La responsabilité de parler de l’Afrique avec dignité

Entretien de Samy Nja Kwa avec Saïd Abass Ahamed

Print Friendly, PDF & Email

« J’essaie d’être le plus honnête possible en saisissant la vie sans la mettre en scène ». Né aux Comores il y a 27 ans, Said Abass Ahamed a grandi en France où il poursuit des études de droit à l’Institut d’études européen. Passionné de vidéo et de cinéma, il développe la photographie en côtoyant des jeunes à la MJC de Dunkerque. Dans le cadre du projet « Comores 2000 », il se rend dans son pays, qu’il photographie en Noir & Blanc.

Qu’est-ce qui t’a amené à la photographie ?
C’est un pur hasard. Je connais plus le cinéma que la photo. J’ai eu la possibilité de faire un stage photo avec plusieurs artistes à la MJC de Dunkerque et c’est à partir de 1995 que j’ai commencé vraiment à persister. Ensuite, les choses se sont accélérées grâce à ma rencontre avec Samba Félix Ndiaye, qui fut déterminante pour la suite de mon expérience. J’ai eu la possibilité de me rendre aux Comores en juillet 2000 en sa compagnie pour faire un film, j’avais un appareil photo et de fil en aiguille, il m’a fait comprendre plein de choses, ce qui a aboutit à ma première exposition.
Quel en fut le thème ?
L’idée était de montrer la vie d’un village, sans se focaliser sur une chose en particulier : il s’agissait de montrer la vie des populations dans les différentes heures de la journée. Il s’agissait aussi de montrer la vie des femmes, qui tiennent une place assez importante dans la société, même si elles n’ont pas un pouvoir politique. C’est surtout de témoigner des choses qui se passent. Lorsque je suis rentré des Comores et que j’ai fait mon exposition, mon frère aîné est venu la voir et m’a fait remarquer que certaines personnes que j’avais photographiées étaient décédées. Donc, sans que je le sache, sur un plan plus personnel pour certaines personnes, ces photos sont importantes parce qu’elles parlent d’une période de leur vie.
Tu as choisis de travailler essentiellement au noir et blanc, qu’est ce qui motive ce choix ?
Le noir et blanc demeure l’art noble par définition. Ensuite, il focalise mieux les émotions. Les Comores représentent un pays très coloré, il y a des paysages, des vêtements, des épices, et je me serais perdu si j’avais choisis la couleur. Le N & B me permet aussi de prendre une distance par rapport à certaines choses : il me permet de réfléchir et de savoir où je vais et je crois qu’il restitue mieux le côté serein de la réalité. Dans la couleur, on est tenté de tomber dans les travers, les clichés.
Dans la photo, recherches-tu l’émotion ? l’esthétique ? montrer une certaine technique ?
Ce serait mentir si je disais que je développe une certaine technique, je n’en ai pas encore les capacités. Lorsque je prends une photo, j’attends bien évidemment l’instant magique. J’essaie d’être le plus honnête possible en saisissant la vie sans la mettre en scène. Donc, le côté esthétique de la photo, la technique, la lumière ne sont pas pour moi la préoccupation première. Pour les populations locales, lorsque je photographie une personne dans son environnement, ce n’est pas ce qu’ils veulent montrer des Comores. Ils préfèrent que je photographie la mer, le sable, qui font partie du pays. Mais, lorsque tu photographies un hôpital où il n’y a pas de matelas, il y a d’abord une douleur qui nous saisit, c’est de l’émotion, qui va au-delà de l’esthétisme.
Qu’est ce que tu as cherché à améliorer dans ton travail ?
J’ai amélioré le cadrage, ça devient mon point fort. Ensuite, je pense que je commence à sentir l’instant. J’ai des points faibles qu’il faut que j’améliore, notamment la lumière.
Faut-il ou doit-on tout photographier ?
Si on reprend une image comme celle de la guerre du Rwanda, où on voit un photographe avec un grand zoom, qui se focalise sur des choses importantes alors que devant lui il y a une petite fille en train de mourir… Cette photo a fait le tour du monde et est montrée dans toutes les écoles de photo. Personnellement, comment aurais-je réagi dans une situation similaire ? C’est facile de donner une réponse, et je crois qu’il y a des choses qu’on ne peut pas photographier, qui demandent plus de respect, qu’on doit garder pour soi et seulement pour soi.
Mais il faut aussi témoigner
Evidemment. En référence à la polémique qui existe entre Sembène Ousmane et Jean Rouch : pour Sembène Ousmane, Jean Rouch, c’est le paternaliste qui vient montrer l’Afrique avec ses mouches, ses travers, etc. Mais d’un autre côté, nous savons que ce dernier a montré les images prises en Afrique. Elles existent. Il a témoigné au risque d’être mal compris par les Africains eux-mêmes. Je n’ai pas de vrai réponse. Entre l’envie de témoigner et le désir de respecter, la frontière est difficile et pour l’instant, je ne sais pas.
Serait-ce la différence entre un photographe africain et un photographe occidental ?
Non. Je me mets en situation : j’ai été admis dans des lieux secrets dans des villages, parce que les gens connaissaient mes parents. Du fait de mon nom, je pouvais aller où je veux, dans des endroits où un photographe occidental aurait eu du mal à entrer. C’est une différence fondamentale. Mais, le vrai débat est l’Etre humain face à ses responsabilités, même si la culture et l’éducation que j’ai reçues sont complètement différentes de celle d’un Occidental. Qu’il soit d’ici ou de là-bas, il ressent les mêmes choses, les mêmes craintes. Et face à cela, il doit avoir une dignité humaine à respecter ou à violer. Aujourd’hui, on a la responsabilité, qui est de parler de l’Afrique avec dignité, c’est le plus important.

///Article N° : 2772

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire