie » camerounaise de Yaoundé) que des gosses ont déserté à la recherche de mieux. Quand on compte le nombre de pasteurs sapés en « Masatomo » (griffe japonaise) et roulant en Mercedes 600 prêcher la prospérité, c’est difficile de croire en l’existence de ces enfants invisibles prêts à vendre leur âme au diable pour un peu de chaleur, un peu de nourriture, un petit sourire et beaucoup de soleil. Ces « nouveaux » hommes de Dieu dans leurs « nouvelles » églises sont les premiers à déclarer ces gamins ‘sorcier’ simplement parce qu’ils se rebellent contre l’autorité d’une marâtre, d’une tante ou d’un grand père autoritaire et tyrannique ou une situation économique intenable.
Les musiciens s’appuient sur eux pour asseoir leur notoriété : radio trottoir c’est eux ! « JB, on s’est rencontrés vers l’Ambassade de France, lui et moi face à face, raconte Patience. Il ne m’a rien donné. Il m’envoie chez sa femme qui me dit qu’elle n’a que des dollars US, ça m’a dépassé. Moi son fan, il m’a négligé, ça m’a touché, ça m’a vraiment fait mal au coeur mais bon c’est son argent ! Pour survivre je continue de traîner dans la rue, je me débrouille pour m’en sortir. Je ne vole pas. Voici ma loque (petite serviette), je nettoie les voitures. Quand j’ai un peu d’argent, je vais déposer à la « maison » à Kingabwa (autre quartier de Kin) où vit ma petite fille… J’ai une fillette de 10 mois qui se prénomme Patience comme moi… »
« D’habitude pour la « Bonne Fête » (fêtes de fin d’année), c’est l’Etat qui s’occupe de nous, poursuit-il. Tout ce qui est donné et prévu pour ‘les enfants de rue’ est stocké à l’Hôtel de Ville : du riz dans des sachets, du poisson, des ingrédients et de l’huile pour la préparation, etc. On n’a pas vu ça, et on souffre beaucoup, beaucoup…
Mais pour cette « Bonne Fête », je suis content d’avoir passé l’année, beaucoup sont morts, moi je suis là. Pour ce qui est de la bouffe, de l’habillement ? Je n’ai pas mangé, je n’ai pas eu d’habits, je n’ai pas bu. Mais je suis un homme… »

///Article N° : 2700

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