La comédie romantique – un genre mal-aimé ?

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Cache-cache d’amour et Le Pari de l’amour, deux films adaptés des ouvrages de la collection de romans roses  » Adoras « , suscitent le courroux de certains puristes du cinéma africain. Le public, lui, adore !

Depuis la diffusion du téléfilm Cache-cache d’amour en 2001 et la sortie sur grand écran du long-métrage Le Pari de l’amour en 2003, une polémique resurgit d’une saison à l’autre à l’ombre des festivals de cinéma panafricain : ce type de film peut-il être considéré comme authentiquement africain ? Peu importe que réalisateurs, scénaristes, comédiens, techniciens et stylistes des deux films cités soient tous originaires du continent africain, cette discussion agite régulièrement les commissions d’attribution de fonds et les jurys de festival. La réponse de ces éminents spécialistes est en général… non. Non, parce que les  » je t’aime  » et les bisous (toujours très chastes au demeurant) ne cadrent pas avec leur iconographie personnelle de l’Afrique. Non, parce que ces histoires se déroulent le plus souvent dans des décors bien léchés, plutôt urbains, plutôt modernes, loin des villages plombés de chaleur et du misérabilisme pittoresque si bien ancrés dans la mémoire d’anciens animateurs culturels et autres dinosaures du 35 mm tropical.
Un public qui en redemande
Ce qui tranche avec cette belle unanimité, c’est l’avis des spectateurs. Le Pari de l’amour a remporté le grand prix du public à Ouidah comme il aurait pu l’obtenir à Ouagadougou au Fespaco 2003 si la politique (la vraie, hélas…) ne s’en était pas mêlée. Lors des diffusions à l’antenne (télévisions nationales africaines, CFI, Canal Horizon, TV5), Cache-cache d’amour et Le Pari de l’amour ont chaque fois battu des records d’audience. Autre détail, et non des moindres : après chaque diffusion, des messages de spectateurs enthousiastes affluent dans la boîte e-mail du producteur, alors que pour connaître cette adresse électronique, il faut attendre la toute dernière image du film et, de surcroît, avoir papier et crayon sous la main…
Le succès se confirme outre-Atlantique. En 2003 et 2004, Le Pari de l’amour a été projeté en version originale avec sous-titrages anglais dans une dizaine de festivals africains-américains. Dans les commentaires des spectateurs et des critiques, on relève des phrases telles que :  » Ça, c’est l’Afrique d’aujourd’hui… Enfin autre chose !  » Comme s’ils découvraient, avec soulagement et fierté, que le continent ne se résume pas à quelques villages de terre, que là-bas aussi on vit des histoires d’amour. En effet, nous ne sommes pas très loin d’une certaine production noire américaine, glamour et urbaine, qui n’arrive toujours pas sur les écrans d’Europe mais qui remplit bien les salles du côté des Magic Johnson Theaters de Los Angeles ou de Washington.
Un romantisme politiquement incorrect
Ce qui, dans ces films, semblerait choquer les puristes, ce serait leur côté romanesque,  » fleur bleue « ,  » eau de rose « , comme il est coutume de dire, avec une condescendance non dissimulée. Pourtant, les avis sont partagés. Pour Mme Thirard – professeur à la faculté de sociologie de l’université de Lille III et auteur de plusieurs communications sur le sujet –, les romans de la collection  » Adoras  » sur lesquels se basent les scénarios, s’apparentent directement à des contes de fée modernes, avec prince charmant, Cendrillon et méchante reine. Elle s’indigne, et nous aussi, de la suffisance des beaux esprits qui affirment que l’Afrique se pervertit avec ce genre de littérature et qui recommandent aux auteurs africains de s’inspirer de leurs légendes traditionnelles, sans chercher à rivaliser en légèreté avec les sociétés occidentales… Vaste débat ! Faudrait-il donc que l’Afrique ressasse ou décline encore et toujours les mêmes clichés avec génies au fond des puits, vierges promises aux grands caïmans et dialogues en VO feutrée, derrière le baobab, entre chasseurs, panthères et fourmis parlantes ?
Suite au succès des deux premiers films, d’autres adaptations étaient prévues à l’écran – dont T’aimer malgré tout qui traite d’un grand amour sur fond de séropositivité. Pourtant, malgré un scénario fin prêt et des pré-engagements signés par de bons acteurs, la prochaine sortie du film est peu probable, les institutions d’aide à la production restant toujours hostiles au genre. Les salles disparaissent dans toutes nos villes, les chaînes nationales n’ont pas d’argent pour les achats de programme, les télévisions francophones à audience panafricaine paient de moins en moins cher, le piratage sur DVD s’avère aussi florissant que sur VHS. Quant aux VCD, même dupliqués maison par le producteur lui-même, il faudrait en vendre des quantités conséquentes pour rentabiliser un film de qualité !
Le romantisme a sans doute toutes ses chances dans le cinéma africain comme ailleurs. Mais il faut un peu de temps pour que s’effondrent certaines barrières et a priori. Déjà, en Afrique du Sud et au Nigeria, tout comme chez les Afro-américains, les réalisateurs semblent exempts de tout complexe à ce sujet. Et leur public les suit ! L’Afrique francophone ne restera certainement plus très longtemps à la traîne. N’en déplaise aux éternels donneurs de leçons, l’amour et la beauté contemporaine s’imposeront…

Journaliste, éditrice et productrice franco-ivoirienne, Martine Ducoulombier est correspondante de presse (AFP, AIP, DPA, New York Times, Handels Blatt) et collaboratrice de Fraternité Matin et de la radio ivoirienne. Elle a créé, en 1970, la toute première agence de communication ivoirienne, Ivoire scribe. En 1985, elle s’investit dans Dialogue productions, qui a produit plus de 500 films (spots, séries enfantines, films institutionnels, didactiques, téléfilm). Elle a notamment produit Le pari de l’amour (2002). Éternelle voyageuse, Martine Ducoulombier travaille aujourd’hui à de nouveaux projets : des chroniques, une fresque romanesque et surtout un retour à la presse écrite.///Article N° : 3817

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