entretien d’Olivier Barlet avec Fatoumata Coulibaly

Actrice dans Moolade, d'Ousmane Sembène

Cannes, mai 2004
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Comment avez-vous vécu ce rôle ?
Je l’ai bien vécu. D’abord en tant que femme, mère et épouse, et aussi parce que je suis excisée. C’est pourquoi j’ai pu donner le meilleur de moi-même pour ce rôle. Ensuite à travers mes reportages et mon travail : je suis comédienne, réalisatrice, animatrice à la télévision malienne. À travers mes propres expériences aussi, car je suis d’un milieu musulman – et les musulmans pratiquent l’excision aussi bien que les catholiques chez moi. Enfin, pour les filles qui meurent d’hémorragies causées par l’excision, pour les mamans qui décèdent pendant l’accouchement des suites de l’excision : c’est tout cela qui m’a poussée à jouer ce rôle.
Par ailleurs je suis conseillère en communication pour une association féminine qui lutte contre l’excision depuis une dizaine d’années. On n’en parlait pas trop au Mali autrefois. Ce n’est que depuis une année que, face au refus des imams et des marabouts l’État a décidé d’en parler. Je suis sûre qu’un tel film provoquera des changements. Le film donnera l’impulsion et le changement viendra par la sensibilisation dans toutes les langues du Mali, puis au Sénégal, au Burkina, en Guinée, au Niger et ailleurs.
La sensibilisation doit se faire auprès des vieux traditionalistes de chez nous : pour qu’ils disent que cette pratique n’est pas propre à l’Islam, que ce n’est pas dans le Coran. Et il est important de sensibiliser dans toutes les langues du pays pour que cela puisse changer, car c’est vraiment ancré dans notre culture.
J’étais frappé par l’importance des associations de femmes en Afrique, notamment au Burkina Faso, qui luttent contre l’excision, qui informent de village en village de façon bénévole… J’imagine que cela se fait de la même façon au Mali ?
Oui, je participe depuis dix ans bénévolement à l’une de ces associations. Je les accompagne dans les villages quand je ne suis pas de service. En premier lieu on essaie de sensibiliser le chef du village, l’imam et les conseillers, avant de réunir les femmes. La première fois on ne nous écoute pas, certains nous renvoient. Il faut revenir, 2 fois, 3 fois, 4 fois… Jusqu’à ce qu’ils acceptent de dialoguer avec nous. On apporte alors le téléviseur, le magnétoscope, des photos. Nous collaborons avec des sages-femmes, des médecins. Nous avons réalisé des sexes de femmes excisées en bois, en train d’accoucher. On montre ces objets et ces films au chef du village, à l’imam, qui ferment souvent les yeux. C’est ce jour-là que le chef du village nous donne l’autorisation de convoquer les femmes à venir aussi regarder. On leur pose alors des questions, mais elles refusent de parler devant les hommes. Une fois qu’ils sont partis, elles parlent. Il y en a toujours qui ont connu des problèmes à cause de l’excision. Ainsi, petit à petit, beaucoup de nos villages commencent à abandonner l’excision.
Les exciseuses demandent toujours ce que nous allons leur donner en retour. Elles ne peuvent pas abandonner comme ça. L’ong est obligée de chercher de l’argent tout en leur apprenant un artisanat comme la fabrication du savon, pour qu’elles puissent démarrer un petit commerce. Au Mali, beaucoup d’exciseuses ont abandonné leurs pratiques, mais beaucoup le font en cachette aussi.
Quel est l’argument principal que vous opposez aux hommes pour les faire changer par rapport à cette coutume traditionnelle ?
Nous ne venons pas qu’entre femmes : nous sommes toujours accompagnées par des hommes car dans certains villages, les imams et chefs de villages qui sont restés traditionalistes n’aiment pas discuter avec les femmes sans la présence des hommes. Nous y allons donc avec quelqu’un qui connaît le village : soit un agent ong, soit l’instituteur ou le médecin du village.
Que mettez-vous le plus en avant dans les conséquences négatives de l’excision ? Abordez-vous la question du plaisir féminin, du rabaissement de la femme ce qui est plutôt mis en avant en Europe ?
On leur dit que c’est la femme qui fait tout dans le village. Elle fait le jardinage autour des cases. Elle fait la sauce avec ses tomates. Elle aide le mari au champ. Elle l’aide à se soigner, elle fait le petit commerce. Donc quand une femme est malade, toute la famille est malade. Les époux disent « ça, c’est vrai ». Eux-mêmes donnent des exemples. Donc dans ce cas ce n’est pas à vous mari d’accepter que vos filles et petites filles soient excisées, car cela fait parti des causes de leurs maladies.
Avant, l’excision était pratiquée par la caste des forgerons qui ont des savoirs particuliers pour la cicatrisation des plaies. Il n’y avait pas de décès. Depuis 10, 15 ans, cela se perd, d’autres pratiquent l’excision sans connaissance et de façon dangereuse. On le leur explique et ils constatent les dégâts, qu’ils attribuaient aux sorcières, et tombent d’accord avec nous.
Ce rôle est presque une reprise de votre propre vie !
Oui je suis complètement impliquée dedans. Pas seulement parce que je suis excisée, j’ai été excisée convenablement, je n’ai pas eu de complications ni de douleurs par la suite. Mais j’ai vu mes sœurs en souffrir. C’est aussi pourquoi je me suis impliquée dans la lutte contre l’excision. En 1998, 1999, avant l’interdiction dans mon pays, j’ai même réalisé un documentaire pour la télévision avant qu’on commence à en parler à la radio. Il s’agit de micro-trottoir. J’interroge entre autres un marabout qui explique que cela n’existe pas dans le Coran, et qu’on le pratiquait sur les femmes pour les empêcher d’être infidèles, pour la purifier.
Comment la rencontre s’est-elle faite avec Sembène Ousmane ?
Il a fait des castings, dont un à Bamako, à Kora films, la société de Cheikh Oumar Cissoko, l’actuel ministre de la culture, avec qui j’avais déjà tourné, dans Guimba (qui a remporté l’étalon au Fespaco 95), et dans la Genèse. Mes films ont été produits par cette société.
Au deuxième casting je lui ai proposé de jouer le rôle principal. Il m’avait alors dit que ce ne serait pas possible car beaucoup d’actrices attendaient ce rôle. Je me suis sentie toute petite et rejetée. Ensuite il a ri et m’a dit d’essayer une scène. Il a fait des photos et il est parti. Quand il a fait appel aux comédiens maliens (la grande majorité le sont) je n’en faisais pas partie. Le casting avait été reporté. Mais un mois après on m’a annoncé que Sembène m’avait recruté pour le rôle principal. Je n’y croyais pas. J’étais ivre de joie. C’est un vieux du métier en Afrique. Il a ses exigences c’est vrai, mais jouer dans un film de Sembène, c’était un honneur !
Il n’est pas toujours facile sur un tournage…
Sincèrement, il n’est pas facile. Je le considère comme mon papa qui était un tirailleur sénégalais, un ancien combattant. Ce n’est pas facile de travailler avec lui mais il faut l’accepter, il faut l’accepter tel qu’il est. S’il crie, tu ne réagis pas sinon tu es déstabilisé. Il faut avoir le tempérament calme, ne pas se laisser faire. Quand il demande de faire telle chose sur le plateau, il faut le faire calmement. Après le plateau tu t’endors. Le lendemain vous vous retrouvez jusqu’à ce que cela se termine bien.
Au niveau de la direction d’acteurs vous avez l’impression qu’il y a une spécificité Sembène ?
Chacun a sa manière de faire. Cheikh Oumar est très fort aussi dans ce sens, il est calme. Sembène a le caractère dur. Il est très directif, au lieu de te dire mets-toi là, il va te tirer par le bras. Ça peut avoir un effet négatif sur le comédien : s’il est très sensible, il peut mal jouer. Cheikh Oumar, lui, te demande de faire quelque chose sans que ses paroles soient choquantes. En Afrique il faut savoir parler : la parole est sacrée, la manière de parler est sacrée. Si tu ne sais pas parler, on peut penser que tu es contre la personne à qui tu t’adresses, ou que tu ne l’aimes pas. L’art de parler est très important. Mais Sembène est vieux, c’est un vieux tirailleur. Nous nous disons qu’il a fait la guerre, qu’il a vu beaucoup de choses, fait beaucoup de métiers, donc on le laisse faire. Il peut crier, on l’accepte.

///Article N° : 3425

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