Droit de cité : cinq années au service des jeunes dans les quartiers

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La France adore ses banlieues mais rarement pour ce qu’elles génèrent de positif. On préfère bien souvent jouer sur des amalgames et se dire que la banlieue est le dernier refuge des immigrés avec sa misère, sa violence et sa peur distillées au quotidien.

Une image que peu de jeunes dans les cités apprécient et qui a été à l’origine de la création en octobre 92 de Droit de Cité (DDC) par Jean-Pierre Masdoua, un champion de boxe française, lors d’un stage qui rassemblait 250 animateurs et jeunes dirigeants d’associations de quartier (des animateurs de structures sportives de proximité notamment). L’objectif principal était de coordonner et de dynamiser l’action des uns et des autres au niveau national pour mieux lutter contre l’image négative que pouvaient charrier la jeunesse des cités dites difficiles.
Sur un plan pratique, l’ambition de Droit de Cité consistait à bousculer les idées reçues, à mettre en valeur le travail des jeunes (sur un plan sportif et artistique surtout), à les mettre en contact avec des partenaires extérieurs afin que leurs projets puissent aller de l’avant. Cinq années se sont écoulées depuis. L’association a pris une ampleur inattendue, avec un réseau d’échanges qui s’agrandit de plus en plus et qui se situe même au-delà des frontières de l’hexagone (Chiapas, Soweto, Gorée, Kigali…). De nouvelles opérations à succès dont celui des ateliers Prose Combat n’est pas le moindre. Un label de production musicale. Une ligne de vêtements pour tout couronner. Rencontre avec St Jean-Pierre Masdoua, toujours à l’avant du cortège.
Les débuts ?
J’ai été amené à proposer ce projet parce que j’étais moi-même impliqué dans une association locale et parce que j’avais rencontré un certain nombre d’autres acteurs des quartiers qui faisaient le même constat : la jeunesse des quartiers était présentée de façon exclusivement négative. Les associations de jeunes dans ces quartiers étaient encouragés à se créer, mais dès qu’elles commençaient à exister réellement, les bâtons dans les roues commençaient à arriver, parce que cela correspondait pratiquement à un contre-pouvoir de la jeunesse dans les villes où ces associations se constituaient. Et puis il y avait aussi le manque de coordination entre tous ces acteurs, tous ces jeunes surtout, qui prenaient leur avenir en mains à travers le tissu associatif. Et donc la nécessité de créer une structure au niveau national qui allait pouvoir les mettre en relation les uns les autres. Pour que chacun puisse bénéficier des réussites des uns, éviter les échecs des autres, pouvoir éventuellement développer des objectifs communs, des programmes communs. Ce projet correspondait à un besoin réel quand il a été proposé. C’est ce qui a fait que ça a démarré à cent à l’heure en fait. Je me rappelle qu’on avait préparé un petit questionnaire demandant aux gens s’ils trouvaient l’idée intéressante, s’ils étaient prêt à s’y impliquer. Et on avait eu en fait 100% de réponses positives.
Quel votre rapport avec la notion d’immigré ?
Le premier rapport, c’est d’abord mon origine, puisque ma famille paternelle est kabyle, ma mère étant française. Donc je suis moi-même d’origine immigrée. Ensuite – je parle d’un point de vue personnel – ce sont tous mes amis aussi, au-delà de la famille paternelle, qui sont issus d’immigrations différentes. Donc pour moi, c’est le monde. Quand on me dit immigré, c’est le monde à l’intérieur de la France… Cela a forcément une grosse influence sur le travail que je fais puisque ça me touche personnellement. A la limite, là-dessus, j’ai envie de dire que je n’adhère en aucune façon à tous les débats qui ont pu se constituer depuis tant d’années sur l’intégration. Le mot même d’intégration ne devrait pas être utilisé, parce qu’on remet en cause des choses qui se font naturellement dans plein de quartiers, comme si on voulait créer des polémiques pour masquer d’autres choses, comme si on voulait trouver des cibles aux problèmes économiques par exemple (je pourrais en citer d’autres…).
Les quartiers d’où l’aventure DDC est partie continuent à être catalogués comme zones à risque, souvent à cause d’une série d’a priori sur les populations qui y habitent – des populations parfois considérées comme peu françaises dans leur majorité…
Ce sont des populations non seulement considérées comme peu françaises ici, mais aussi quand elles retournent au bled… Bien souvent, elles ne sont pas considérées comme les gens qui habitent le pays en permanence. Cela déclenche de grosses crises d’identité chez les jeunes notamment, parce qu’on est tout d’un coup ni Français, ni Algérien, ni Camerounais. A l’arrivée, les gens ne savent plus ce qu’ils sont. Et donc il y a un gros travail sur l’identité à faire. A Droit de Cité, beaucoup de gens sont issus de l’immigration, pas uniquement (c’est vrai !). Pour des raisons historiques, nous étions implantés dans ces quartiers que l’on nomme trop souvent difficiles. Mais quand on dit difficiles, on vise les gens, on parle presque de gens difficiles. Alors que ce ne sont pas les gens qui sont difficiles, ce sont les situations, puisque s’y cumulent en fait tous les effets de la crise.
A Droit de Cité, on revendique en fait une nouvelle identité pour les hommes, à travers laquelle tous ces préjugés seraient balayés. C’est-à-dire que moi, je suis comme un jeune Africain, un jeune Asiatique ou comme un jeune Américain né dans un monde où ce ne serait plus compliqué, où ce ne seraient plus les injustices qui règnent… Je ne me reconnais en rien. Donc pourquoi ne pas croire en une nouvelle identité ? Pourquoi ne pas penser qu’on fait partie d’une nouvelle génération de gens qui va se construire son identité, en essayant de balayer tous ces préjugés, en essayant de prendre son avenir en mains, de ne plus laisser les politiques montrer leur impuissance à gérer de toutes façons. Et pourquoi ne pas prétendre se créer une identité par le travail que nous faisons, c’est-à-dire essayer de faire en sorte que les gens puissent vivre en harmonie, en essayant de régler les problèmes qui se posent sur le terrain pour que chacun puisse avoir ses libertés, sans empiéter sur le travail des autres ?
Ce travail que vous faites depuis cinq ans coïncide par moments avec le discours porté par la notion d’intégration. Or, vous refusez ce terme. Quel qualificatif donner alors à ces action que vous engagez dans une société qui refuse presque les gens issus des cités ou qui les redoute en tous cas de manière très négative… ?
On pourrait dire que c’est un travail de création, parce qu’on crée des choses avec des gens. Et notamment des gens issus de l’immigration. On pourrait parler de communication aussi, de vraie communication. Et pas cette communication qu’on nous impose et qu’on nous présente de manière biaisée bien souvent. Donc présenter les choses qui se passent réellement dans les quartiers avec ces gens-là. Montrer que l’immigration est une richesse et non pas un frein. Que les gens issus de l’immigration sont eux-mêmes actifs dans la société d’aujourd’hui, ne serait-ce qu’à travers les programmes que l’on met en place.
Il ne faut plus qu’on ait encore cette image simpliste du jeune des quartiers liée à la drogue, à la violence, à la délinquance ! A travers les programmes que l’on monte, on prouve que les jeunes, c’est la création, c’est l’imagination, c’est même l’idée d’appartenir à une nation. Toutes ces choses-là, on les voit, on les ressent. C’est difficile pour moi d’en parler, parce que je suis issu de là. Mais je vois à travers d’autres gens, issus d’autres milieux, qui nous rejoignent, qu’ils apprennent beaucoup de ces jeunes issus de l’immigration. Pour eux, à partir du moment où on nous impose cette notion d’intégration, à partir du moment où on pose la question de l’immigration, c’est qu’on pose justement la question de la légitimité de la présence des gens. Alors que si on revient dans l’histoire, on sait très bien que ces gens, on les a fait venir ici. Et maintenant, on voudrait qu’ils repartent. C’est n’importe quoi… C’est comme de jouer avec les gens. C’est quand même inacceptable. Et les gens ne savent pas tous ça. Il y a donc un travail de communication à faire. Je pense qu’on réalise à travers nos programmes une démonstration, une mise en action entre les gens et la réalité, parce que tout ce qui est communiqué à travers les médias est simplifié et donne à l’arrivée justement une fausse image des jeunes, notamment issus de l’immigration, et donc de l’immigration en général.

///Article N° : 289

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