Zoo humain et fantasmes populaires en Allemagne

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Richard Alemdjoro vit en Allemagne où se multiplient les actes de racisme ordinaire ou extraordinaire (comme les attentats contre les foyers d’immigrés). Son regard lucide est édifiant. Certes, des avancées seraient à mettre en avant, comme les efforts de nombreuses associations, ceux de maisons d’édition pour publier des écrivains africains ou certaines expositions d’art africain, mais leur portée reste limitée, le public ne suivant que bien peu. Entre ces îlots de lutte contre les discriminations et la persistance des imaginaires coloniaux, un combat inégal mais essentiel se joue, en Allemagne comme dans les autres pays européens. O.B.

Insensibles au tapage médiatique désapprobateur, les organisateurs du zoo humain d’Augsburg ont, en juin dernier, mené leur projet à son terme, sans qu’aucune réaction gouvernementale ne soit venue troubler l’exhibition, comme le notent Pascal Blanchard et Olivier Barlet (1). Rien d’étonnant sous le ciel de Berlin, car le politique n’a jamais rien entrepris pour corriger l’image négative des Africains dans la conscience collective allemande. L’héritage du nazisme sur l’image des Noirs, par exemple, n’a jamais été déconstruite, puisqu’au lendemain de la seconde guerre mondiale et face aux plaintes des rescapés Afro-allemands auprès des tribunaux pour la reconnaissance de leur souffrance, le tribunal de Düsseldorf, sur la base d’un rapport d’experts de l’Institut d’Histoire Contemporaine, parvint à la conclusion radicale, que les  » Noirs n’ont pas fait l’objet de mesures particulières pendant le règne nazi (2) « . Il est vrai que les lois raciales de Nuremberg n’avaient fait que priver les Afro-allemands de la nationalité allemande et de travail, leurs enfants furent juste interdits d’école et les enfants issus d’unions entre couples afro-allemands stérilisés pour empêcher  » l’abâtardissement  » de la race aryenne. Les plus malchanceux d’entre eux n’avaient fait que finir leur trajectoire de vie dans les camps de concentration. Il n’y avait pas de quoi fouetter un chat !
Pour revenir à la problématique des zoos humains, il est à noter que l’évènement d’Augsburg ne constitue pas une première en Allemagne dans ce début de 21e siècle que l’on veut plus humaniste. Le problème s’est déjà posé à Sarrebruck, ville frontalière de la France, en 2000 (3). Les étudiants africains de la Sarre, regroupés dans un collectif, avaient alors amené la justice allemande à se prononcer sur le caractère dégradant du projet. Malgré cela, il existe aujourd’hui des infrastructures au zoo de Sarrebruck, où de soi-disant artistes ou artisans africains sont invités à présenter leurs créations. Chose curieuse pour un lieu censé symboliser la rencontre de la culture européenne et africaine, on n’a jamais vu un artiste européen y présenter, ne serait-ce qu’une sculpture insignifiante d’un pied de grenouille. A-t-on idée de voir un pays africain faire la promotion de la culture allemande dans un zoo ou, pour rester dans les stéréotypes historiques, présenter le visage hideux du nazisme comme représentatif de ce que sont les Allemands ? Le problème des zoos humains en Allemagne au 21e siècle va au-delà d’une simple anomalie ou d’un évènement passager de mauvais goût. Il s’agit d’un véritable problème de perception des Africains dans la culture populaire et politique allemande.
La banalisation du racisme
A l’instar de la directrice du zoo d’Augsburg, Barbara Jantshke, qui déclara ingénument ou machiavéliquement, c’est selon, qu’elle était très fière d’avoir pu contribuer  » à mieux faire connaître les Africains  » aux visiteurs (une façon de ranger l’Africain dans la faune sauvage du zoo), le citoyen allemand lambda a, semble-t-il, du mal à comprendre l’énervement et les protestations des associations de défense des droits civiques. Ainsi lorsque le collectif des Afro-Allemands, par l’intermédiaire de Sascha Sinflu, dénonce la vieille tradition du carnaval de Cologne à faire défiler des individus déguisés en bons sauvages africains comme une manière de renforcer les préjugés qui considèrent les Africains comme des primitifs, on lui répond qu’il ne s’agit nullement de comportements racistes, la preuve étant que des Africains participent à la manifestation (4) (argument qui revient souvent et qui a été mis en avant dans les affaires du zoo humain d’Augsburg et de Sarrebruck). Les responsables de la police de Wiesbaden (capitale de l’Etat de Hesse) ont manifesté le même sentiment d’incompréhension lorsqu’il leur a été reproché d’utiliser le terme de  » Neger  » pour lancer un avis de recherche. Le 16 juillet 2003, quatre individus avaient passé à tabac et dévalisé deux adolescents. Les victimes décrivirent à la police deux des agresseurs comme étant des Noirs  » Schwarze « . Pour le porte-parole de la police, noir étant une notion assez vague, il lui avait paru nécessaire de libeller l’avis de recherche comme suit :  » Description du suspect : de sexe masculin, Africain / Nègre  » (5). Devant la très vive réaction de plusieurs associations et de certains politiciens et journalistes, les responsables de la police ont fait état d’une regrettable erreur, mais le texte, qui ne fut pas changé d’un iota, resta trois semaines sur les pages internet de la police.
Si les violences racistes de la fin des années 90 et du début des années 2000, qui avaient abouti à l’incendie criminel de certains foyers de demandeurs d’asile (causant la mort d’hommes et de femmes d’origine africaine) et au bestial assassinat du Mozambicain Alberto Adriano par des Néonazis, ont baissé d’un cran, le discours politique tend parfois à légitimer la haine raciale d’une couche de la population. Lorsqu’en juin 2003, le maire de la ville de Rastatt, Klaus-Eckard Walker, déclara à propos des réfugiés africains qui habitent dans sa commune, que ces derniers devraient s’en tenir aux us et coutumes de leur pays d’accueil, faute de quoi  » ils devraient être renvoyés au Congo, où ils pourraient danser autour du feu jusqu’à devenir noirs, ce qu’ils sont, dans tous les cas, déjà « , la population de la commune n’a pas été sensible à l’émoi et à la crainte d’agression physique suscités chez les Africains. Au contraire, les premières réactions rapportées par la presse (6) faisaient état de menaces du genre  » Ce n’est pas autour du feu que les Noirs devraient danser, mais dans le feu  » ou encore  » on devrait les battre à mort « . Les paroles de ce politicien social-démocrate ont été d’autant plus incompréhensibles qu’il a été celui qui avait suspendu le partenariat de sa ville avec la ville d’Orange en France, à l’arrivée d’un maire du Front National.
Tout aussi incompréhensible est la déclaration de l’ancien chancelier social démocrate Helmut Schmidt en juin 2005 à propos de l’immigration en Allemagne (7). Faisant le lien entre le taux de chômage élevé et les étrangers, l’ancien chancelier réclama l’interdiction de l’immigration de populations issues  » de cultures étrangères « . Par ce vocabulaire très prisé des populistes allemands, celui qui passait pour être un penseur libéral avait surtout ciblé deux groupes d’immigrants dans sa réflexion sur le vieillissement de la population :  » L’immigration de populations provenant de l’Anatolie de l’est ou de l’Afrique noire ne résout pas le problème, mais en crée un autre plus grave « . L’utilisation de ce genre de vocabulaire de la part d’hommes politiques des partis démocratiques traditionnels est assez courante. On a l’impression que pour accéder à un mandat local ou fédéral, le moyen le plus efficace est de se présenter comme le défenseur des Allemands contre les envahisseurs étrangers. L’actuel ministre-président de l’Etat de Hesse, Roland Koch, doit certainement son poste à l’action populiste, mais couronné de succès, des pétitions contre le projet de double nationalité présenté au début de sa première législature par la coalition des sociaux-démocrates et des verts. De même le très controversé chrétien-démocrate Rüttgers est parvenu en 2005 à ravir l’Etat de Rhénanie-Westphalie aux sociaux-démocrates, lui dont la fameuse formule  » Kinder statt Inder  » avait soulevé un tollé (formule prononcée pour s’opposer au plan du gouvernement Schröder, visant à octroyer des green cards à des spécialistes étrangers de l’informatique. Les ressortissants de l’Inde passant pour être les plus demandés sur ce marché, le politicien allemand réclama que les Allemands fassent des enfants plutôt que de faire appel à des ressortissants de l’Inde. Le projet fut d’ailleurs un fiasco). Le même Rüttgers déclara, suite à l’élection de Benoît XVI, que le catholicisme est et reste supérieur aux autres religions. Quant aux chrétiens démocrates de la CDU / CSU, ils ont déjà annoncé que le débat sur les étrangers fera partie de la campagne électorale pour les législatives anticipées de septembre 2005. On ne change pas une recette qui gagne.
Il existe manifestement un manque de volonté politique à s’attaquer aux racines du racisme en Allemagne. Une étude de l’Institut Allemand des Droits de l’Homme, soulignait ce manque de volonté et reprochait à la politique allemande de chercher de petites solutions au problème du racisme. L’étude prenait comme exemple le refus du gouvernement de transposer la directive européenne de 2000 sur les discriminations dans la norme juridique allemande. Une forme tempérée de la directive a été finalement votée comme loi par le Bundestag en janvier 2005, mais la loi n’a pas trouvé de majorité au Bundesrat (Conseil fédéral), dominé par les conservateurs chrétiens démocrates, pour être définitivement adoptée. Le débat qui avait précédé le vote au Bundestag est révélateur de l’état d’esprit des politiciens allemands vis-à-vis du problème du racisme. La disposition centrale de la directive, qui prévoyait que la preuve de la discrimination n’incombait pas à la victime, fut considérée par le patronat et les églises comme dangereuse pour les employeurs. Car ces derniers devraient désormais apporter la preuve qu’ils n’avaient pas pris leurs décisions sur des bases discriminatoires. Dans ces conditions d’absence de loi anti-discrimination, on comprend mieux qu’un organisme quasi étatique comme la  » Arbeitsvermittlung des Studentenwerks  » (organisme installé dans les Universités allemandes et chargé de jouer les intermédiaires entre les employeurs et les étudiants) ait pu afficher, en août 2005, une annonce ouvertement raciste sur les murs de l’Université de Berlin. Un organisme privé voulait recruter des étudiants et étudiantes pour préparer l’organisation du Salon International de la radio. L’avis de recherche de candidats comportait la phrase suivante :  » Les candidats peuvent bien porter des chaussures noires, mais ils ne doivent pas avoir la peau noire « . La Jobvermittlung (l’intermédiaire étatique basé sur le campus) ajouta ses propres remarques :  » Important : l’employeur ne désire pas embaucher des étudiants de couleur. Les étudiants d’Afrique noire doivent s’abstenir de venir aux informations. Leurs candidatures n’ont aucune chance d’être retenues  » (8).
Comment expliquer que la presse allemande, à l’occasion des jeux olympiques d’Athènes en 2004, ait pu écrire que les performances des athlètes noirs sont inscrites dans leurs gènes, alors qu’aucune étude scientifique sérieuse ne confirme ces dires ? Selon un article (9) qui se base sur les conclusions d’un médecin de sport allemand de l’hôpital universitaire de Freiburg, Hans-Hermann Dickhut,  » on peut très bien voir que les meilleurs coureurs de fond à la peau noire viennent tous du nord ou de l’est de l’Afrique. Les sprinteurs noirs, par contre, viendraient presque tous de l’Afrique de l’ouest ou, par le fait de l’histoire, des Caraibes et des États-Unis, où les esclaves originaires d’Afrique de l’ouest ont été conduits. Les peuples d’Afrique, ainsi que leurs descendants jadis déportés vers l’autre côté de l’océan, ont longtemps vécu séparés les uns des autres et ont pu ainsi bien conserver leurs caractéristiques génétiques « . L’article poursuit :  » Selon Hans-Hermann Dickhut, on note chez eux un type de profil récurrent avec des fibres musculaires particulières. Les Africains de l’ouest, par exemple, posséderaient des fibres musculaires blanches très élevées, ce qui est bien pour la rapidité et la puissance, et par conséquent propice aux sports comme le sprint et le saut en hauteur. Situation contraire en Europe, où les différentes communautés de peuples se sont mélangées depuis des siècles, c’est pourquoi les Européens ne sont ni très rapides, ni très résistants « . Balivernes pseudo-scientifiques et racistes qui passent comme une lettre à la poste en Allemagne.
L’Afrique comme un musée ethnographique
La construction de l’image de l’Afrique dans la culture allemande reste imprégnée de la vision ethnologique d’un Léo Frobenius, qui voyait dans la race noire,  » une race d’esclaves « , et qui colporta de nombreux stéréotypes sur les nègres mangeurs d’homme et paresseux. La vision culturelle de l’Afrique est restée scotchée à l’association de la nature, et les zoos humains n’en sont qu’une représentation. Il n’y a pas une manifestation en Allemagne sur l’Afrique, qui ne soit pas associée aux tam-tams et autres castagnettes, pas une manifestation dite culturelle sur l’Afrique sans que le caractère proche de la nature des Africains ne soit mis en avant. L’art moderne africain, les écrivains africains de talent n’intéressent pas le public. Les expositions sur l’art ou sur la vie des Africains ont souvent lieu dans des musées d’histoire naturelle, au milieu des cadavres d’animaux, seuls endroits où la vie et les créations du nègre peuvent décemment être montrées.
Ce fut le cas de la fameuse exposition sur  » La vie en Afrique de l’ouest (10)  » qui ouvrit ses portes au musée d’histoire naturelle de Francfort, le 18 octobre 2002. Cette exposition dura jusqu’en juin 2004 et fut montrée dans les musées de Cologne, de Lübeck et de Heilbronn. Au-delà de la question légitime posée (11), sur le fait de savoir si ces musées sont des lieux appropriés à la présentation de la vie des gens en Afrique, le caractère dégradant des objets présentés et les commentaires y afférents, montraient un souci constant de dénigrement et d’humiliation. Les jugements forfaitaires qui, non seulement déforment la réalité, mais la manipulent, traversent l’exposition. Ainsi pouvait-on lire sous la photo d’une femme :  » Le sexe et la bière : En Afrique de l’ouest, presque toutes les serveuses sont en même temps des prostituées. Elles n’ont guère d’autre choix, car bien que la vie ici soit moins chère qu’en Europe, nul ne peut vivre avec les 3 Pfennig gagnés par bouteille de bière ou de coca-cola vendue. Dieudonnée travaille dans une ville du Burkina-Faso, mais est originaire du nord du Togo, pays voisin du Burkina-Faso… « . Il est probable que cette jeune femme, et d’autres avec, se trouve dans cette situation dramatique, mais de là à en tirer cette conclusion sur la quasi totalité des serveuses opérant en Afrique de l’ouest a quelque chose de déroutant.
Cette vision d’un continent sur lequel la relation sexuelle est pervertie et se pratique à l’emporte-pièce est une croyance répandue. En occident, les clubs échangistes et libertins peuvent se multiplier à gogo, les gens peuvent transcender les tabous sexuels impunément, c’est presque de l’art auquel on consacre des centaines d’ouvrages enchanteurs. Mais le sexe en Afrique à un caractère dégoûtant, car pratiqué de manière inélégante et, surtout, il y a le Sida. Dans un ouvrage intitulé La danse de la mort, Sexe et Sida en Afrique (12), tous les préjugés sont passés en revue. Dans le chapitre intitulé  » Dreimal täglich Sex zum Spass  » (Sexe trois fois par jour pour le plaisir), on découvre de curieuses traditions africaines, dont nombre d’Africains ignorent à coup sûr l’existence :  » Un homme visite-t-il son frère dans un autre hameau, qu’il y aura abondance de riz à manger, mais aussi de la bière faite maison. L’hôte offre ensuite à son visiteur sa femme pour passer la nuit. En raison de son statut d’asservie dans la société, la femme ne peut s’opposer à cet état de chose. Elle n’essaie même pas de s’y opposer (p. 34)  » ou encore  » En Afrique au sud du Sahara, à l’exception de la plus dévéloppée République Sud-Africaine, le phénomène  » d’aller voir ailleurs  » comme nous l’appelons, ou cette manière légère d’avoir des rapports avec l’autre sexe, prend un tout autre aspect. A l’écart des quelques grandes villes, le sexe constitue pour plusieurs le seul moyen de passer le temps (p. 35) « , ou très catégorique encore :  » L’appellation de travailleur du sexe vaut uniquement pour l’Afrique, puisque très souvent les petites filles et les femmes, dès leur enfance, sont obligées de se prostituer pour nourrir la famille. Elles auraient bien voulu avoir d’autres occupations, mais il n’y en a pas d’autres (p. 38) « , plus morbide encore pour le lecteur européen qui découvre la sexualité si étrange de l’animal nègre dans son ensemble :  » Le sexe à sec est pratiquement inconnu en Europe. Il l’est probablement aussi en Amérique. En Afrique par contre il est très répandu. On n’en parle presque jamais, car c’est quelque chose de très intime. Victoria explique, qu’il s’agît de tenir la muqueuse de la femme à sec pendant la pénétration. Lorsque George l’exigea d’elle pour la première fois, elle alla consulter le guérisseur traditionnel, comme on l’appelle. Sa mère le lui avait recommandé en son temps, car la fille n’était pas très portée sur le produit chimique de nettoyage censé assécher le vagin. Chez le guérisseur, elle obtint une poudre, concoctée à partir de fines herbes broyées à sec et mélangées à de la glaise et à l’urine de singe.  » Ça m’est égal, la manière dont il le fait « , assura Victoria. Bien frictionné avec la poudre, le vagin se dilate un peu, mais sa muqueuse reste sèche.  » Cela fait très mal « , avoua-t-elle.  » Mais je reçois de George trois fois le prix qu’il me paie d’ordinaire « . (p. 44-45) « . La démonstration est faite que l’Africain, contrairement à l’Européen, n’a pas une sexualité normale, d’où la propagation rapide du Sida sur le continent.
Les Africains dans la littérature
La littérature reflète doublement la manière dont l’Afrique est perçue en Allemagne. D’une part la littérature africaine, celle écrite par les auteurs africains, n’attire ni les foules ni la critique littéraire, et d’autre part il existe une forme particulière de littérature africaine au succès éclatant : les romans et récits sur l’Afrique écrits par les Allemands. Le désintérêt pour la littérature africaine a été relevé par Uwe Timm (13), qui écrivit à propos de l’excellent ouvrage d’Ahmadou Kourouma, En attendant le vote des bêtes sauvages :  » Comment expliquer qu’un tel roman soit passé inaperçu ? La réponse est simple : l’auteur est Africain, la trame du roman se passe en Afrique et parle de l’Afrique « . L’analyse est pertinente, même si au fond, l’Afrique et les histoires qui s’y passent intéressent le lecteur allemand, à condition qu’elles soient relatées par des auteurs allemands.
Ces romans et récits, presque toujours des best-sellers, ont pour point commun la recherche de l’exotisme. Ecrits racoleurs, souvent médiocres, ils sont l’oeuvre d’auteurs spécialisés dans les trames africaines et surtout d’Allemandes ayant eu pour conjoints des Africains et ayant effectué des séjours en Afrique. On y expose ses amours, ses aventures sexuelles dans une Afrique fantasmagorique. Romans souvent tristes, dans lesquels l’Afrique est plus qu’un enfer terrestre. L’Allemagne est ainsi en train de se rattraper sur son histoire coloniale écourtée. Ces auteurs ont la nostalgie de cette époque révolue, où Pierre Mille et Louis-Charles Royer racontaient leurs amours d’Afrique. Nouvelle forme de littérature coloniale bien en dessous de la verve d’un Pierre Loti, d’un Guy de Maupassant ou d’une Isabelle Eberhardt.
La forme la plus discutable de cette littérature est représentée par la littérature de jeunesse germanophone qui véhicule, pour les jeunes esprits, les stéréotypes et les clichés les plus éculés sur les Africains. La plupart de ces romans, véritables défouloirs d’instincts racistes de leurs auteurs, sont des illustrations de la quête d’exotisme, du désir de montrer le caractère arriéré de la culture et des populations africaines. Le message adressé au jeune lecteur allemand est qu’il doit s’estimer heureux de son propre sort, eu égard au destin peu enviable de l’Africain. L’histoire du petit Mark en villégiature avec ses parents au Kenya (Die Spur des Löwen de Stephanie Zweig (14)), qu’un employé de l’hôtel où il résidait amena dans une tribu à l’insu de son père, donne lieu à un dialogue surréaliste entre le père inquiet et le chef de réception africain insouciant de la disparition de l’enfant, dialogue de sourd aussi entre le père et l’officier de police kenyan incapable de comprendre l’anglais. L’éternel contraste entre l’Européen intelligent et l’Africain idiot en somme. Pendant ce temps, le petit prodige Mark, puits de savoir égaré dans la brousse africaine, apportait la connaissance occidentale au chef de tribu ignare, qui finit par se mettre nu devant l’enfant pour exprimer on ne sait quel sentiment de gratitude. Dans son roman intitulé  » Die Gazelle  » (La gazelle), Jo Pestum nous rejoue le coup des amours coloniales impossibles entre la Négresse et le Blanc. Une relation amoureuse secrète est entretenue par Simon, un humanitaire travaillant au Zaire, avec une Africaine qui, comme toute Africaine qui se respecte, a un amant africain à côté. Au-delà du fait que l’auteur de ce roman s’attache à démontrer que toute relation amoureuse entre un Blanc et une Noire est impossible, voire destructrice pour le Blanc, on est frappé par la haine du narrateur pour ce pays, selon lui, sans ciel, sans couleurs, sans odeurs qu’est le Zaire. On est interpellé par sa surprise de voir des visages noirs en Afrique noire :  » Le visage noir du fonctionnaire m’irrita, oui, je crois que j’ai même eu peur « ,  » Je relevai la tête et me retrouvai directement en face d’un visage noir qui m’effraya  » (15). Quant à la fameuse femme noire qui a suggéré le titre la gazelle, le narrateur en est arrivé à la conclusion, en utilisant le terme de  » dunkle Frau  » (femme sombre), qu’elle n’est pas seulement sombre de peau, mais aussi de coeur :  » Femme noire (en français dans le texte). Bon, je sais qu’aucun enseignant n’aurait souligné cela comme une faute. Mais, moi je le sais mieux que quiconque. Femme obscure : femme ténébreuse, inconnue, suspecte. J’affirme que cette traduction est la bonne, bien que je sache qu’on ne peut estimer le mot avec assurance « .
Les exemples sont nombreux (16) de cette forme de littérature qui ne contribue pas à déconstruire l’image négative de l’Africain dans les mythes populaires allemands. Peut-être les lecteurs ciblés y trouvent-ils leur compte. Du refus de s’attaquer à ces clichés face aux protestations internes, se dégage l’étrange impression que l’Allemagne se croit vivre, du fait de l’inaccessibilité de sa langue à la grande majorité noire franco-anglophone, en autarcie et peut se permettre de soigner ses stéréotypes sur l’Afrique. Demain, lorsqu’un de ces gosses nourris et psychologiquement préparés par la lecture de ces ouvrages tendancieux commettra un crime raciste, la justice mettra cela sur le compte d’un déséquilibre mental ou de la grande jeunesse de l’auteur du crime, comme c’est souvent le cas, pour ne pas remuer la sale marmite du racisme.

1. Pascal Blanchard et Olivier Barlet, Le retour des zoos humains ?, in Le Monde du 28 juin et sur le site d’Africultures dans son texte intégral.
2. Voir l’article, „Verfolgt, vermessen, vernichtet « , www.terz.org, N.B. : tous les textes en italiques traduits de l’allemand, l’ont été par l’auteur de cet article.
3. Wochenspiegel n° 52 du 27 décembre 2000.
4. Voir l’article „Die Vorliebe des Kölners für den Afrikaner « , in Frankfurter Rundschau, du 21 février 2004. Cette tradition qui est perpétuée par les clubs appelés „Negerköpp »-Vereinen (dans le dialecte local, cela veut dire littéralement Clubs de têtes de nègres), dont les membres se déguisent chaque année, pendant le carnaval, en portant des accoutrements en peaux d’animaux, affublés de perles, de plumes et de toute sorte d’ustensiles hétéroclites censés représenter les Africains dans leur mode de vie quotidien. Ils sont en outre grimés, le visage peint de signes guerriers et le corps peint en noir. Cette tradition qui date de 1824 selon l’historienne Hildegard Brog, reste aujourd’hui un avatar des stéréotypes de la période coloniale.
5. Frankfurter Rundschau, du 8 août 2003, „Neger « im Polizeibericht sorgt für Empörung.
6. Frankfurter Rundschau du 30 juillet 2003.
7. Frankfurter Rundschau du 13 juin 2005.
8. Voir l’article „Farbige unerwünscht « (Les hommes de couleur indésirables), dans le Frankfurter Rundschau du 3 août 2005.
9. Europäer sind nur Mittelmass (Les Européens sont tout justes moyens), Saarbrücker Zeitung, du 23 août 2004.
10. Life in Africa, in The African Courier, Febr. / March 2003.
11. Kodjo Attikpoe, Ist Afrika ein ethnographisches Museum ? (L’Afrique est-elle un musée ethnographique ?), in Internationales Afrikaforum, 2/2003.
12. Ursula Meissner / Heinz Metlizky, Todestanz – Sex und Aids in Afrika, Francfort / Main, 2003.
13. Dans Die Zeit, n° 25 du 15 juin 2000.
14. Publié de nouveau en 2000 à Munich. Traduction littérale du titre : La trace du lion. Une amitié en Afrique.
15. In Kodjo Attikpoe, Von der Stereotypisierung zur Wahrnehmung des anderen, Francfort 2003.
16. Pour de plus amples informations sur ces romans et récits, lire l’étude de Kodjo Attikpoe, Von der Stereotypisierung zur Wahrnehmung des, Anderen’ (L’image de l’autre dans la littérature de jeunesse germanophone – L’image de l’Africain dans la nouvelle littérature de jeunesse germanophone), Peter Lang, Francfort, 2003.
///Article N° : 3945

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