Le nu au Congo

Exposition Motaka à l'espace Doual'Art

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L’espace Doual’Art ouvre ses portes à l’exposition itinérante Motaka,  » Le nu au Congo  » (1). Une grande première sous-régionale qui ne peut laisser le visiteur indifférent.

Des couleurs et des formes avantageuses. Des visages et des corps somptueux, irréellement vrais, prenant résolument le parti de la figuration (2). Des poitrines, des seins lourds, de bronze comme autant de viatiques échappés à la dure apesanteur des lieux. Des postures langoureuses, lorsqu’elles ne sont pas tout simplement provocatrices, nimbées de cette obscénité niaise, innocente, qui pare souvent de manière assez paradoxale et inique les plus grandes œuvres, telle cette  » Dame aux déliciosas  » de Balongo Ba Doudy Jean Claude. En un mot, près d’une vingtaine de toiles de femmes franchement  » dévêtues (3)  » accrochées aux murs d’exposition de l’espace Doual’Art.
Les itinéraires d’art bantou
 » L’association New Muuntu Africa Arts (New-Maa) est née pour se dévouer à la mise en valeur de l’art congolais et bantu  » comme le professe dans son propos liminaire, Lydie Pongault, présidente de New-Maa. Celle-ci a développé le concept d’un évènement culturel régional axé sur une exposition et une circulation de biens culturels, notamment des créations plastiques sous toutes les formes dont l’organisation est prévue tous les deux ans. L’exposition Motaka, le nu au Congo a bénéficié de la participation financière du PSAP (4) et de quelques autres partenaires institutionnels de la sous-région Afrique Centrale. Et cette idée d’une exposition sous-régionale est plus que jamais bénéfique tant pour les opérateurs économiques, les artistes que le public appelés à se greffer à ce mouvement. Et ce, malgré les nombreuses difficultés d’ordre managerial, financier et logistique d’un évènement de cette envergure impliquant l’intervention, la participation de plusieurs bras séculiers dans des Etats où les politiques culturels, faisant preuve d’un manque d’harmonie et de synchronisation flagrantes, sont loin de correspondre aux attentes des différents actants émargeant dans la production, la création, la mise en valeur, la commercialisation d’une œuvre d’art.
Pour cet accrochage de toiles, la sélection du nu comme thème central et unique, comme pour tout autre choix de travail, aurait pu ne rien revêtir d’extraordinaire. Cependant, le contexte congolais assez trouble, tout de suite antérieur à ces créations plastiques, peut être source de polémique.
En marge des agressions sexuelles de ces dernières années
 » Ce nu qui est la présence d’un corps ou sujet vu dans l’absence de toute structure tissulaire isolatrice pour l’œil physique ou mental : Le Motaka, est donc un exercice de haute voltige esthétique, intellectuel et artistique. C’est aussi une sorte de tourisme, de pèlerinage au dedans du corps de la femme, tout en prenant un soin méticuleux à l’expurger de toutes les violences dont il a été maculé tout au long du chapelet de guerres civiles qu’à connu le Congo. (5)  » Et de fait, un rapide coup d’œil sur les tableaux exposés permet de se rendre compte qu’ils proposent une esthétique, un déploiement plastique féminin, triomphant, un érotisme à fleur de toile qui éclate merveilleusement dans  » Femme nue au turban  » d’Iloki Jacques François,  » Nu pudique  » de Mayingany Gaston Roger,  » Etreinte oblique  » de Nzonzy Molvy Wenceslas et, atteint son apogée avec cette toile de Balonga Doudy Jean Claude  » La dame aux déliciosas « , aux teintes et au sujet même si peu académiques. Aphrodite noire fêtée dans toute sa splendeur et l’amplitude de ses formes. Mais quand même, une sorte de voile guilleret jeté sur la mémoire d’un peuple qui, avant même d’avoir fini ou même d’avoir appris à se souvenir de ses malheurs passés, en fait table rase, apprend à marcher gaillardement sur ceux-ci. Une résurrection christique qui évidemment escamote en un tour de passe-passe le corps du délit. Une attitude qui contraste étrangement avec le devoir de mémoire commun aux peuples et nations du monde entier. La Shoah sans le travail d’excavation des intellectuels juifs ! La guerre du Vietnam sans l’attitude résolument introspective des cinéastes d’Hollywood ! La guerre civile espagnole et ses exactions sans le Guernica de Pablo Picasso ! La traite des Noirs sans le Racines d’  » Alex Haley !  » 
Annonciation plus que dénonciation, mortification d’un éternel féminin qui se doit de transcender toutes les contingences liées aux imperfections, aux travers du temps des hommes. Amnésie collective ou production en atelier stérilisé, sécurisé, en studio commandé ou commandité sur le cadavre d’un corps violenté, violé, meurtri, moribond mais toujours vivant d’une magie, d’un envoûtement demeurant au centre de nos existences, au firmament de nos désirs, de nos fantasmes, de notre libido :  » Des saisons du corps féminin sont ici voyance et pépites fondatrices de notre être le plus secret. Le nu est notre matière première plus riche que bien des minéraux.… C’est que la réalité du nu s’adresse à l’extrémité intérieure de la condition humaine. Le nu au Congo veut donner non pas seulement à voir, mais aussi à toucher avec nos mains magnétiques des corps de femmes longtemps rêvées afin de suggérer à chaque humain d’en intérioriser les aspérités de la géographie intime, d’en fredonner le chant de chaque patrie sensuelle pour l’accomplissement personnel. (6)  »
Une tribune pour l’art bantou
 » New-Maa est née pour se dévouer à la mise en valeur de l’art bantu. Elle est d’ailleurs ainsi dénommée pour indiquer l’enracinement de notre quête de la beauté tant dans le nouveau, l’innovation, que dans la tradition bantu, traditions des valeurs de civilisation africaine. (7)  »
De manière traditionnelle, le principal moyen d’expression de l’art bantu, l’art de l’Afrique Noire était la sculpture. L’objet d’art participant d’une hiérarchie religieuse ou politique. L’œuvre d’art, tant dans la geste que le rendu fini, traduisait le pouvoir des forces vitales faisant partie intégrante du quotidien de l’homme noir. Le glissement vers la peinture comme médium d’expression apparaissant beaucoup plus tard avec le brassage intercontinental des races et des cultures, même si l’on note par le travail sur les fresques murales, les portes sculptées, les tatouages guerriers et d’embellissement, un avant-goût des possibilités d’extensions picturales sur la toile proprement dite.
L’examen des œuvres en proposition ici semble échapper de fait à cette philosophie sous-tendant la création primitive africaine. Ici, peut-être à cause de la thématique assez particulière (l’esthétique du corps nu étant souvent sa propre finalité), pratiquement point de trace du sacré ou du simplement utilitaire commun aux créations des artistes africains ou bantu d’il y a quelques siècles. Seuls deux tableaux offrent une ambivalence d’interprétation : Pentagone Téké de Madia Charles Food, plus axé sur les sciences occultes, et Sortie du Jardin de Makani Guillaume ouvrant sur le sacré de la tradition judéo-chrétienne. Le nu étant laissé au second plan, au profit d’un symbolisme, d’une narration religieuse suffisamment contemporaine et sans équivoque. La majorité des autres tableaux répondent plutôt à des thèmes sans surprise, devenus quotidiens dans les sociétés modernes africaines.
Le traitement même des postures, des poses aurait pu être le fait d’un Modigliani, ou encore d’un Toulouse-Lautrec surpris dans quelques maisons closes. La différence se faisant peut-être au niveau du rythme, des volumes, et de la tonalité des colorations que semblent assez bien faire ressortir ces peintres bantu se voulant répondre aux défis de la mondialisation. L’adhésion à cette modernité est même donnée par ce nu de  » Femme Téké au chapeau rouge  » de Matesama Béatrice affriolante à souhait, répondant de même à la coquetterie innée de la femme africaine.
De la dictature du voyeurisme masculin
Lors de la conférence de presse du Dr Jean Blaise Bilongo, commissaire de l’exposition, une question pertinente, a été soulevée par Mme Douala-Schaub, gérante de Doual’art, sur l’absence, la carence de sujets présentant le nu masculin. Le nu féminin ayant semble-t-il été préféré à tout autre. S’il est vrai  » qu’il y a comme un refus de penser la nudité de l’enfant par nos artistes (8) « , le traitement artistique de la nudité de l’homme ne semble pas être à l’ordre du jour. Le voyeurisme masculin ayant placé au centre de son champ visuel le corps de l’individu de sexe féminin. Le regard de l’autre (celui de la femme) sur le corps de l’homme n’ayant toujours pas droit de cité. Résultat, les femmes-peintres (9) de l’expo ont ainsi d’elles-mêmes sacrifié aux conventions picturales en vogue dans nos sociétés d’hommes, en peignant (tout comme les hommes) des corps de…. femmes ! (10) Une sorte de cécité artistique et d’imposture qui préfigure tout le travail qui reste à faire pour libérer l’écriture, la créativité féminine du regard fortement dictatorial de l’univers et des tendances plastiques masculines.

1. Exposition itinérante : Brazzaville – Pointe-Noire – Libreville – Yaoundé – Douala – 2002 -2003
2. Très peu de toiles de ce lot à forte tendance figurative. Citons  » Le nu au miroir bleu  » de Boboma Mionzo Jonas et  » Nu double à angle droit  » de Mongo-Etzion Remy.
3. Seul le tableau intitulé  » Sortie du jardin  » de Makani Guillaume ose aborder de manière assez lointaine d’ailleurs le nu masculin.
4. PSAP, programme de soutien aux arts plastiques, financé par l’Union Européenne.
5. Extrait du fascicule de présentation de l’exposition. Propos de Rémy Mongo-Etsion, Directeur Artistique.
6. Propos très inspirés tenus dans le fascicule de présentation par Dr Jean Blaise Bilombo, Commissaire de l’expo.
7. Lydie Pongault, présidente de new-Maa.
8. Propos de Jean-Blaise Bilongo tenus dans le fascicule de présentation.
9. Redisons-le, un seul tableau a pour sujet lointain un homme nu : Sortie du Jardin de Makani Guillaume
10. Les femmes-peintres de l’expo : Matesama Béatrice, Diansayi Nkayi Aurélie, Nkombo Reine.
///Article N° : 2895

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