Dobet Gnaoré et Ano Neko : à l’école du Ki-Yi

Print Friendly, PDF & Email

Comédienne, danseuse, musicienne, Dobet Gnaoré est une pure sculpture du Village Ki-Yi, une micro-communauté d’artistes d’une centaine d’habitants, dans le quartier de la Riviera, au cœur d’Abidjan, la capitale économique de Côte-d’Ivoire.
Adolescente, elle claque la porte de l’école pour s’investir entièrement dans l’institution que son père, le maître tambour Bony Gnaoré a co-fondé avec Were Were Liking, Bomou Mamadou et Serel. C’est ici qu’elle rencontrera Colin Laroche de Féline, son binôme de l’aventure Ano Neko ( » créons ensemble  » en langue dida). Lumière sur une jeune formation pétillante qui en veut.

Ce jeudi soir-là, rentré d’une longue tournée au Québec, engoncé dans sa chaise longue, le père Gnaoré profitait avec pudeur du plaisir des retrouvailles familiales. L’ambiance de fête qui couvrait la chaumière des Gnaorés est brusquement traversée par la jeune voix perçante de sa fille aînée qui avait douze ans. Le genre de voix caractéristique dont jouent aisément les jeunes adolescentes. Une voix de tête, claire, couleur chagrinée, un ton à la fois séducteur suppliant et autoritaire. En fait, un jeu d’espiègle soutenu par la ferme résolution d’obtenir gain de cause.
 » Papa, je ne veux plus aller à l’école, je veux rester ici au ‘village’, comme toi…  »
Le désir de la petite Dobet Valérie n’étonne personne. Les Anciens nous le répètent toujours :
 » Les animaux qui rampent ne reproduisent pas des oiseaux qui volent « .
Un sourire éclaire le visage de papa Gnaoré qui semblait nourrir le désir secret de voir une de ses enfants embrasser la même carrière que lui.
 » Ca va ma fille, calme-toi, pour ça y a pas besoin de crier comme si tu faisais un palabre…  »
On ne verra plus la fille de Monsieur Gnaoré à l’école primaire du quartier. Elle avait choisi l’école du Village Ki-Yi.
Notre artiste en herbe grandit et s’initie aux arts de la scène avec tous les autres enfants, aux côtés de leurs parents du  » village « , lieu privilégié de rencontres exceptionnelles. Elle y découvre feu Marcelin Yacé, locomotive de Woya, célèbre formation urbaine des années 80.
Ray Lema, Souleymane Koly de l’Ensemble Koteba et un nombre incalculable de créateurs africains. Percussions, danse, théâtre, chant, elle pratique toutes les disciplines.
Pour leur classe d’âge, la directrice des lieux crée le module des demissions ( » les enfants « , en dioula) La délirante bande de joyeux gamins investit la scène au même titre que leurs parents et s’exécute devant le public des dîners-spectacles qu’organise la communauté tous les mercredis et les week-ends.
 » Nous étions dans une école riche de tous les enseignements : spirituelle, morale, sociale et artistique. Nous grandissions au sein de nationalités multiples et variées. Ce qui, du point de vue de la création, était de l’or en barre. Nous intégrions notre identité africaine. On nous apprenait à décrypter l’incohérence des politiques africaines, à découvrir la face cachée des guerres, de la corruption, du tribalisme, des inégalités sociales, de la condition de la femme ou le vrai visage de la soit-disante ‘aide internationale’… Nos créations surfaient donc sur ces thèmes.  »
Un beau matin de 1996, sac au dos et guitare en bandoulière, débarque un jeune Français. Le carnet de route de Colin Laroche de Féline prévoyait trois mois au Ki-Yi avant de poursuivre sa quête de cultures du monde au Congo. Fasciné par le choix de vie atypique des habitants de cette micro-communauté, il s’y installera pendant trois ans.
Dobet et Colin se  » mélangent  » par l’art et unissent leur cœur pour l’agréable et les corvées. Pendant leurs escapades, sous le feuillage du domaine, sur les murmures de la guitare acoustique de Colin, Dobet susurre des mélodies de tendresse, des appels à la solidarité et des textes inquisiteurs et dénonciateurs. De ces  » fugues  » émergeront les premières compositions qui suscitent l’intérêt général au Village Ki-Yi.
De leur union naîtra le duo Ano Neko. En 1999, le couple s’installe à Grenoble pour la naissance de leur petite Maéva. En 2000, ils intègrent l’association Nuit Métisse de Marc Ambrogiavani à la Ciotat, qui les programme sur les premières scènes. A Grenoble, à la Ciotat, à Paris, à Bamako, à Lomé, à Cotonou comme dans les rues de Conakry, ils aiguisent leur art sur ces scènes métisses et offrent une musique croisée d’Afrique et d’Occident.
En 2001, à Abidjan, ils explosent sur le podium du label Show-Biz dans la cour du Palais de la Culture, au Marché des arts et du spectacle africain. Le duo est estampillé  » grande découverte  » de cette sixième édition du MASA. Les rares copies de leur CD-maquette tournent en boucle sur la bande FM du tout Abidjan.
En 2003, Contre Jour produit le premier album de Dobet Gnaoré & Ano Neko, désormais un quatuor depuis l’intégration de Samba aux percussions et Honakamy Tapé aux chœurs.
Quand elle aborde la scène, Dobet engage un pas souple puis ferme et frénétique. Les yeux brillants et grands ouverts, elle balaie la salle. Le regard espiègle et illuminé d’une feinte timidité convie à entrer dans ses rythmes saccadés des forêts ou des danses guerrières zoulous ou encore dans les mouvements flottants du Sahel. S’appropriant l’espace avec joie, sa voix galope aisément sur les crêtes des trémolos pygmées et se love avec autant de facilité au fond des basses.
Les quatorze titres racontent leurs émotions (Nan), la cupidité des guerres (N’siélé) ou de la calamité du siècle (Sida). Leur musique s’alimente de l’urbanité, de la brousse et se construit avec une panoplie d’instruments acoustiques : guitare, calebasse, cloche, gratte, djembe, balafon, aoko, etc. Tous se croisent, se multiplient et offrent un style qu’il serait hasardeux de mettre dans une case. Une musique dépouillée, fraîche et chaleureuse.

///Article N° : 3398

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire