Philosophie du développement et amour de l’art

Entretien de Maureen Murphy avec Aïssa Djonne, galeriste à Dakar

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Soucieuse de développer les techniques artisanales locales à Dakar, Aïssa
Djonne crée tissus et mobilier dans une optique de développement local. Elle tient avec Marème Samb Malong la galerie Atiss et exposait lors du Dak’art 2002 Soly Cissé, Camara Guèye, Djadji Diop, Issa Diop, Joël Mpah Dooh.

J’étais peintre, j’ai fait l’école des Beaux Arts en France, dans la banlieue parisienne. L’art m’a toujours passionnée, j’ai passé toute ma vie à visiter les musées en long et en large. Ma vocation première c’était d’être peintre et j’en ai vécu pendant 20 ans.
Vous ne pratiquez plus ?
Plus du tout. Quand je suis arrivée en Afrique, j’ai voulu utiliser les matériaux locaux, je me suis intéressée à une technique locale : au travail des teinturiers, le batik. J’ai appris la technique et pendant des années j’ai fait des tableaux, des pièces uniques en batik. J’ai vécu très longtemps de ça. Ensuite je suis retournée un peu à la peinture, j’ai fais quelques expositions. En 85, j’allais présenter mes tableaux à une entreprise, j’avais mes photos sous le bras. Ils m’ont dit qu’ils n’avaient pas vraiment besoin de tableaux, mais d’aménagement et de décoration. Je me suis investie pour leur faire un projet de décoration qui a inclus la recherche dans le travail traditionnel du tissage. J’ai été amenée à développer à cette époque les métiers traditionnels, à les améliorer. Je me suis lancée à corps perdu dans la création de tissus. Toujours dans cette optique de ne pas faire de l’art pour l’art, je suis ici, donc je veux utiliser les techniques traditionnelles et laisser tomber tout ce qui est technique qu’on importe. J’ai continué à développer le tissage, ça a fait boule de neige, je suis tombée sur quelque chose qui a très bien marché. J’ai été prise dans un engrenage de développement. Je me disais que ce nouveau produit luttait ici contre les importations massives de tissus bas de gamme, revendus par les Libanais. J’ai développé cette philosophie de développement au travers d’une entreprise, c’était en même temps un outil pour faire vivre plein de gens. Je suis partie sur ma lancée et j’ai complètement abandonné ma propre création artistique, pensant justement qu’elle s’était transmuée dans cette idée-là. De fil en aiguille, cette entreprise s’est développée, il a fallu que j’expose à un certain moment mes produits. Je me suis mise à chercher des lieux pour les exposer, j’ai trouvé cet espace que j’ai utilisé non seulement pour mes produits mais aussi pour revenir à mes premières amours, c’est à dire exposer de la peinture. C’était ça ma première vocation, mais comme je n’avais plus le temps de peindre moi-même, j’ai exposé les autres.
Quels sont les artistes que vous exposez?
Je me suis liée d’amitié principalement avec Soly Cisse et Camara Gueye. J’ai exposé Mamadou Seydi, deux artistes burkinabés en particulier Suzanne Ouédraogo. J’ai fait quelques accrochages de groupe. J’ai exposé Joël Mpah Dooh, Serigne Mbaye Camara, Jean-Marie Bruce, Modou Dieng, Diadji Diop. J’expose Soly Cisse et Camara Gueye au moins une fois par an pour montrer l’évolution de leur travail. J’ai fait le tour des artistes à Dakar et c’est vrai qu’on n’avait pas la même façon de voir les choses.
C’est-à-dire ?
On a une relation très particulière avec Soly Cisse et Camar Gueye, une relation d’amitié. On parle très librement, surtout de la peinture. Moins de politique et beaucoup plus de peinture. J’exprime mon opinion et je critique beaucoup. Ce sont des gens qui reçoivent la critique dans sens le plus élevé, aussi bien positif que négatif. On allait vraiment au fond des choses. C’était bien de pouvoir exposer des artistes avec qui je peux le faire. J’ai ma propre opinion sur l’expression en peinture et, ici, beaucoup d’artistes sont très susceptibles. Il se trouve que ces deux-là ne le sont pas et aiment progresser, travailler.
Se remettre en question ?
Oui. Je ne suis pas une galerie qui expose des choses commerciales, ça n’est pas la politique de la galerie. J’expose vraiment ce que je trouve qui est sincère et vrai.
Qui achète sur Dakar ?
Il y a quelques acheteurs, quelques collectionneurs qui n’aiment pas acheter via les galeries, et qui vont dans les ateliers d’artistes directement. Dakar est une ville très cosmopolite. Il y a des personnes qui achètent des œuvres d’art, pas forcément chez moi, mais dans d’autres galeries, parce que ce sont des peintres à la mode, parce qu’ils ont une certaine réputation. Ils achètent beaucoup parce qu’un tel a acheté aussi. Ça marche beaucoup comme ça. Il y a quand même une petite clientèle sénégalaise.
Vous en êtes en rapport avec d’autres galeries en Afrique, la galerie MAM à Douala par exemple ?
Oui, j’ai recontré Marem Samb en 98. Elle avait l’habitude de louer le premier étage de l’IFAN pour exposer ses artistes parce qu’elle n’avait pas de lieu en tant que galerie camerounaise. On avait un peu la même façon de juger des œuvres et on a décider de faire une opération commune pendant la biennale 2000. Elle a amené Joël Mpah Dooh et Tiedy Markoussen. De mon côté, j’ai amené Soly Cisse et Camara Gueye, et on a fait deux expositions conjointes avec deux vernissages successifs. Nous avons édité notre catalogue à Dakar. C’était très important de le faire à Dakar, dans la logique de ma philosophie générale, celle que suit mon entreprise de toute façon. Ça m’a beaucoup plu de travailler sur ce catalogue. On a reconduit la même expérience en 2002. Toute seule, je n’aurais jamais pu faire éditer ces deux catalogues. Cette année, il y avait beaucoup plus d’artistes, il y en avait 8.
Est-ce qu’il y aura des suites dans l’édition locale ? Y a–t-il quelque chose de prévu ?
Plusieurs personnes parlent de l’édition d’art et commencent à se dire qu’il faudrait développer l’édition d’art à Dakar. J’ai plusieurs amis qui, après l’édition du catalogue de la biennale, se disent qu’il y a vraiment des choses à faire. On est en train d’y réfléchir.
Le gouvernement serait-il prêt à financer, encourager cette démarche ?
On n’a jamais fait grand chose avec le gouvernement depuis le départ. On ne peut pas non plus toujours penser être financé par le gouvernement. Je ne pense pas que ce soit une bonne option. On peut se débrouiller pour trouver des mécènes, des sociétés qui peuvent s’intéresser à ça. Quand on s’unit, quand on rassemble nos forces, on y arrive. On n’a jamais été aidé pour les biennales parce qu’on était en off, on avait très peu de sponsors parce que tous les sponsorings allaient vers la biennale, mais on y est quand même arrivés. Rien n’est impossible.
Quelle importance a la biennale pour vous ?
Je ne suis pas pour encourager certains artistes qui ne travaillent que pour la biennale. Je ne sais pas s’il ne vaudrait pas mieux faire un salon annuel des artistes plasticiens. Il a existé d’ailleurs, mais il a été abandonné et c’est dommage. Maintenant, on ne vit qu’à travers la biennale. Qui est peintre et artiste ne doit pas se préoccuper de biennale, il doit surtout se préoccuper de son travail, exposer le plus possible pendant et hors de la biennale.

Galerie Atiss : Avenue Albert Sarrault, tel 823 18 77, Dakar.///Article N° : 2754

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Les images de l'article
Couvre-lit dogon © Maureen Murphy
Canapé MANDINGO en bois de dim © Maureen Murphy
Canapé BALANTE en bois de dimb © Maureen Murphy





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