« En nous inspirant de nos identités, nous avons beaucoup à donner au monde « 

Entretien de Samy Nja Kwa avec Pierre Akendengué

Paris le 23 mars 2005
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Avec son douzième album Ekunda-Sah, le musicien gabonais Pierre Akendengué continue à puiser son inspiration dans la musique et la culture traditionnelle de son pays. Ode à la nature et au raffinement des civilisations de l’Afrique ancestrale, dénonçant les inepties du monde moderne, son nouvel opus est fidèle à sa démarche artistique et militant, poétique, harmonieux et polyphonique. Rencontre.

Quatre ans après la sortie, en 2001, de votre précédent album, Obaka Danse vous revenez à l’actualité avec Ekunda-Sah. Comment est-il né ?
Dans Obaka Danse, je travaillais sur un instrument, l’Obaka, composé d’une tringle de bois sur laquelle on frappe à l’aide de deux baguettes. Son rôle est de soutenir le rythme régulier d’une succession de sons et d’harmoniser deux ou plusieurs tam-tams. J’étais intrigué par le radical  » k  » de  » Obaka « , qui se retrouve avec une étonnante régularité dans l’organologie de la musique négro-africaine : nous avons d’une part des instruments tels que la kora, le likembé, le nkul, le gwo ka (aux Antilles), la kuika (au Brésil), et d’autre part des musiques qui leur sont associées telles que le ska, le mapuka, la musique brakka, le makossa, le makumba, l’assiko. C’est cette combinaison qui a donné naissance à Obaka danse. Mon nouvel album met en valeur cet instrument à travers certaines musiques. Par exemple, le titre  » Mbéléwélée « , évoque la danse  » lissi mbu  » qui a de fortes résonances brakka. De même, le titre  » Assikuée « , est tiré d’une musique traditionnelle,  » Elombo « . Cet album s’inscrit dans un travail thématique commencé avec Obaka danse.
Comment faites-vous vivre les instruments traditionnels aux côtés des instruments modernes ?
Je m’attache à faire une autre musique : une musique non formatée, non standardisée, à laquelle, partant de la tradition musicale ancestrale, je donne de nouvelles opportunités d’exister. L’être humain a besoin de s’ouvrir à l’autre et de s’enrichir de sa différence. Et c’est ce qui devrait pousser les artistes africains à réhabiliter une vision positive de l’Afrique en proposant des œuvres fécondées par nos identités propres. C’est une démarche identitaire qui n’exclue pas les valeurs des autres. Je puise des sonorités dans le patrimoine traditionnel que je confronte aux musiques modernes, comme dans un dialogue de culture. C’est ce que Senghor appelait  » le rendez-vous du donner et du recevoir « . Étant entendu que nous Africains recevons beaucoup des autres, je suis sûr qu’en nous inspirant de nos identités, nous avons beaucoup à donner au monde.
Comment sensibiliser les jeunes Africains pétris de rap américain à la musique traditionnelle ?
Les parents ont une grande part de responsabilité. Ils devraient initier leurs enfants à la tradition, leur donner l’amour de nos pays. Aimer son pays, c’est d’abord le faire connaître. Les sociétés de diffusions, souvent entre les mains de l’État, ont aussi un rôle à jouer. Les modèles proposés à nos enfants sont ceux de l’Occident. Malgré le concept de mondialisation, nous entretenons un monologue avec l’Occident. La tentation est donc grande pour nos jeunes de créer des œuvres faisant la part belle aux standards bénéficiant déjà de diffuseurs. Maintenant, comment faire pour que nos jeunes s’intéressent d’avantage à cette immense richesse qu’est la culture africaine ? L’artiste n’est pas un donneur de leçon. En matière d’éducation, il faudrait les inciter à s’intéresser à nos cultures et à se les réapproprier en les initiant aux civilisations antérieures aux conquêtes coloniales. Cela leur permettrait de comprendre qu’il y a égalité dans la diversité culturelle. Ce qui ne veut pas dire qu’il y a une culture qui soit inférieure à l’autre.
Ekunda-Sah est imprégné de références religieuses. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
L’album est en fait construit sur trois pôles : le culturel mais aussi le social, plus exactement la pauvreté qui gangrène nos sociétés en Afrique, où une grande partie de la population vit avec moins de 2 dollars par jour. Le troisième pôle est celui de la quête religieuse qui m’a été inspirée par un voyage dans la forêt de l’Afrique centrale. J’y ai senti une dimension mystérieuse qui inspire le respect et la foi. Notre foi exporte la paix et non la violence.
D’où le titre  » La Colombe « , qui parle de paix ?
C’est une valeur ancestrale. Lorsque l’on s’y réfère, il n’y a pas à désespérer de l’Afrique. Je suis chrétien (en dehors de mon appartenance à l’animisme), et je pense qu’il faut réinstaurer la justice. Les inégalités et les injustices constituent un danger qui exacerbe le désespoir et les déceptions et peut conduire aux explosions sociales. Ou nous survivons ou nous périssons !
Face aux nouvelles technologies, les artistes ont du mal à exister, en Afrique encore plus qu’ailleurs, comment faire face à cette difficulté ?
L’artiste a du mal à exister en Afrique avant tout parce que l’élite a failli. Elle est en grande partie coupable. Cette élite, à laquelle j’appartiens, a pactisé avec le diable. Nous avons participé au recul en cautionnant des régimes qui spolient le peuple, qui n’hésitent pas à vendre pétrole, diamants, or pour s’acheter des armes, pour s’exterminer entre frères ou garder le pouvoir. J’ai coutume de dire que les riches fabriquent les pauvres. Moins d’inégalités devraient pouvoir ajuster les souffrances des uns et des autres et donner à chacun la satisfaction de ses besoins fondamentaux, c’est-à-dire se loger, se nourrir, s’éduquer. Dans nos pays, il faut en appeler à un sursaut vital, notamment des élites pour pouvoir corriger cette vision négative de l’Afrique.
Cet album accorde une importance particulière aux voix et notamment à celles des femmes. Quel rôle y jouent-elles ?
On dit qu’un peuple qui chante la même chanson est un peuple uni. Le premier instrument de l’Être humain est la voix. Quand j’élabore une mélodie, j’harmonise d’abord les voix et je les place au même niveau que la musique. Ce sont elles qui conditionnent les arrangements. La femme a souvent occupé une position inférieure dans la société. Si on se réfère à la Déclaration universelle des droits de l’Homme au siècle des Lumières, on s’aperçoit qu’elle n’a concerné que l’homme en mettant de côté la femme et les esclaves. Miriam Makéba avait coutume de dire lorsqu’elle montait sur scène que  » si les Noirs étaient les esclaves des Blancs, les femmes étaient les esclaves des esclaves « . Il s’agit pour nous, hommes et femmes d’Afrique, de résister ensemble.

Ekunda-Sah, Pierre Akendengué, Taxis Records / Codaex, 2005///Article N° : 3833

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