Lomé, capitale de l’Afrique

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Aujourd’hui, Lomé est la capitale de toute l’Afrique : pas seulement parce que le coup d’Etat perpétré par l’armée togolaise, qui en un quart de tour, a installé le fils du dictateur, Faure Gnassingbé, au pouvoir, est une autre répétition, de fait, de ces multiples coups d’Etat qui emplissent de dates le calendrier des espoirs avortés des populations africaines depuis l’accession de leurs pays aux indépendances ; pas seulement parce qu’en violant dix fois la constitution de leur pays en vingt-quatre heures, et ce un dimanche de surcroît, les députés du parti du président défunt, totalement majoritaire à l’assemblée, ont montré au visage ébahi du monde, ce qu’ils ont fait depuis toujours devant l’indifférence de celui-ci, c’est-à-dire piétiner la volonté des populations qu’ils sont sensés représenter et mépriser les lois qu’ils ont eux-mêmes votées ; pas seulement parce que les hommes au pouvoir au Togo nous présentent ainsi devant un autre cas de figure de succession héréditaire dans une république, après le Congo-Kinshasa de Joseph Kabila, enfonçant ainsi les racines d’une modalité dynastique qui s’ouvre devant des pays comme la Lybie, l’Egypte, certes, mais aussi le Gabon, et même le Cameroun ; mais surtout, parce que ce qui se joue dans cette virgule de pays, le Togo, est la préface au futur même de toute l’Afrique, et oblige donc à prendre, dès maintenant, des décisions de principe fermes.
Ici le plus urgent est la reconnaissance du sacré des textes fondamentaux que nos peuples se sont donnés d’une manière ou d’une autre, les constitutions, pas parce qu’elles sont parfaites, pas parce qu’au Togo par exemple, avec le président de l’Assemblée Nationale, Fambaré Nachaba qu’elles désignent comme successeur d’Eyadema, elles promettent des futurs de changement réel, non, mais parce qu’elles sont, en réalité, la seule barrière qui nous protège encore de la barbarie qui, nous le savons, guette à la porte de chacun de nos pays ; parce qu’elles sont donc les seuls véritables garants de la paix chez nous. Et c’est ici que le cas togolais devient jurisprudence, car comment répondre dorénavant aux Ivoiriens toujours en crise autour de leur constitution à eux, quand avec sa voix la plus haute, la conscience internationale a condamné la sorcellerie juridique à laquelle se sont livrés les députés togolais ? Oui, comment dire après cela aux Ivoiriens que la solution à leur crise est politique, et ne se trouve pas dans le respect strict de leur constitution, et surtout pas dans sa modification selon les seules modalités que ce texte fondamental impose : le référendum ?
Le peuple togolais regarde la communauté internationale, même si au pays, il ne marche pas toujours aussi nombreux dans les rues comme l’ont fait il y a quelque temps les Géorgiens et les Ukrainiens. C’est que, pris en otage par une famille et sa soldatesque, il ne compte plus que sur cette main de l’extérieur, qui a su plusieurs fois rompre l’échine des dictatures, même si, comme les Zimbabwéens, qui eux non plus n’ont pas couvert les routes de leur corps de protestation devant le musellement de leur voix, il ouvre parfois ses magasins quand l’opposition lui demande de les fermer, parce qu’il lui faut tout de même survivre. Pour une fois, heureusement, son silence n’a pas été lu comme de l’approbation, et ainsi, l’Union Africaine, la CDEAO, se sont-elles mises à ses côtés, entraînant l’Union européenne avec elles, et même les Etats-unis ; ainsi, pour la première fois de son histoire l’Organisation Internationale de la Francophonie a-t-elle exclu un de ses membres, comme le Commonwealth l’avait fait jadis avec le Zimbabwe : mais qu’en sera-t-il si, comme justement avec Robert Mugabe qui, devenu paria, avait été reçu à l’Elysée par Jacques Chirac, le président togolais aujourd’hui mis au ban des nations, trouvait des bras ouverts dans une capitale européenne – et je veux dire ici, à Paris ?
Aujourd’hui, tout africain qui se respecte est togolais, et chacun de nous est humilié : devant un pouvoir usurpé, qui a érigé le fait accompli en sa politique véritable, pour qui chaque journée qui passe est une de gagnée, comment donc être heureux d’entendre la France, par la bouche de son ministre de la Coopération, Xavier Darcos, dire qu’elle ‘vérifiera les promesses tenues’ d’élection générale faite par un Faure Gnassingbé à qui rien ne donne le pouvoir de faire des promesses ? Soutenir le peuple togolais en ce moment de son histoire ne peut pas n’être qu’un acte de démagogie, car le théâtre de la classe qui le dirige n’a pas encore tiré son rideau de fin, le défunt président n’étant pas encore enterré aujourd’hui. Or il est évident que pour un pouvoir qui a déjà appris à avancer à petits pas, recevoir la communauté des chefs de l’Etat et de gouvernement des pays d’Afrique et du monde à Lomé, au chevet de Gnassingbé Eyadema qui, après trois décennies de pouvoir aura peut-être des obsèques grandioses, ne pourra qu’être le cinquième acte du coup d’Etat qui a eu lieu à Lomé ; évident il est tout aussi, que pour Faure Gnassingbé, recevoir le président français aux obsèques de l’ami personnel’ de celui-ci, sera la consécration politique ultime !
Les jours passent, le cadavre du potentat attend d’être enterré, et tout africain aujourd’hui se demande si, devant ce pays violé et banni, la France aura au moins cette fois le courage de commettre le parjure qui, pour l’avenir, marquera enfin le début de la fin de la si honnie, mafieuse et néfaste Françafrique : le refus d’assister aux obsèques de Gnassingbé Eyadema. Bien sûr, en tant qu’Africains, Lomé est avant tout notre capitale à nous, et la pluie des condamnations des dignitaires de nos pays ne pourra avoir sa force que si tous nous disons ‘non’, de la manière la plus véhémente, partout où notre voix peut porter, à la danse macabre qui se passe là-bas, car l’écho sonore de ce ‘non’ n’entraînera pas seulement dans nos rangs les voix européennes et américaines qui cette fois, on le voit, se sont mises à notre écoute, mais surtout, il remettra à nos côtés, les Joseph Kabila ou Mohammed IV qui, comme pour creuser encore plus profondément les racines du temps des fils à papa, ont applaudi en premier à l’imposture : notre avenir en dépend.

///Article N° : 3683

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