L’émergence de la jeune photographie sur fond de crise socio-politique en Côte d’Ivoire

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Alors que la photographie africaine connaît un certaine reconnaissance internationale dans les années 90 avec, la naissance des premières Rencontres Photographiques de Bamako, certains pays émergent sur le devant de la scène, tels que le Mali, le Sénégal et l’Afrique du Sud. En effet, ces pays sont fortement représentés sur le plan officiel, ce qui n’est pas le cas de la Côte d’Ivoire.

Cette « mise en retrait » suscite des interrogations, notamment celle-ci : quelle politique adopter pour accéder à une participation effective à ces rencontres ? Ce n’est que plus tard, en 2001, lors des 4èmes Rencontres de Bamako, que l’on voit émerger la jeune photographie en Côte d’Ivoire. Le débat s’enrichit de ce fait, et de nouveaux acteurs font leur apparition, d’autant plus déterminés qu’ils sont jeunes.
Comment en est-on arrivé à ce résultat ?
Nous ne pouvons répondre à cette question sans évoquer les Rencontres du Sud, le mois de la jeune photographie d’Abidjan qui s’inscrit, plus que tout autre événement, dans l’histoire de cette jeune photographie en Côte d’Ivoire.
Tout débute en 1999, quand l’idée de créer un mouvement d’ensemble fait surface : organiser un événement qui devienne une sorte de succursale des Rencontres Photographiques de Bamako ; et de cette façon, contribuer à son renouvellement, en revitalisant son contenu au fil des éditions. Cet événement constituerait un vivier sûr, dans lequel viendraient puiser les organisateurs du festival de Bamako, événement phare en la matière. En outre, d’un point de vue local, le but est non seulement d’arriver à une reconnaissance de la photographie en tant que moyen d’expression artistique, mais aussi de stimuler des talents qui, jusque là, restaient latents. Car il est inconcevable de croire que la photographie en Côte d’Ivoire se résume à une ou deux individualités.
Cette action révolutionnaire va coïncider avec l’ouragan socio-politique qui dévaste la Côte d’Ivoire à partir du 24 décembre 1999.
Un coup d’Etat inoubliable, le premier de toute l’histoire du pays, renverse le gouvernement d’alors et son président Henry Konan Bédié. Le pays passé aux mains de l’armée nationale, le général Robert Gueï, dit « papa noël » (allusion à la date du coup d’Etat), devient le président de la Côte d’Ivoire et constitue un gouvernement de transition. Le portefeuille de la Culture revient à madame Henriette Dagry Diabaté qui s’est déjà par le passé illustrée dans cette fonction. Malgré le retour à un calme relatif, le pays reste cependant en état de crise. Un couvre-feu est décrété. Inévitablement, les activités culturelles en souffrent.
Dès lors, la situation se révèle difficile pour les organisateurs des Rencontres du Sud, d’autant plus que toutes les aides extérieures ont été suspendues suite au coup d’Etat. Or, la première édition est prévue pour mars 2000.
Par la suite, des arrangements diplomatiques vont permettre le rétablissement de la coopération et faciliter le retour des aides extérieures. La tension retombe enfin, faisant place à une relative accalmie favorable à la réalisation de ce projet. La Côte d’Ivoire reste cependant extrêmement fragilisée par cette crise, dont on redoute déjà le dénouement…
Nous sommes en 2000, l’équipe des Rencontres du Sud soumet son projet au ministère de la Culture qui l’assure uniquement de son soutien moral. En effet, compte tenu de la situation pour le moins trouble, aucune aide financière ne peut être envisagée, autrement dit, les caisses de l’Etat sont vides, et l’un des premiers ministères à connaître une restriction budgétaire est celui de la Culture.
En dépit de toutes les épreuves qui rendent incertaine la réalisation de ce rendez-vous culturel, la date du 2 mars 2000 est maintenue, vaille que vaille !
Naissance d’une collection
En fin de compte, le pari a bel et bien été tenu. L’initiateur du projet et Catherine Aflalo, directrice artistique des Rencontres du Sud, affirment :
« Pour cette première édition des Rencontres du Sud, nous avons sélectionné des photographies créatives dans les archives de 10 photographes ivoiriens et deux sénégalais. Ceux-ci ont bien voulu nous faire confiance et accepter de se trouver à la merci de notre arbitraire. C’est avec un certain vertige et surtout la recherche d’une émotion esthétique que nous avons fait nos choix, conscients de notre responsabilité à élire ces clichés. Il s’agit le plus souvent de photo dévoilant une autre réalité que celle de la vision ordinaire et dont la qualité artistique s’est imposée à notre sensibilité. Aujourd’hui en mars 2000, nous avons ainsi constitué une collection d’environ cent clichés qui révèle un pan de la photographie en Côte d’Ivoire. Collection à enrichir au fur et à mesure des éditions. Nous désirons ainsi encourager les photographes exposés et inciter d’autres à adopter une démarche artistique originale et une recherche esthétique dans leur travail. L’exposition de ces clichés est une façon de détourner la photographie de son usage courant, l’illustration de magazines, et de faire en sorte que la photo de création puisse vraiment pénétrer le milieu des arts. Nous désirons montrer ces images afin qu’elles soient remarquées, nous l’espérons, même au-delà des frontières de la Côte d’Ivoire. De cette façon, très modestement, la biennale des Rencontres du Sud rejoint d’autres initiatives en Afrique dans le but de développer des rencontres entre artistes du sud et d’ailleurs. »
Malgré une programmation trop chargée et en dépit de la visite, le jour même de l’inauguration, d’une personnalité représentant le gouvernement libérien d’alors, la ministre Henriette Dagry Diabaté tient à honorer de sa présence le lancement de la manifestation. Son intérêt pour la photographie se justifie notamment par le fait qu’elle est fille et soeur des photographes Pierre Dagry et Alexandre Dagry. Ce dernier est d’ailleurs mis à l’honneur, en tant que doyen, lors de cette première édition des Rencontres du Sud.
Ainsi, une collection de plus de cent photographies met à jour un potentiel d’une immense richesse, qui n’attendait plus que d’être dignement dévoilé. Place lui est faite dans quatre lieux d’exposition : le Centre culturel français, le Goethe Institut, le musée des civilisations de Côte d’Ivoire et, la galerie Arts Pluriels dirigée par madame Simone Guirandou N’diaye. Si la plupart des tirages sont de format 30 x 40 cm, certains font 1,20 x 1,80 m. Tous sont tirés sur du papier baryté, ce qui confère un caractère important à cet événement, du fait de sa qualité et de sa dimension. Les livres d’or en disent d’ailleurs long sur l’accueil que le public a réservé à ces expositions. D’autre part, l’occasion est enfin donnée aux journalistes culturels d’exercer leurs plumes sur un art qui ne leur était jusqu’à présent pas familier, compte tenu de la quasi-inexistence d’expositions photo de cette envergure en Côte d’Ivoire. A travers cet événement ont été posés les premiers jalons d’un travail qui requiert désormais un suivi.
Un mois plus tard (avril 2000), sous l’impulsion de la même ministre et de son équipe, une exposition nationale est organisée, pour reconstituer en un seul endroit, le Palais de la Culture, cette mosaïque culturelle qui fait la richesse la Côte d’Ivoire, mosaïque sérieusement entamée par le concept d’ivoirité. Nous sommes sous la transition et l’heure est à la réconciliation.
A cette exposition pluridisciplinaire va être associée la photographie. Pour la première fois à Abidjan, nous assistons à une cohabitation équilibrée dans la mise en espace, entre des photographies grand format (de 1,20m sur 1,80m) et d’autres œuvres (peintures, sculptures…), très souvent monumentales.
Intérêt à double facette
Alors que certaines disciplines artistiques (peinture, sculpture…) en Côte d’Ivoire connaissent une saturation, la photographie, elle, qui a longtemps souffert d’une incurie injustifiée dans le milieu des arts, émerge enfin et franchit même les frontières. En juillet 2000, les Rencontres du Sud sont invitées à présenter dans le programme off du festival d’Arles une sélection de ses travaux, lors d’une projection dans la Cour de l’Archevêché qui réunit plus de 500 personnes. Incontestablement, cette jeune photographie suscite un vif intérêt.
Simultanément, la situation politique en Côte d’Ivoire connaît une nouvelle dégradation et fait à nouveau la une des journaux. Certains photographes ivoiriens, présentés aux Rencontres du Sud, vont être sollicités par la presse européenne, et dans la foulée, être recrutés par le nouveau département photo de l’agence Panafricaine de Presse (Panapress), dont la politique est de collaborer avec des photographes africains résidant en Afrique. D’autres vont par la suite être des représentants permanents (des « fixeurs ») d’agences européennes et suivront l’actualité sur place.
Les élections présidentielles vont accroître les divisions. Les différents partis vont s’affronter, s’en suivra une émeute tragique. Le sang va couler et maculer la terre ivoirienne.
Le nouveau président de la Côte d’Ivoire s’appelle Laurent Gbagbo. Nous sommes en 2001. En octobre de cette même année, les 4èmes Rencontres Photographiques de Bamako ont enfin lieu après plusieurs reports. Les jeunes photographes ivoiriens font cette fois-ci partie de la programmation officielle. Une place importante leur est accordée, même l’auteur du visuel de cette 4ème édition, est issu du groupe.
Sous le signe de l’aventure
Forts de ce résultat, les organisateurs des Rencontres du Sud entament les préparatifs de la seconde édition prévue pour mars 2002, dans des conditions aussi difficiles que la précédente :
« Deux années déjà passées et nous sommes à nouveau engagés sur le chemin de l’aventure : celui de la deuxième édition des Rencontres du Sud, le mois de la jeune photographie d’Abidjan. La notion d’aventure renvoie à l’imprévu, au hasard, au péril, au risque pris. Et c’est effectivement ce qui ponctue notre chemin, depuis que nous y sommes engagés.
La notion d’aventure comprend aussi l’idée d’à-venir, de ce qui doit ad-venir, quoi qu’il arrive.
Nous n’avons pas dévié de notre chemin. Mais les attributs de cette notion d’aventure en ont modelé les contours. La détermination et la certitude d’être en route, sur la bonne voie, lui ont donné un lendemain… »
La nouveauté pour cette seconde édition est le choix d’une thématique : « Photographie et Mariage ». Par ailleurs, elle s’ouvrira à des photographes européens. C’est là l’occasion de faire un éclairage sur le terme « Sud » qui ne devrait pas avoir un sens réducteur :
« La physionomie de cette 2ème édition est plutôt sans frontières : nous abordons la topographie du Sud au sens large. En effet, nous désirons contribuer à la reconnaissance de la photographie en Afrique tout en consolidant les échanges qui participent à l’affirmation de son identité. »
Cette 2ème édition n’a certes pas bénéficié d’autant de moyens que la première mais a été plus riche, du fait des activités qui ont marqué la période des rencontres. Des photographes du Ghana, du Mali, d’Allemagne, de France et des locaux ont participé à un workshop. De plus, l’association Oscura a animé un atelier d’initiation au procédé du sténopé, destiné aux jeunes du Centre d’Ecoute de la commune d’Adjamé (Abidjan nord).
A peine les lampions des rencontres éteints, le pourrissement de la situation socio-politique se concrétise par une nouvelle attaque armée dans la nuit du 19 septembre 2002, qui débouche sur la paralysie du pays, désormais coupé en deux.
Abidjan va vivre dans la terreur, au rythme des couvre-feu. Les activités culturelles comme bien d’autres vont connaître un ralentissement, voire un arrêt complet et définitif. La tension de plus en plus lourde et invivable entraîne finalement la dispersion d’un bon nombre d’acteurs culturels.
Dans un tel contexte, quel avenir pour la jeune photographie en Côte d’Ivoire ? Les Rencontres du Sud ont sombré avec la crise. Maintenant, y aura-t-il une relève ? Pour qu’il y en est une, il faudrait d’abord trouver un catalyseur.

///Article N° : 3114

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