Pour le dialogue des cultures

Entretien de Boniface Mongo-Mboussa avec Constantin Von Barloewen, anthropologue, à propos de son ouvrage Anthropologie de la mondialisation

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Né en 1952 à Buenos Aires, Constantin Von Barloewen a grandi en Amérique Latine et en Europe. Il a été professeur à Harvard, Princeton puis à l’Ecole des Hautes études en sciences sociales, à Paris. Il a occupé de 1993 à 1996 une chaire d’anthropologie et de sciences culturelles comparées à l’université de Karlsruhe. Directeur de plusieurs projets internationaux pour la Direction générale de la communauté européenne, des fondations Thyssen et Willy-Brandt, il milite dans ses textes et dans son action pour le dialogue des cultures, des religions. Son ouvrage Anthropologie de la mondialisation est un manifeste éloge de la diversité.

Est-ce que le fait d’être né à Bueno Aires a influencé votre manière de voir le monde ?
Mon séjour en Amérique du Sud a bien entendu influencé ma manière d’écrire ; elle a surtout changé ma vision du monde, pour la simple raison que l’Amérique latine est un continent de la mixité. Je suis né à Buenos Aires. J’y ai passé mon enfance. Aujourd’hui encore, je ne cesse de voyager en Argentine et en Amérique du Sud. Cette métaphysique vécue de l’Amérique du Sud, cette spiritualité de l’Amérique latine non seulement de la vie quotidienne mais aussi de la littérature me touche énormément et me manque cruellement ici. Je veux dire ici en Occident cartésien.
Quand on parle de l’Argentine, on pense irrésistiblement à Borgès.
Jorge Luis était un homme hors du commun, avec un savoir encyclopédique. Il a appris l’allemand uniquement pour le philosophe Arthur Schopenhauer. Il avait une chaire de littérature américaine à l’université de Buenos Aires. Il était un grand admirateur de Whitman, d’Emily Dickinson, de Swinburne. C’était un grand métaphysicien de la littérature mondiale. C’est absolument injuste qu’il n’ait pas obtenu le prix Nobel de littérature. Sans doute à cause de la naïveté de ses commentaires politiques. Il a soutenu Pinochet et Franco. Vous savez, les poètes ont parfois une conscience politique naïve : le poète chilien Pablo Neruda a soutenu Mao et Staline. Jean-Paul Sartre a soutenu l’Union Soviétique. Les poètes sont parfois politiquement aveugles. C’était hélas le cas de Jorge Luis Borgès.
Une autre figure intellectuelle de l’Amérique latine très présent dans votre livre est Octavio Paz.
J’ai bien connu Octavio Paz. Nous nous sommes rencontrés à Madrid à l’hôtel Palace. Octavio Paz est sûrement l’écrivain sud-américain que j’estime le plus : il avait une grande culture politique et littéraire. De ce point de vue, Il était l’anti-Borgès. Je propose toujours à mes étudiants la lecture de son essai : Le Labyrinthe de la solitude comme un chef d’œuvre pour comprendre la dialectique entre l’Amérique du Nord et l’Amérique latine.
Cela ne me surprend guère. Vous n’êtes pas un universitaire classique. Dans votre essai, vous convoquez l’Europe, l’Asie, le Moyen-Orient et l’Afrique. Pourquoi la France manque-t-elle selon vous de penseurs ayant cette vision cosmique, interdisciplinaire ?
J’ai fait des études universitaires très classiques, avec un doctorat sur Alexis Tocqueville. J’ai ensuite enseigné l’histoire comparée des cultures nord- et latino-américaine. J’ai toujours aimé l’interdisciplinarité en mélangeant la littérature, les arts, l’histoire de la culture, la politique et l’économie, avec comme objectif le dialogue des cultures. Vous savez, ce n’est pas seulement la France qui se replie sur elle même, c’est l’Europe en général. En Allemagne, là ou je vis, c’est encore pire. Là-bas, les universités sont tellement rigides qu’il est impossible de travailler de manière interdisciplinaire. L’Allemagne contemporaine n’est plus l’Allemagne de Schiller, de Feuerbach, de Max Weber, etc. Il y a eu après la seconde guerre mondiale un miracle économique allemand, mais le miracle de la pensée n’a pas suivi. Cela dit, j’ai toujours travaillé parallèlement avec les grandes fondations (Thyssen et Willy-Brandt). Je dirige actuellement le programme de dialogue pour la fondation Château-Neuhardenberg de Berlin.
Votre livre invite effectivement au dialogue des cultures.
J’ai toujours milité pour le dialogue des cultures. Un exemple : j’ai reçu il y a quelques semaines en tant que Président de l’association des banques en Allemagne dans un grand château à soixante kilomètres de Berlin, Boutros-Boutros Ghali et l’écrivain nigérian Wole Soyinka, qui a une conscience politique aiguë du Nigeria, de l’Afrique et du Monde – une conscience bien entendu absente chez les politiques préoccupés essentiellement par les calculs électoraux.
Votre livre est un plaidoyer pour la mondialisation culturelle. Mais à l’heure actuelle, nous voyons surtout la mondialisation économique triompher.
Elle nous menace, elle nous frappe profondément. Il y’a aujourd’hui une homogénéisation non seulement technologique mais aussi technocratique, qui nivelle toutes les traditions culturelles. D’autre part, il y a une balkanisation, des intégristes, des fondamentalistes qui ne sont rien d’autres qu’une forme d’antimodernisme. Pour faire face à ce fondamentalisme (disons plutôt les fondamentalismes : islamistes, catholiques, hindouistes et juifs), il nous faut réinventer une civilisation de l’Agora, un dialogue entre les cultures, entre les religions.
Parallèlement à votre essai sur la mondialisation culturelle, vous avez publié votre récit de voyage à Madagascar. Quel est votre rapport à cette île ?
J’ai toujours été fasciné par Madagascar. En générale, j’aime les îles, j’aime tout ce qui est archipélique. J’essayer de comprendre comment ces pays peuvent exister dans la mondialisation. Pour moi, Madagascar est une démocratie ethnique, qui m’a toujours frappée par le culte des ancêtres, par une sagesse dans la vie quotidienne, qui nous manque en Occident. Il nous faut aujourd’hui un réservoir de spiritualité. Spiritualité artistique, politique, dans la vie quotidienne, etc. Et elle nous vient actuellement, me semble t-il, des pays périphériques. Pensons par exemple à la littérature latino-américaine, aux mythologies malgaches et africaines, à la musique brésilienne, etc.

Constantin Von Barloewen. Anthropologie de la mondialisation, essai traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, Editions des Syrtes, Paris, 2003, 409 pages, 25euros.///Article N° : 3213

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