Rencontre avec Jenny Alpha

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En ce 8 mars 2003, Journée de la femme, le ministère de l’Outre-mer recevait Jenny Alpha. Une seule chose me motivait depuis le lever : revoir cette grande dame que j’avais rencontrée deux fois l’année dernière. La seconde fois, c’était au spectacle de Souria Adèle, Marie-Thérèse Barnabé négresse de France, la première, au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis à l’occasion d’une représentation du Balcon de Genet. C’est que Genet et Jenny sont de vieilles connaissances, elle joua le rôle de Neige (il me semble) dans la première version des Nègres mise en scène en 1959 par Roger Blin. À ses côtés, que des gens debout, dont seule l’évocation des noms donne un grand élan de fierté, un grand balan pour avancer : Toto Bissainthe, Darling Légitimus, Sarah Maldoror, Théo Légitimus et biens d’autres qui appartenaient à la troupe Les Griots.
Jenny Alpha est née le 22 avril 1910 en Martinique, elle est issue d’un milieu assez privilégié et viendra en France en 1929 pour faire ses études afin de devenir institutrice. Ça, c’est la version officielle mais Jenny sait déjà qu’autre chose la fait vibrer : c’est le théâtre. Au bout de deux années d’études supérieures, elle décide de tout laisser tomber pour se consacrer à sa passion. Mais voilà, comme elle le dit sans aucune aigreur dans la voix « on ne voulait pas de Nous au théâtre ». Nous sommes en effet en pleine période coloniale. 1931 est l’année de l’exposition coloniale internationale qui se déroula à Paris et qui fut visitée par des milliers de personnes. L’heure n’est pas à l’expression artistique mais plutôt à l’exhibition.
Jenny continue son petit bonhomme de chemin. Si on ne veut pas d’elle au théâtre, elle fera du music-hall : dans ce domaine les Noirs sont acceptés. Elle rencontrera Duke Ellington, croisera Joséphine Baker et bien d’autres, elle chantera les standards de Jazz et redécouvrira le patrimoine de son île à travers les chants des coupeurs de cannes. C’est à Paris qu’elle apprend le créole car dans les familles bien comme il faut, parler créole n’était pas bien vu. Ce que son ami, le grand poète Léon Gontran-Damas chantre de la négritude avec Césaire et Senghor, rendit fort bien dans son poème Hoquet, où la mère parle ainsi à son enfant :
 » Vous ai-je dit ou non qu’il vous fallait parler français
le français de France
le français du français
le français français »
Madame Alpha a beaucoup voyagé aussi, elle a interprété des rôles au quatre coins du monde. Elle se définit volontiers comme citoyenne du monde et, dans sa bouche, ça sonne vrai car Jenny Alpha s’attache aux gens, elle est simple, curieuse de tout et de tous, elle ne se situe pas dans une frontière qui la séparerait de l’un ou de l’autre, elle est toujours dans la relation, dans l’ouverture. Il aurait été si facile de se barricader pour se protéger.
Dans le film réalisé par olivier Codol et Claire Grève qui a été projeté le 8 mars, ce qui ressort des interviews des comédiens ayant travaillé avec Jenny Alpha, c’est sa générosité, sa simplicité, sa modestie et à chaque fois que je l’ai rencontrée, j’ai ressenti cela aussi. Lors de ma première rencontre avec elle, elle était assise sur les marches du théâtre en attendant l’ouverture de la salle. Je suis allée la voir, j’ai été accueillie comme une amie, elle m’a même remercié de m’intéresser à elle, de la connaître, elle m’a dit ces mots  » ça me touche que vous me connaissiez parce que vous êtes jeune. »
Le secret de Jenny Alpha, je crois que je l’ai percé, c’est de traiter chacun avec de l’importance, de faire de chaque moment un moment précieux. Elle rencontra Dali et Picabia : l’un lui laissa son veston philosophale en garde pendant quelques jours, l’autre peint son portrait, sans que Jenny ne sache qui ils étaient. Jenny fut avec eux comme elle est avec tout le monde.
Jenny Alpha sera le coup de cœur du 25ème Festival de films de femmes. Le samedi 29 mars à 15h, le film la Vieille quimboiseuse et le majordome de Julius-Amédée Laou sera projeté dans la grande salle de la maison des arts à Créteil, en présence de Jenny Alpha.

Damas, L-G (1939) pigments. Paris : présence africaine
http://www.rfo.fr/doss_new_dossiers.php?iv=1&ip=6&ir=139&isr=16&icp=18&id=7650&im=6
http://www.filmsdefemmes.com
//africultures.com/revue_africultures/articles/affiche_article.asp?no=2001
//africultures.com/partenaires/evenements/negres/negres.htm
http://perso.wanadoo.fr/grouan/caribteat/griots.htm
http://www.humanite.presse.fr/journal/2001/2001-02/2001-02-03/2001-02-03-023.html///Article N° : 2820

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