Forum vidéo de Lagos : les avancées du professionnalisme au Nigeria

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La troisième édition du forum international cinéma et vidéo de Lagos, organisé du 10 au 12 juillet 2003, a mis l’accent sur le contenu et sur l’amélioration de la qualité de la production audiovisuelle nigériane, dans un contexte de croissance exponentielle de la production (Entre 2000 et 3000 films vidéo produits en 2002, dont 880 seulement visés par la commission de censure).

Le Forum de Lagos est une manifestation annuelle créée en 2001 par l’Association des Producteurs de Télévision Indépendants du Nigeria (ITPAN) avec le soutien du service de coopération de l’Ambassade de France. Elle représente la principale plate-forme d’échange des professionnels nigérians à la fois entre eux et avec des partenaires étrangers. L’édition 2003 a vu la participation de réalisateurs, distributeurs ou sponsors venus d’Afrique du Sud, du Zimbabwe, des Etats-Unis, de France et du Bénin. Lors de la cérémonie d’ouverture, au Centre culturel français de Lagos, le Prix Nobel de Littérature Wole Soyinka s’en est pris à la télé-réalité (présente au Nigeria à travers la chaîne à péage sud-africaine M-Net et son programme  » Big Brother « , impliquant des participants nigérians). Ce type de programme représente pour lui à la fois une  » célébration de la banalité et de l’immoralité  » et la négation du besoin de création :  » Qui a besoin de Sembene Ousmane, qui a besoin de Spielberg, qui a besoin de Ouedraogo, qui a besoin de Tunde Kelani, qui a besoin de  » Yeelen « , qui a besoin d’   » Agogo eewo « , qui a besoin de  » Tilaï  » ?  » a-t-il ironisé.
Face à ces interrogations, les organisateurs avaient mis le contenu des films et la fonction de  » raconteur d’histoires  » de leurs auteurs au premier plan des préoccupations du forum, lequel a été suivi, du 14 au 18 juillet, par un atelier d’écriture animé par le Zimbabwéen Ben Zulu et l’afro-américaine d’origine nigériane Omonike Akinyemi. Comme lors des précédents forums, des coopérations internationales ont pu s’enclencher à cette occasion. Ben Zulu, invité en juillet par les organisateurs en tant que directeur de l’African Script Development Fund, est revenu à Lagos un mois plus tard, à ses frais, pour poursuivre le travail entamé avec les participants de l’atelier d’écriture et préparer la production de l’un des scénarios écrits.
Deux ans plus tôt, un partenariat entre le Nigérian Tunde Kelani et le Zimbabwéen John Riber avait débouché sur des accords de distribution croisés. L’un des fruits de cette collaboration a été la réalisation d’une version  » pidgin  » du film  » Yellow Card « , destinée au public nigérian et présentée lors du 3è Forum de Lagos.
Autre événement de ce forum, la projection du film  » Lumumba  » de Raoul Peck, inédit au Nigeria, devrait, de la même façon, déboucher sur une distribution (en version anglaise) par le même Tunde Kelani.
Les principaux objectifs du soutien apporté par la France à l’Association des producteurs indépendants du Nigeria sont l’ouverture sur l’extérieur et l’amélioration de la qualité. Le Nigeria peut être qualifié désormais de grande puissance audiovisuelle. Sa production vidéo est de plus en plus hégémonique en Afrique (diffusions télévisées quasi-quotidiennes au Kenya, succès grandissant — et d’ailleurs menaçant pour la production locale — au Ghana, percée de plus en plus impressionnante dans les pays francophones, y compris par le biais de projections publiques avec traduction simultanée, comme au Congo Démocratique). Mais paradoxalement la plupart des producteurs nigérians restent obnubilés par leur marché intérieur et par des supports de diffusion qui n’incitent pas à l’amélioration de la qualité technique (cassettes VHS et CD vidéo destinés essentiellement au marché de la vidéo domestique).
La projection, lors du forum, de plusieurs productions étrangères tournées en film ( » Hang time  » de Ngozi Onwurah, production zimbabwéenne,  » Lumumba « ,  » Article 15bis  » de Balufu Bakupa Kanyinda, doublé en anglais) a permis à beaucoup de participants nigérians de prendre conscience du déficit technique et artistique dont souffrent la plupart de leurs productions.
Parallèlement, cette même confrontation a fait ressortir les atouts de la production à la nigériane : sens du public, efficacité des scénarios, énergie et rythme impressionnants. Le film  » Addict  » de Fred Amata, présenté en avant-première lors du Forum illustre à merveille tous ces atouts et montre en même temps les limites du savoir-faire nigérian : le rythme haletant se traduit par un manque de respirations et l’intrigue tire son efficacité d’une démarche souvent trop didactique. Ces défauts liés à un manque de confrontation avec des œuvres extérieures s’ajoutent aux insuffisances techniques et contrecarrent les aspirations des producteurs nigérians à des modes de diffusion plus prestigieux et plus internationaux (projections publiques, télévisions satellitaires). Le marché télévisuel continental, largement contrôlé par des opérateurs sud-africains est loin d’être ouvert aux Nigérians dont la diffusion relève encore pour l’essentiel du secteur informel. Dans ce sens, le Forum de Lagos a permis d’envisager des partenariats avec le Festival des Trois Continents en France et le Sithengi (marché du film sud-africain) représentés respectivement par Laurent Mareschal et Michael Auret.
Au-delà du Forum de Lagos, l’Ambassade de France soutient depuis deux ans le centre de formation de l’Association des Producteurs de Télévision Indépendants. Cet appui a permis l’organisation de plusieurs dizaines de sessions de formation dans des domaines techniques ou artistiques. Le centre a également été équipé fin 2002 d’une unité de tournage numérique et d’un banc de montage virtuel.
En matière d’aide à la production, le soutien de l’Ambassade de France (à travers la prise en charge d’un directeur photo français en 2001) a permis au réalisateur Ladi Ladebo d’achever cette année l’unique long-métrage nigérian tourné en celluloïd depuis plusieurs années. La projection de lancement de ce film intitulé  » Heritage  » a eu lieu le 18 août dernier à Lagos.
Enfin, l’intérêt des producteurs nigérians pour les systèmes français d’aide à la production semble se développer. Trois d’entre eux viennent de présenter des projets au Fonds Sud Télévision.

Femi Odugbemi : [email protected] – Pierre Barot : [email protected]///Article N° : 3063

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