Algériennes, trente ans après (Elles 2)

De Ahmed Lallem

Print Friendly, PDF & Email

Il est toujours passionnant d’inscrire le documentaire dans la durée historique : les protagonistes retrouvés font le bilan des années passées et ont la profondeur d’une réflexion vécue. Amos Gitaï a par exemple donné avec Waadi, filmé sur trois moments séparés à chaque fois de dix ans, une édifiante peinture de la dégradation des rapports entre Juifs et Arabes en terre d’Israël. Lallem avait filmé des lycéennes algériennes en 1966 et les retrouve 30 ans plus tard. De larges extraits du premier film sous-tendent les rencontres des femmes redécouvrant ces paroles de leur jeunesse, leurs prises de position, leurs espoirs.
Le résultat est passionnant, émouvant et pathétique. Le devenir de ces femmes est à l’image de la condition féminine dans l’Algérie de ces 30 ans. Si cela ne vire ni au réquisitoire ni au pathos, c’est que Lallem leur laisse le temps, la durée de l’émotion. C’est aussi que ces femmes ont une extraordinaire dignité, puisée dans une conscience de soi forgée dans les épreuves sur lesquelles elles peuvent revenir en confiance. Le déclic de la comparaison dans le temps avec ce qu’elles disaient en étant jeunes facilite sans doute l’exercice, mais plutôt que d’instrumentaliser la comparaison, Lallem la délaisse puis la reprend, usant habilement du montage toute en sauvegardant la liberté de parole des femmes. Ce n’est pas une approche sociologique, c’est la vie avec tout ce qu’elle comporte d’émotion.
 » Nous tenons à parler car nous devons le faire « , dit cette femme qui toute jeune disait que seul le travail permettra à la femme d’être l’égale de l’homme. Devenue sociologue, elle écrit sur la condition féminine mais dans le film, c’est de son opposition à son père pour choisir son mari, de la rupture engendrée, du courage nécessaire qu’elle nous parle. Les témoignages se succèdent, portraits à vif de ces femmes cadrées de près et dont la vie vibre à l’écran.
 » Ne pas dire faisait énormément de dégâts « , dit une autre femme. Voilà qu’ici la parole fuse, que les mythes révolutionnaires sont tombés, que l’émancipation est de mise.  » Le pire, dit-elle encore, c’est de se dire  » tant pis  » quand la situation des femmes s’envenime : c’est là qu’entre le désespoir « .
Le Code de la famille de 1984 était une réaction contre l’éclatement de la société patriarcale : il instituait des rapports inégalitaires pour les figer alors que la société évoluait. La femme peut être présidente de la République mais n’a pas le droit de choisir son mari… Cette dichotomie entre la Constitution et le Code de la famille est à la base de la douleur dont témoigne ces portraits et du blocage de la société : si cette conclusion s’impose sans démonstration supplémentaire à l’écran comme un combat qui ne peut qu’être gagné un jour, c’est que ces femmes ont la détermination de leur vécu ( » avec tout ce qu’on a traversé, on a survécu « ) et sont capables d’accompagner les autres femmes pour une traversée moins douloureuse et leur émancipation.  » Les choses nouvelles ne naissent que dans la douleur « , lâche encore l’une d’elles : pas d’illusion !

1996, 52 min, beta SP, coul., photo : Anne Mustelier, Djamel Issir, prod. Les Films d’ici, Serge Lalou, Airelles vidéo, Steel Bank Film.///Article N° : 3237

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire