à propos de La Maison de Bernada Alba

Entretien de Sylvie Chalaye avec Odile Pédro Léal, metteur en scène

Avignon, Juillet 2003
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Comédienne, auteure et metteur en scène, Odile Pédro Léal partage sa vie entre Paris et la Guyane où elle a déjà monté de nombreux spectacles. Parmi ceux-ci : La Chanson de Philibert ou les gens simples dont elle est aussi l’auteur, D’chimbo, la dernière surprise de l’amour d’Elie Stephenson qui fut joué à la Chapelle du Verbe Incarné en 1998 et une adaptation des Travaux d’Ariane de Caya Makhélé.

Comment s’est imposé le choix du texte de Lorca ?
Le théâtre guyanais n’a pas beaucoup d’auteurs. Mais je me suis surtout placé par rapport à la femme de théâtre que je suis ; je suis partie d’une situation de vie. En relisant Lorca, j’ai trouvé le texte très beau. Il y a quelque chose de très latino-américain dans ce texte et j’ai d’ailleurs constaté par la suite qu’il était venu passé six mois en Argentine avant de l’écrire. Il parle même de Cuba dans la pièce. Ce qui me touche bien sûr puisque je suis de la Guyane et mon père est Brésilien. J’ai donc souhaité l’adapter dans un univers qui m’est proche.
Est-ce un choix de femme ?
Ce n’est pas la condition de la femme qui m’interpelle dans ce texte. J’aime les textes engagés et ce qui m’intéresse particulièrement, c’est l’amour, le manque d’amour, le désamour, le non-amour, les solitudes personnelles comme dans Ariane de Caya Makhélé. C’est la solitude des filles de Bernarda qui m’a touchée.
Les partis pris de mise en scène sont forts et sans fioriture. Ils reposent surtout sur les costumes.
Le costume du comédien doit coller à la peau du personnage. C’est un accessoire essentiel qui pouvait prendre une dimension symbolique bien plus intéressante qu’un décor. Je voulais une sensualité qui passe par les costumes, une sensualité exacerbée qui ne pouvait pas s’exprimer et devait s’échapper de la maison de Bernarda, et pour la voir s’échapper il me paraissait juste de la montrer par le costume. Je voulais jouer sur un effeuillage de la robe du deuil du début, en passant par les tissus légers de l’après-midi et les lingeries de la nuit.
Vous avez réuni une distribution magnifique avec de grandes comédiennes, mais aussi tous les âges, toutes les peaux.
Je voulais que les filles soient très métissées. Je voulais ce mélange des teintes pour rendre la diversité des familles créoles.
Vous avez aussi travaillé sur toutes les féminités jusqu’à la plus ambiguë en distribuant Jean-Marc Lucret dans le rôle de Magdalena.
J’ai travaillé sur une transposition de Bernada dans l’univers créole qui devient une de ces mères de famille nombreuse, très rigides, quasiment masculines, accablées par le poids de la société et leur fonction, prenant en charge toute l’autorité de la maison, remplaçant aussi celle du père et incapable d’exprimer leur sentiment. Je voulais aussi raccrocher avec le début du siècle, une époque de notre histoire créole qui me tient à cœur. Mais le théâtre doit parler d’aujourd’hui, des solitudes personnelles, et ce personnage ambigu que joue Jean-Marc n’est pas nouveau dans mes mises en scène : il était dans La Chanson de Philibert à travers un jeune garçon qui refuse l’amour des femmes, dans D’Chimbo aussi avec le personnage du Matador. Ce personnage est à relier à la question des solitudes personnelles que je voulais traiter à travers les filles de Bernarda ; bien au-delà de l’homosexualité il dénonce le poids de la société et renvoie aussi à ce que j’appelle  » l’hermaphrodisme de la pensée  » qui engendre de plus en plus de solitude.

///Article N° : 3157

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