Et les arbres poussent en Kabylie

De Djamila Sahraoui

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Dans Algérie, la vie quand même, Djamila Sahraoui retournait dans le « bled » où elle a grandi pour saisir la vie des jeunes à l’époque des massacres et du terrorisme d’Etat qui tue l’espoir. On y voit les jeunes « hédistes » (mur, hed en arabe), ces jeunes qui se nomment eux-mêmes « analphabètes bilingues » (arabe/français), éternellement adossés à un mur, jouer d’humour et d’autodérision (un sport national en Algérie, dira la réalisatrice). Lorsque ces jeunes ont vu le film sur Arte, ils se sont rendus compte que leur ville avait une allure de bidonville. Le contrat fut alors d’y revenir filmer à condition qu’ils arrangent leur cité. Dans Algérie, la vie toujours, la chose se fait : les jeunes se prennent en main, peignent des murs, plantent des arbres ! Elle laisse la caméra à son neveu Mourad… et revient neuf mois plus tard pour reprendre la caméra et faire le montage.
Mourad s’était complètement approprié le film. Il avait habitué tout le monde à sa présence : « Ils savent que je ne suis pas un professionnel et qu’ils ne prennent pas de risque ». Et l’émotion était là, de voir les jeunes planter des arbres, faire une collecte pour financer les travaux, être responsables de leur environnement.
Et les arbres poussent en Kabylie reprend le même dispositif pour filmer la même Cité des martyrs, mais y adjoint une question lancinante : « pourquoi tu filmes ? » Les images de communauté, de solidarité, de proximité répondent par elle-même. « Pourquoi tu filmes ici ? » Parce que ces jeunes désoeuvrés ont fait une association pour rénover le quartier et que cette victoire est un véritable sujet. De film en film, Djamila Sahraoui documente ainsi l’avancée du quartier, toujours aidée de son neveu Mourad à la caméra. Mais le contexte politique prend cette fois le dessus. Depuis la marche sur Alger montrée dans Algérie, la vie toujours, les émeutes en Kabylie ont fait 120 morts. « Ne provoquez pas les CRS pour que Mourad puisse tourner ! » La fragile caméra vérité qui se faisait oublier est devenue témoin, outil de mémoire. D’année en année, Djamila Sahraoui et son neveu Mourad documentent la terrible dégradation d’un pays. L’embellissement de la Cité des martyrs, en montrant la capacité de ce peuple à se prendre en mains, révèle mieux que tout discours l’absurdité de la situation. Le regard tendre posé sur les gens simples, les vieux, les femmes, les jeunes, ce regard qui n’est jamais méprisant ou anecdotique, restaure aux événements le poids de l’humain. « Avril 2003, indique le placard de fin, les émeutes continuent et les arbres poussent à la Cité des martyrs ».

///Article N° : 3041

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