entretien d’Olivier Barlet avec Eriq Ebouaney

Acteur dans Le Silence de la forê

Cannes, mai 2003
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Pas évident ce rôle de Gonaba au milieu de la forêt !
Moi qui suis très parisien dans l’âme, j’étais époustouflé en lisant le scénario et me suis dit que c’était l’occasion d’aller vers ce peuple dont personne ne parle. Un fois là-bas, je me suis aperçu qu’ils avaient tout compris à la vie. Essayant de découvrir le vrai moi à travers les personnages que j’interprète, j’étais mis en face de personnes qui avec rien arrivaient à trouver leur bonheur. Ils sont tellement simples, même en jouant ainsi la comédie, que j’ai compris qu’il ne fallait pas se casser la tête pour nourrir le personnage de je ne sais quoi mais plutôt être dans l’instant et la simplicité. C’est là la vraie vie et que le personnage se crée malgré nous. On se laissait porter. Ils n’arrivaient pas à apprendre un texte car ça n’a aucun sens pour eux : ils vivent, point final. Je me suis laissé porter par eux. J’ai découvert le film à Cannes et ça se sent. La seule indication qui leur avait été donnée était de ne pas regarder la caméra. Juste avant que ça tourne, on leur disait la réplique pour qu’ils puissent la répéter. Et quand on voit avec quelle intensité ils arrivent à être là, c’est spectaculaire : il faut être dans l’instant. Ils ne connaissent pas le jeu. J’ai appris à relativiser ma façon de concevoir mon métier de comédien en vivant avec eux.
D’après le film, c’était un vrai voyage initiatique…
C’était mon apocalypse now à moi, deux mois dans la forêt sans téléphone, avec des coups d’Etat qui se succèdent en Centrafrique qui font qu’il n’y a aucune infrastructure. Le matériel était au strict minimum. Les conditions climatiques, atmosphériques sont telles que l’équipe était sans arrêt malade. Au début, j’étais un peu parano car toute l’équipe était malade sauf moi. Mais un Pygmée m’a expliqué que c’était normal car j’avais bu le crachat de quelqu’un du village. Je n’ai eu aucune piqûre de moustiques, ni un palu ni rien alors que tout le monde était malade ! Même l’un des Pygmées du film avait une extension de voix : le sorcier nous a expliqué qu’on lui avait jeté un sort parce qu’il se pavanait, fier de jouer dans le film. Après une séance de désenvoûtement où le sorcier lui a sorti une énorme dent de gorille de la poitrine, il a pu rejouer comme il fallait ! On se demandait si c’était un piège et si on retournerait un jour dans la civilisation !
Comme dans le film, donc.
Oui, et finalement cela m’a peut-être aidé : ce personnage est aussi dans une quête initiatique du bonheur – est-ce aller avec une femme comme Simone ou bien alphabétiser un peuple que tout le monde déteste ? Les Pygmées sont soi-disant primitifs mais ils survivent ainsi depuis des siècles sans changer leurs habitudes. Ils s’amusent avec certaines influences comme le fait d’avoir des prénoms chrétiens, mais ils restent dans une vie de chasse et de cueillette malgré le déboisement qui massacre leur environnement. Tout ce que ce personnage a vécu et partagé avec les Pygmées reste en lui. Le problème est de retrouver la simplicité.
Il y a dans le côté volontariste de Gonaba quelque chose de Lumumba que vous avez aussi incarné dans le film de Raoul Peck.
C’est vrai. Lumumba voulait fédérer le peuple africain. Et puis il a été tué dans la forêt. Ils sont tous deux à la recherche du vrai esprit africain, qui est peut-être chez les Pygmées de la forêt, la terre-mère africaine… Cela donnera peut-être aux Africains un autre regard sur eux-mêmes pour mieux accepter les autres.
Vous virevoltez entre le cinéma et le théâtre avec des rôles importants.
Je suis venu dans ce métier sur le tard. Pour moi, être comédien est un voyage initiatique pour aller à la rencontre d’autres personnages, comment ils appréhendent la vie. Malheureusement, en France, l’homme noir est toujours regardé par le petit bout de la lorgnette et on imagine pas qu’il incarne autre chose qu’un balayeur ou un immigré. Cela changera peut-être ; c’est à nous de faire bouger les choses.
Comment vous situez-vous par rapport aux revendications du Collectif Egalité ?
Je ne crois pas aux quotas : la révolution, il faut la faire nous-mêmes. Il ne faut pas quémander. L’audiovisuel s’est démocratisé : faisons nos films sans attendre les aides. Aux Etats-Unis, c’est le résultat de longues luttes. Nous sommes une jeune communauté plongée dans une culture de colonisation. On peut se révolter contre le père pour exister, et le système ne pourra pas faire sans nous.

///Article N° : 2910

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