Musées d’Occident : le Président Wade se trompe lourdement

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J’ai hésité un peu avant de prendre la plume après les propos d’un autre âge avancé par le Président Wade lors de la pause de la première pierre du futur éventuel Musée des Civilisations. Parce que dire que les objets d’art africain ont trouvé leur place idéale dans les Musées d’Occident bien climatisés et sans conservateurs véreux, ajouter que les pays pauvres d’Afrique n’ont ni les moyens ni l’enthousiasme de bien conserver de telles œuvres, c’est non seulement rabâcher les pires thèses de l’idéologie coloniale, mais plus grave encore ignorer Tout de l’identité de l’art nègre et des travaux de recherche de qualité sur ces questions.
Je me disais très sincèrement que c’était encore là une boutade sans lendemain d’une politique spectacle et qu’il fallait simplement en sourire avec condescendance. Mais, lorsque j’ai noté que le Mémorial de Gorée trouvait à cette occasion, un enterrement de première classe, j’ai pensé que ce serait inadmissible de se taire devant tant d’amalgame et de mépris.
AMALGAME ? Parce que confondre un Programme culturel comme le Mémorial et des règlements de compte politiciens avec le régime précédent signifie que la place et le rôle de la culture dans le destin d’une Nation ne sont pas bien compris en haut lieu. Ce qui n’augure pas de lendemains heureux pour le futur Musée. Car, s’il est monté uniquement pour faire  » alternance « , il ne fera pas long feu d’autant que les acteurs de cette  » alternance  » se sont dispersés aux quatre horizons des ambitions politiques par la faute d’un sectarisme pouvoiriste fait de perversion des idéaux du 19 mars 2000.
Ce n’est pas une sombre destinée qui est ainsi dite sur le Musée (une belle idée en soi que j’approuve et qui pouvait ETRE sans rivalité haineuse avec le Mémorial et qui pouvait même cheminer harmonieusement avec les orientations esthético-historiques du Mémorial si la Culture dans son identité intrinsèque était comprise), mais ce sont des conclusions qui s’imposent au vu des états d’âme supérieurs exprimés. Et ce serait ridicule si demain on retenait que la mort du Mémorial ne fut le fait que d’une banale question de paternité parce que les raisons techniques, scientifiques, culturelles et esthétiques qui justifient encore ce Programme du monde noir n’ont jamais été remises en cause.
Non pas que je sois conservateur en ceci ou en cela mais parce que, s’il y a un domaine de la vie des Nations qui échappe aux contingences politiques, c’est bien celui des arts et de la culture. Ce sont ces domaines, les seuls, qui survivront aux Rois et aux Reines, aux Premiers Hommes et aux Premières Dames et qui témoigneront des riches heures d’une civilisation. L’Acropole ? Les Pyramides ? Les Temples Incas ? Babylone ? Versailles ? Ce n’était pas de visions au bout du nez. Ce n’était pas des ôte-toi que je m’y mette ! Des régimes se sont succédés, chacun de ces témoignages de l’Homme a été respecté, enrichi, entretenu. Nous autres Sénégalais et nos Chefs, pour qui nous nous prenons ? Avons-nous appris et assimilé les leçons de l’histoire ? Ou préférons-nous être d’éternels troglodytes fiers de notre horizon à hauteur d’épaule ?
Aucune politique culturelle viable et aucun Concept artistique digne de l’Homme ne peuvent se construire strictement pour les intérêts et dans l’espace étroit d’un règne. Quel qu’il soit !
Que faire maintenant de la réplique du Mémorial sur l’île de Gorée ? Faudra-t-il la brûler maintenant, puisque le Président Wade ne l’aime pas ? Sait-on comment a été choisie son architecture et son auteur ? Sait-on les communautés qui se sont impliquées et qui se sont reconnues dans sa symbolique ? Tous ceux qui ont suivi la compétition internationale à l’époque et qui comprennent la valeur de l’image dans l’écriture de l’histoire restent choqués par la légèreté avec laquelle un Programme opérationnel fait place à ce qui n’est encore qu’un Projet, je ne dis pas un rêve.
Tout cela rappelle un certain Staline qui se mêlait de tout et décrétait à son Comité Central, selon ses propres sentiments, la direction dans laquelle les artistes devaient créer, les linguistes légiférer, les enseignants et chercheurs travailler, les Programmes culturels être réalisés. C’est vrai, le Président Wade n’a rien de commun avec cet homme. Mais il y a parfois des habitudes convergentes et des rapprochements qui ne sont pas toujours insolites.
J’ai parlé de MEPRIS aussi parce que ce qu’à répété le Président Wade n’est guère nouveau. L’idéologie coloniale faite de mépris des valeurs de civilisation nègres, d’humiliation, d’exploitation, de vol, de viol et de violence en tout genre ne saurait servir de modèle d’analyse et de jugement à ceux qui croient à l’identité africaine et se battent réellement pour l’unité politique, économique et culturelle du continent.
Personne ne saurait gommer l’histoire des relations sanglantes entre l’Afrique et l’Occident. Personne ! PERSONNE NON PLUS NE SERAIT RAISONNABLE EN PLEURNICHANT SUR LE PASSE AU LIEU DE FAIRE LE PARI DE L’AVENIR. CE QUI NE VEUT PAS DIRE OUBLIER ENCORE MOINS VANTER SANS RAISON LES ERREMENTS DE LA COLONISATION SOUS PRETEXTE D’UNIVERSALISME, DE MODERNISME ET DE TOUS SES ISMES QUI COMBLENT LES CARENCES ET LES LAXISMES.
Je n’ose pas demander au Président Wade s’il a relu les cruautés inouïes de la troïka des missionnaires, des marchants et militaires coloniaux qui ont sillonné l’Afrique par le feu et l’épée pour le même objectif : détruire les civilisations africaines pour que soit imposée  » la seule et unique civilisation  » ? Au XIXème siècle surtout, les sculptures en bois servaient souvent à alimenter le feu pour la cuisson des aliments des missionnaires et autres maîtres de la colonie.
Quant aux marchands-ethnologues, surpris par tant d’équilibre et de majesté dans la composition des œuvres nègres, ils choisirent de les acheter en masse, de les voler le plus souvent, de confisquer ainsi des témoignages des réalisations de l’esprit créateur nègre. Le patron de la muséographie allemande, Adolf Bastian l’avouait clairement :  » Nous achetions en masse, pour sauver de la destruction les produits de la civilisation des sauvages et les accumulions dans nos musées ».
Illustre façon de faire œuvre de civilisation et de science! Car, comment peut-on parler de sauver de la destruction des œuvres dont on ne sait pas comment elles ont été réalisées, ni par quel système leur dation se faisait ni par quelle technique de conservation elles ont défié le temps jusqu’à l’arrivée des experts pillards et voleurs comme Bastian ? Le Président Wade sait-il que les œuvres nègres qui dorment en Occident étaient parfaitement bien conservées des millénaires avant l’arrivée des voleurs de France, d’Allemagne ou de Belgique ?
Quel mépris culturel exprimait l’idéologie coloniale en osant soutenir que l’Occident cherchait à sauver les œuvres nègres des mains criminelles nègres qui les avaient créées ? Comment expliquer la frénésie par laquelle la production artistique africaine étaient dilapidée en masse pour aller meubler des musées d’Occident ? Y avait-il un dialogue amical qui faisait que les Nègres du Congo ou du Bénin offraient le sourire aux lèvres leurs œuvres au bienfaiteurs d’Occident ? De qui se moque-t-on en faisant croire que la muséographie occidentale n’était préoccupée que de charité chrétienne et de science ?
Non, ces questions ne s’adressent pas au Président Wade. Elles sont là pour appeler des réponses qui montrent comment cette stratégie des pillards a piétiné l’Afrique dans ses valeurs et dans ses magnificences artistiques : un véritable cannibalisme culturel et artistique sur l’Afrique et les Africains. Les marques essentielles de la dignité des peuples d’Afrique sont étouffées. L’école coloniale s’installera pour imposer les modes d’être et de penser de l’Occident envahisseur. Toute une logique de triomphe de la raison des plus puissants s’implante minutieusement et place l’humanité au cœur des comportements que  » la  » civilisation a toujours taxés de  » barbares  » et de  » sauvages « , en pleine loi de la jungle, c’est à dire dans l’antre même du cannibalisme.
Comment alors le Président Wade peut-il répéter de telles barbaries et cautionner l’humiliation? Sur quelle expertise scientifique, culturelle et esthétique s’appuie-t-il pour rejeter l’aptitude des civilisations nègres qui ont créée les œuvres de les conserver aujourd’hui encore ? Sait-il que le musée occidental pervertit la destinée physique et esthétique de ces œuvres et que c’est sous le soleil et l’humidité des terres d’Afrique qu’elles trouvent leur espace d’épanouissement par excellence ?
Comment pouvez-vous accepter, Monsieur le Président, les appréciations artificielles portées sur l’art nègre dans ces musées de Londres, de Berlin ou de Paris qui ne sont pas des exemples d’éthique au niveau de la conservation encore moins de pertinence esthétique dans la lecture des œuvres ? Quelle différence au fait entre ces musées qui ont la profonde admiration du Président et les fameux cabinets de curiosité qui étaient devenus au dernier quart du XIXème siècle, des lieux de reconstitution d’objets provenant d’horizons exotiques où la valeur marchande de chaque œuvre et toutes les autres caractéristiques portées sur elles se faisaient toujours selon les certificats de beauté occidentale ? En 1870 d’ailleurs, certains experts dont Jules Ferry, exigent que soit maintenue de  » façon radicale, la distinction entre races supérieures et races inférieures «  et que dans le Louvre, les objets fabriqués par les sauvages ne soient pas rangés dans les mêmes espaces que les œuvres d’art de l’Occident.
Faudrait-il ajouter ce qu’un autre expert chevronné de l’Afrique, Léo Frobenius, enseignait : les sculptures des civilisations d’Ife  » ne peuvent être que d’origine grecque « . Pour lui, les artistes nègres étaient de vulgaires tricheurs tirant de magazines occidentales (qui les diffusaient, à qui ?) les images de leurs œuvres ! On ne pouvait être plus ignare et plus mal intentionné face à la réalité.
C’est vrai encore, notre pays n’a jamais été aux premiers rangs dans le combat pour la restitution des biens culturels volés par l’Occident. Cela se comprend pour diverses raisons dont celles liées au lieu de recèle qu’ont été certaines institutions implantées ici à Dakar. Et je le dis très humblement, le Président Wade se trompe lourdement sur cette question des musées d’Occident. Il n’avait nullement besoin de justifier toutes ces falsifications de l’histoire contre lesquelles Cheikh Anta Diop s’est battu toute sa vie durant.
C’est comme si, en regardant les arts et les hommes d’Afrique et en niant leurs identités, l’Occident se donnait un faire valoir pour mieux vanter son propre système artistique et enfouir dans l’oubli toute trace d’humanisme chez les Nègres. Malgré les découvertes des peintures africaines millénaires du Tassili qui apportaient des démentis cinglants à la hiérarchie fixée par les fantaisies de la science coloniale et malgré la lecture des fresques du Kalahari 5000 ans av. J. C., qui ont été un témoignage édifiant sur la maîtrise scientifique par les auteurs de ces œuvres des différents pigments sur les roches qui ont défié le temps, l’idéologie coloniale continuait de justifier son mépris des valeurs de civilisation du monde noir.
Inutile de dire que les  » indépendances africaines  » ont vu cette idéologie changer de masque et s’appeler  » coopération « ,  » aide fraternelle  » avec toujours cette imagerie du Nègre applaudissant tous les faits et gestes de son cher ex-colonisateur qui continuait de le considérer comme être bizarre. En effet, que l’Africain soit bien au fait des toutes dernières découvertes scientifiques, qu’il sache parfaitement expliquer l’alpha et l’oméga d’une technologie donnée, on se demandera toujours quel rapport a un tel rescapé de l’analphabétisme et des pandémies de toutes sortes, avec son peuple arriéré et pauvre. De la même manière, on trouvera beaucoup plus dans l’ordre normal des choses qu’un artiste d’Afrique expose des  » masques effrayants « , des griffes de panthère et des tiges de bambou dans une galerie, en lieu et place d’une installation vidéo.
De quoi alors je me mêle, pauvre critique d’art, en refusant qu’on félicite les pillards d’hier et d’aujourd’hui ?

///Article N° : 3033

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