Tharcisse Kalissa Rugano

Extraits de La Couleur de l'air

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Poème de la réconciliation,  » La Parole sacrée « 
La nuit vint et avec elle le silence.
Le vieillard nous dit que c’est l’heure
Où le vénérable redonnait du lait à des enfants
Il prit sa cithare qu’il fit caracoler
Sur les flammes arc-en-ciel du foyer
Il se mit à en caresser les cordes
Et le temps suspendit son vol
L’Inanga1 résonne, la voix âpre monte
Le message pénètre par gradation.
Le coeur est noué par l’angoisse
De l’équilibre précaire
De la vérité au seuil de l’instabilité.
Le calme règne et c’est bien ainsi
Pourvu qu’il règne longtemps
Mais ne le piétine pas
Car la douleur s’éveillerait plus dure
Lancinante à jamais
Les enfants sont endormis et c’est bien ainsi
Ils rêvent de paix.
Les vaches dans l’enclos nous écoutent
En ruminant
Le vent bruit dans le feuillage
Et pardonne-moi si je chuchote
C’est pour ne pas casser le secret
Il sont venus les semeurs de zizanie
Et avec eux la trahison
Le linge sale ne se lave plus en famille
Et les clameurs attisent le feu
Celui qui a subi tant de vexations
Qui a passé sous silence les frustrations
Dans son for intérieur
Ne peut pas ne pas penser revanche
Je t’en dissuade, Nyakubaho 2
Les femmes et les enfants
Les jeunes veaux dans le kraal
Les choses et les bêtes
Ont besoin de ne pas être déracinés
Retrouve la dignité
La revanche casse l’harmonie.
La couleur de l’air
Dis-moi toi qui viens
Dis-moi la couleur de l’air
Qui circule dans mon pays
Je l’ai quitté ce n’est pas hier
Dans l’anonyme silence
De la virginité du matin
Violée par le cri de la bête égorgée
J’avais été nombreux
J’avais été peuple
Je devenais populace
Fuyant devant moi
Buttant dans la bûche
Buttant dans l’embûche
Buttant dans l’essaim
Talonné par l’émeute
Comme lapin de garenne
Devant les chiens lâchés
Il avait été grand mon pays
Il était vaste mon pays
Que le rite des Ancêtres
Créateurs de la Terre
Avait appelé  » Rwanda Rugali  »
Ce vaste pays sachant contenir
Maintenant il est devenu
Paraît-il, tout petit
Tout petit
Et moi j’ai pris des dimensions
Telles, qu’il ne peut plus me contenir
Je respire mal, je respire mal
Je ne sais plus respirer
Et je n’espère pas pouvoir
Respirer demain…
Voyageant dans les méandres de l’asphyxie
Je me débats dans les affres de la mort
Et ma probité sert de litière
A des aigles gloutons
Une cohorte de gueux me tient
Compagnie
Tous ceux pour qui l’espoir est
Mort au berceau
Tous ceux pour qui l’espoir est
Mort, cloué au pilori
Faisant de nous pour toujours
Non seulement des en-bas d’en-bas
Mais pour toujours mes frères
Des en-dessous d’en-dessous
Du gouffre
(…)
Aux hommes vivants dans la grotte
Des nuits noires
Au fourmillement des idées
En stalactites
Aux heures irrévérencieuses
Qui stagnent
Propices au ressassement de ce qui fut
Provocatrices de l’éjaculation
Des idées de mort
Enfanteuses du ressentiment
Des lendemains morbides
A ces hommes mes frères, il faut dire
La couleur de l’air
Qui circule dans leur pays.

1.Cithare
2. On peut traduire par  » toit qui te dois de vivre « 
extraits de La Couleur de l’air, recueil à paraître aux éditions Acoria. ///Article N° : 343

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