Les Chemins de l’oued

De Gaël Morel

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Samy n’a pas le choix : une équipée sauvage s’est mal terminée, un flic est mort, il doit fuir. On n’en saura pas plus : le sujet n’est pas là, l’ellipse lui tourne autour. Le sujet, c’est Samy. Sa famille algérienne l’envoie, lui qui ne parle pas l’arabe, se cacher au bled chez son grand-père. Le soleil envahit l’image, la mer s’étale à l’infini, les collines algériennes dessinent un horizon aussi beau qu’oppressant. Car ce pays a mal. Autant que Samy qui ne peut oublier l’odeur de la mort.
Samy est jeune et athlétique, il se pousse à bout, s’éclate, danse, court dans les vagues, se masturbe. Mais il se meurtrit, se frappe, vomit, saigne. Le sujet, c’est le corps de Samy. Celui du grand-père porte les traces de la violence des tortionnaires français. Les enfants que soigne Nadia, la cousine de Samy, sont traumatisés par les récents massacres. Ce pays a mal au corps. Comme Samy.
Autour de ce dispositif sensuel où tout est dit par le corps de l’acteur, Gaël Morel construit un film presque cosmique où les éléments naturels, les paysages et le chaos physique des êtres concourent à dresser la carte du vertige existentiel. Samy résume autant qu’il incarne ce qui l’entoure : les blessures de l’Algérie reflètent la sienne propre. Il oscille entre mélancolie et désespoir. Loin de ses racines, de la France où il a grandi, il ne peut se fixer sur une terre qui n’est pas la sienne. Dominé par les émotions, il ne contrôle plus rien et ne peut que fuir à nouveau. Il est à l’inverse de Nadia, enceinte de son mari terroriste décédé, qui a la rigueur physique de la conscience féminine et qui est la seule à percevoir que son trouble l’habite et ne le lâche pas. Leur relation a valeur d’initiation pour l’enfant Samy qui a peine à grandir. A l’école du courage des femmes, il reste debout jusqu’au dénouement final.
Il est dommage que Gaël Morel qui fut à l’école de Téchiné (il joua dans  » Les Roseaux sauvages  » et  » Loin  » qui se déroule aussi en Algérie) n’ait pas les outils du maître. Tous les ingrédients sont là mais la sauce a encore du mal à prendre : une pesanteur s’inscrit dans la volonté des images, une intention trop visible, des raccords maladroits, une difficulté à épouser l’espace. Il faut dire que la barre était placée très haut : il est dur le pari de contourner les dialogues pour exprimer l’âme en proposant ainsi à un acteur d’ouvrir son corps au vertige d’un personnage. Nicolas Cazale (Samy) sait exprimer passion et fissures. Si bien que même si le film a du mal à décoller, ce sont ces failles mêmes qui intéressent et étonnent de bout en bout. La tension qu’il instaure accroche parce qu’elle est sans rapport avec les habituelles ficelles du suspens : elle cherche à exprimer un mystère, celui du tréfonds d’un homme.

Téléfilm de Gaël Morel (France, 2001-1h21mn) Scénario : Gaël Morel Avec : Nicolas Cazalé (Samy), Amira Casar (Nadia), Mohamed Majd (le grand-père), Kérédine Defdaf (Issam), Amina Medjoubi (la mère de Samy) Image : Jean-Max Bernard Son : Ludovic Hernault, Catherine Schwartz Coproduction : GTV, ARTE France ARTE FRANCE Prix de la critique internationale (Fipresci), Toronto 2002///Article N° : 2838

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