Gaston Kelman présente : Je suis noir et je n’aime pas le manioc à Yaoundé.

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Né en 1954 au Cameroun, licencié en lettres bilingues à l’université de Yaoundé, Gaston Kelman est allé faire la suite de ses études universitaires en Angleterre puis en France qui lui ont permis de devenir urbaniste. Consultant auprès d’un organisme qui travaille à l’intégration noire en France, l’homme a déjà passé une vingtaine d’années chez les bourguignons. Kelman, c’est un Camerounais devenu Français qui revendique sa francité sans fioriture et s’affirme totalement camerounais à Yaoundé. Etranges extrêmes d’un urbaniste-écrivain, qui, en pulvérisant bien de records mondiaux de vente de livres, demeure une poignante interrogation pour les publics africains vivant en Afrique face à la question tout aussi poignante de l’intégration du Sud dans les pays du Nord, en France plus précisément. L’équation Kelman, en désaccord avec Calixte sur ses vues sur sa problématique de l’insertion en France, a encore plusieurs inconnues. L’homme qui, un accent très Fernando d’Alméida, un physique très Lapiro de Mbanga, des lèvres épaisses et cette couleur ébène qui en font un authentique bantou, est un maître de la parole, au sens que Jacques Chevrier donne de cette expression. Pendant sa conférence dédicace du Centre culturel français de Yaoundé en janvier dernier, une violente querelle l’a opposé à Bassek Ba khobio. Le cinéaste camerounais le trouve très conciliateur là où il faut être violent, l’insertion des africains dans un contexte comme la France, devant se faire dans et avec la violence, de l’avis du patron des Ecrans Noirs.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Kelman, a laissé plus de questions dans l’esprit des Camerounais qu’il n’a apporté de réponses. Selon un fonctionnaire de l’ambassade de France à Yaoundé, Kelman est un manipulateur, un flamboyant manipulateur, il ne dit jamais la même chose partout, il agit comme un caméléon, changeant de couleur selon les milieux où il se trouve. Son sens de la culture ne laisse pas indifférent. Par une étonnante gymnastique sémantique et anthropologique, la culture se réduit dans son esprit à une simple adaptation à un contexte donné. Je m’adapte à la culture de l’autre donc je suis, pourrait-on dire, en paraphrasant Descartes. Kelman semble par ailleurs s’établir dans la culture française sans le moindre ennui. On se demande forcément comment il a réussi à ce point à évacuer la mémoire historique. Quand on sait que la France, au Moyen Age, a été dans la même situation que l’Afrique ou plus précisément le Cameroun en ce moment. C’est le latin qui faisait tout et le gaulois (si on peut se permettre de rassembler tous les parlers de la langue d’oc et de la langue d’oïl ainsi) était exclu des lieux de légitimation de la pensée et de la culture. Le français sera-t-il à jamais notre pont d’accès au monde ? On se pose à Yaoundé la question de savoir si cette totale sécurité que kelman trouve dans la langue d’occupation n’est pas facile. On se demande également si on peut franchement s’adapter et s’intégrer à un environnement où nombre d’Africains n’arrivent que par effraction ces dernières années, par immigration clandestine. Je suis noir et je n’aime pas le manioc vient certes dire aux Africains vivant en France de ne plus se casser la tête sur des questions du genre dois-je être fier, en tant qu’Africain, de ma nationalité française ? Dois-je infiniment demeurer prisonnier de l’histoire qui fait de moi l’ancien esclave et l’ancien colonisé? Dois-je m’intégrer totalement dans la société française, et donc, participer en tant que tel au débat qui la fait, la fonde et l’intègre dans le concert des nations ? De toutes les façons, les Africains vivant en France auront encore pour longtemps les réponses à ces questions. Car il va vraiment être difficile d’être totalement africain et français en même temps.

///Article N° : 3975

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