Franck Mc Ewen et la sculpture shona

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Le Musée des Arts Derniers, créé et animé avec passion par Olivier Sultan, présente une exposition de sculptures shona en hommage à Franck Mac Ewen. Franck Mc Ewen a joué un rôle déterminant dans l’éclosion de l’art shona du Zimbabwe dans les années soixante. C’est l’histoire d’un homme mais aussi et surtout l’histoire d’une rencontre.

Lorsque Mc Ewen décide d’engager sa vie dans l’aventure des arts, il se lie d’amitié avec Picasso, Moore et Giacometti, et joue un rôle d’intermédiaire entre les artistes français et anglais. En Rhodésie, des hommes riches d’une culture originale vivent sous le joug d’une colonisation sévère, exploitation des hommes et des richesses, évangélisation, et tout le cortège d’incompréhension, de peur, de bêtise et d’arrogance. En 1957, alors qu’il est en poste à la direction de la National Gallery de Salisbury, récemment construite et destinée à accueillir des œuvres occidentales, Mc Ewen va créer un atelier clandestin dans les sous-sols pour offrir une formation artistique aux gardiens issus de la population locale qu’il a engagés. L’aventure de cette rencontre va déboucher sur la naissance d’une forme d’art originale, aujourd’hui internationalement reconnue, fondée sur une mythologie traditionnelle.
Mc Ewen arrive avec une lassitude du monde artistique occidental et des non-valeurs qui l’animent (ses positions sont parfois radicales), le désir d’un art nouveau ou plus précisément le désir de vivre l’art autrement, une mythologie personnelle, une force, une sensibilité, une ouverture et une intelligence. De l’autre côté, des hommes qui se nomment Thomas Mukarobgwa, Joseph Ndandarika, Charles Fernando et beaucoup d’autres qui se joindront à ces pionniers, des hommes sous le joug de l’oppression qui ont une nécessité d’expression et sont dépositaires d’un fond culturel dont l’importance et l’actualité sont certainement plus fortes que ne le croient les Blancs, aveuglés par leurs préjugés et leur suffisance.
L’intérêt, l’écoute, les encouragements, l’engagement de l’anglais va permettre aux sculpteurs shona de créer une forme d’art originale en quelques années. Mais s’agit-il vraiment d’art à ce moment-là ou d’un surgissement ? Quel est le véritable rôle de Mc Ewen ? Un mentor, un découvreur ? Quelle fut son influence sur les artistes ? Comment expliquer avec clarté des choses aussi complexes ? Tout événement artistique s’inscrit dans un réseau de relations denses et vivantes dont il est dangereux de briser l’équilibre. Ce que l’on peut dire avec certitude, c’est qu’une rencontre a eu lieu.
Mc Ewen est un sourcier, il cherche à la surface de la terre des forces créatrices profondes. Là où certains ne voient qu’un terrain infertile ou une terre vierge où planter leurs propres affaires, Mc Ewen a l’intuition de l’existence de nappes souterraines (on sait l’intérêt qu’il portait aux théories de C. G. Jung sur l’inconscient collectif). Dans les sous-sols du musée et plus tard dans la carrière de Vukutu, il a creusé avec les artistes shona et quelque chose a jailli comme une source, qui, par la suite, deviendra de l’art, comme le disait récemment Pierre Descargues. Ce qui est important et rassurant, c’est ce moment de jaillissement où des forces puissantes font surface. A ce moment-là de l’histoire, les hommes engagés dans cette aventure ouvrent un passage, les burins attaquent la roche dure pour en extraire des blocs aux formes merveilleuses, chaque sculpture est un bloc imprégné de l’eau de cette source, la brillance du poli peut nous en donner l’illusion. Et cette eau assèche notre soif et nous rafraîchit encore aujourd’hui. Au-dessus de cette ouverture, un aigle plane, c’est Chapungu, le messager de Mwari, le dieu universel, un jeune aigle qui un jour a dansé pour le roi et que Mc Even adopta mais qui se laissa mourir de faim lors de l’une de ses absences.
Il faut aller voir cette exposition, ne serait-ce que pour cette petite sculpture pleine de poésie d’Anderson Mukomberanwa, intitulée Ibis Lovers, dont la forme pourrait épouser le creux des mains jointes, ce geste que l’on fait naturellement pour recueillir l’eau à une fontaine.
Un nombre considérable de sculpteurs ont fait ce qu’il est convenu d’appeler l’art shona, pourtant un sentiment d’unité profonde se dégage de l’ensemble. On est frappé malgré tout de l’originalité dont fait preuve chaque artiste. Mc Ewen l’explique ainsi :  » Cela tient à ce que chaque sculpteur travaille à proximité d’un autre sculpteur et qu’avant d’entreprendre une sculpture, chacun expose aux autres son projet. Alors, si l’un d’entre eux se souvient que ce projet a déjà été réalisé, l’artiste comprend aussitôt qu’il lui faut recommencer ses recherches. Et puis, comme bien des sculptures leur sont données en rêve, l’invention des sommeils est par nature moins partagée, plus personnelle que les découvertes de la raison « .
Il se dégage des sculptures shona un mélange unique de force, de densité, de puissance et de fraîcheur. Elles ont, pour les meilleures et quelques autres, cette qualité d’être incontestables et en même temps leur présence, sans être particulièrement énigmatique, semble inépuisable dans leur mystère. On l’a souvent dit à propos de la culture africaine en général, et on le retrouve encore ici : la densité et le sens du rythme priment.  » (Le rythme) c’est l’architecture de l’être, le dynamisme interne qui donne forme, le système d’ondes qu’il émet à l’adresse des autres, l’expression pure de la force vitale. Le rythme, c’est la chose vibratoire, la force qui, à travers les sens, nous saisit à la racine de l’être « , disait Senghor. Les pierres des sculptures shona semblent dépositaires, dans leur présence silencieuse de l’écho lointain des rythmes clairs des burins de la carrière de Vukutu à Inyanga. Beaucoup d’entre elles semblent comme aspirées vers le ciel.
La première fois que j’ai vu des sculptures shona c’était dans le jardin des Descargues qui furent les amis de Franck Mc Ewen, et dont on retrouve les contributions éclairantes dans le catalogue édité à l’occasion de l’exposition par Olivier Sultan. J’étais en retard pour le dîner, il faisait déjà nuit quand j’arrivai. Plus tard, Pierre m’entraîna dans une visite improbable, à la bougie. Il éclairait une à une les sculptures qui émergeaient de l’obscurité et d’une végétation laissée à elle-même. Une grenouille, surprise par notre présence, sauta. L’exposition du Musée des Arts Derniers est bien sûr plus éclairée, plus montrée mais Olivier Sultan me confiait il y a quelques jours, comme amusé de lui-même, qu’il avait parlé aux sculptures avant l’ouverture.

Les œuvres de Joram Mariga, John Takawira, Bernard Takawira, Thomas Mukarobgwa, Nicolas Mukomberanwa, Henry Munyaradzi, Bernard Matemera, Fanizani Akuda, Brighton Sango, Anderson Mukomberanwa, Tapfuma Gusta, Colleen Madamombe, Lameck Bonjisi, Lincoln Muteta sont réunies au Musée des Arts Derniers pour cet hommage sincère à Franck Mac Ewen.
Un demi-siècle de Sculpture contemporaine au Zimbabwe

Hommage à Franck Mc Ewen
(1907-1994)
Exposition-rétrospective
Du 3 juin au 30 septembre 2004
105 rue Mademoiselle 75015 Paris
tel : 01 44 49 95 70
http ://www.art-z.net///Article N° : 3438

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