Textes du devenir

Print Friendly, PDF & Email

A Madagascar, la littérature est véritablement un genre majeur. L’écriture actuelle en découvre une dimension forte : le déclencheur de changement.

 » Ny demokrasia antenaina ho to
tsy feno fa ifalian’ny fo « 

 »  La démocratie que l’on espère accomplie
est incomplète mais le cœur est ravi « 
 » Indroa ny fitondrana no nazeran’ny vahoaka
Indroa ny firenena no mbola tsy tafavoaka « 

 » Deux fois par le peuple le pouvoir fut renversé
Par deux fois, la nation fut encore enlisée « 
 » samy mandeha samy mitady « 
 » A chacun son chemin, à chacun sa quête « 
 » traversée des ondes
ondes innombrables
ondes de rêve, ondes de vie
ondes de voix et de plaintes
ondes d’idées et d’esprit « 
Ranöe
 » Madagascar !
je te désire à moi !
je me désire à toi !
intimement
le monde entier…
…pour nous envier » ! « 
 » Délit d’espoir
Péché de changement
Où est le verbe de la création ?
Les mots discutant subsistance ?
Le monde est rêve de richesse
Auxquels les mots n’ont pas donné sens « 
Christiane Narisoa

Ecrivains sans livres
Pour les Malgaches, le vécu actuel de l’  » écriture  » est dans l’acte même d’inscrire : laisser des traces dans le grand livre du monde, sur le corps de l’homme, son esprit ou les choses. Cela s’apparente à ce que l’art contemporain désigne comme  » installation artistique  » ou  » performance « . Dans la lignée des  » hay-teny  » traditionnels, dont la dimension politique a été éclairée par Bakoly Domenichini Ramiramanana, entre  » haiku  » japonais et  » dazibao  » chinois, chacun de ces modes d’  » écriture  » est poesis au sens le plus strict : création littéraire, changement. C’est pourquoi, pour les Malgaches, il y a beaucoup d' » écrivains sans livres « .
Or, l’histoire et la critique littéraires contemporaines méconnaissent l’ampleur de ce phénomène. S’ajoutant aux problèmes d’édition, n’est donc vraiment connue, voire reconnue sur la scène de la critique, que la production de livres en guise de littérature. Les traducteurs comme les passeurs culturels manquent. Jeanine Rambeloson va même plus loin en pensant que cette lacune est due au fait qu’on n’ose pas donner la même valeur à la littérature malgache et la littérature mondiale par la traduction.
En outre, les seules langues audibles sur cette scène ne sont que les langues dominantes. Tout fonctionne comme si la littérature malgache était vouée au public malgache. Et le statut littéraire, comme celui d’écrivain, ne seraient vraiment acquis que quand l’écriture est en français, l’usage des autres langues restant marginal.
C’est une confusion faite entre aires culturelles et aires linguistiques. Déjà dénoncé par les poètes Jean-Joseph Rabearivelo dans les années trente, Jacques Rabemananjara et la négritude dans les années cinquante, le carcan du référent renvoie à l’invisibilité du rapport à la littérature mondiale. Et pourtant quelle richesse !
Les temps littéraires
Louis Ralaisaholimanana, le poète Ilay, souligne le tournant qu’a été 1968 pour la littérature malgache. Elle se tourne vers la vie sociale et le vécu de la population et réforme la sentimentalité mélancolique prédominante. Cela se retrouve massivement en poésie avec Di, Rado, Nalisoa Ravalitera, Randza Zanamihoatra, Ondatindroy ou Clarisse Ratsifandrihamanana. Les romans de E.D Andriamalala, écrivain emblématique de toute une génération, se détourne des rêveries mélancoliques pour s’interroger sur le vécu populaire. C’est tout un courant artistique qui émerge avec le groupe Mahaleo et ses chansons à textes, la redécouverte des chants populaires comme le vakisaova ou la création plastique contemporaine qui dominera la scène une trentaine d’années. Il est un des ferments des mutations entamées symboliquement un 13 mai 1972 pour la malgachisation.
Eugène Rakotomahafaly, poète populaire sous le nom de Ranöe, éclaire l’histoire politique de la littérature malgache sur ces deux dernières décennies. La grave crise économique ne s’améliore qu’avec la libéralisation, même si comme l’écrit Ny Aina (1):

Ce n’est pas sans lucidité que Lioka Ramarolahy scande vers la fin des années quatre-vingt-dix :

A la même époque Jaojaoby chante ce qui devient la version du chacun pour soi de l’époque :

Devant ce qui est vécu comme un déficit de valeurs, les poètes éprouvent le besoin de se redéfinir. Zo Maminirina  écrit pour  » la traversée du désert « , Dowdi Rajaofetra  » en quête de création « , Nalisoa Ravalitera en  » visionnaire « , Elie Rajaonarison en « prémonition et conscience vigile de la société « , Manitra Andriamasinoro comme le conscient et l’inconscient social, Tsitohery pour  » hanter  » le monde. En 2002, l’écriture est action. Des milliers de manifestants reprennent les vers du doyen des poètes, Rado, écrits en 1975 et qu’il revient lui-même déclamer sur la Place du 13 mai :  » l’opinion publique fera sauter le couvercle de la marmite ».
C’est au micro et sur les ondes que leurs écrits seront le plus entendus d’années en années :

C’est sans doute ce qui fait naviguer les poèmes de Sariakarandria (Ondine Online), de Dada Rabe ou de Masovôtok sur le net tout au long des événements de 2002. Les ondes poétiques sont désormais désinsularisées.
L’Ile de l’Ecrit
L’idylle littéraire de Madagascar et des écrivains est elle aussi temporelle… Elle tire l’écriture de la mièvrerie pour faire naître les plus fortes émotions. Comme le souligne Magali Marson, Jean-Joseph Rabearivelo voit en l’Ile la  » Source de Vie  » et la  » Terre des Rois « . Elle est  » l’Indestructible « . Jacques Rabemananjara l’écrit en  » Matrie  » et  » Femme  » :  » l’Incomparable « . Les poètes la chantent comme leur  » Liberté  » et s’en font ses héros.
C’est une autre sorte de hérauts que l’on voit apparaître dans les décennies noires de la crise. Une race de nouvellistes et de romanciers émerge de la fiction mélancolique ou des contes et légendes malgaches. Ils sont les anti-héros d’un pays de sang, de pourriture et de misère. Au-delà de la fiction, c’est bien Madagascar qui se profile derrière la  » Stérile  » de Michèle Rakotoson, la  » Sanglante  » de Bao Ralambo, les  » Enfers  » de Jean-Luc Raharimanana et Fota, la  » Tragique  » de David Jaomanoro et de Charlotte Rafenomanjato.
Ce sont les méfaits de ces ballades d’  » Ange Déçu  » dont Elie Rajaonarison versifie la déchéance de la déception, l’indicible de la perte et l’errement fatal des cercles vicieux. En 1993, le jeune poète Ira se dit rempli des  » clameurs ironiques de l’histoire et de l’angoisse du sort « .
Au siècle finissant,  » nous en sommes justement là : fatigués du décalage entre l’idéal de sagesse enracinée dans le passé oublié et la pesanteur des réalités auxquelles le Présent nous contraint et qui nous fait hésiter encore. Et nous n’osons pas contempler le miroir pour découvrir ce que nous vivons et sommes vraiment.  » (Elie Rajaonarison). Mais c’est le Même qui envers et contre tout continue à chanter  » Madacasikara « ,  » Belle des plus belles « (2) :

Au-delà de la sublimation et de ses déceptions, c’est bien le devenir qu’interrogent les écrivains malgaches en ce début de siècle :

Ambitions de poètes pour la littérature
Ira met les difficultés des Malgaches sur le compte de pertes des valeurs identitaires. Face à une culture assaillie par l’étranger, il en appelle à  » redonner sacralité à la culture de son pays « . Nalisoa Ravalitera enjoint notamment les jeunes à faire de la littérature malgache le souffle de la nation pour faire face à l’épreuve du torrent de culture étrangère qui se déverse sans discernement dans la vie des Malgaches. Solofo José voudrait développer le malgache fonctionnel et la maîtrise des langues étrangères. Ranöe demande à chacun de s’atteler à la traduction pour échanger et non seulement contre-balancer ou affronter les cultures étrangères.
Provoquant débat, Zo Maminirina souligne en effet à quel point les écrivains malgaches sont en conflit, voire victimes, de la société. Il craint que la mondialisation ait le même effet de rouleau compresseur que la révolution. Parodiant un proverbe malgache, il estime que  » si l’écrivain doit mourir, que meure la société ! « . Et il ajoute  » même si cela doit être l’anarchie, laissez-nous à notre paix intérieure « .
Ranjatohery Harilala rappelle que la littérature est un vif foyer de changement à Madagascar. Les écritures contemporaines deviennent traditions contestées quand les écritures nouvelles émergent. Certes, c’est lié aux changements même de la société mais cela se traduit d’abord par un conflit de générations d’écrivains. Dans une société où la concorde est au-dessus de tout, il souligne que le prix du changement est ce conflit assumé.
Pour sa part, Ilay invoque Baudelaire pour rappeler que jeûner de poésie est impossible à l’être humain. Il met la littérature, comme la culture, au rang de ses besoins fondamentaux. Comment le faire reconnaître ?

1. Les traductions qui suivent, sauf exceptions mentionnées, sont des traductions libres de Christiane Rafidinarivo
2. Traduction de Patrick Rakotolahy : Elie Rajaonarison,  » Ranitra « , recueil de poèmes, Editions Grand Océan, 1999, Saint-Denis, 256p
///Article N° : 2971

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire