Des êtres, des lieux et des mots : les « Noirs », les « Cafres », les « Sauvages du Cap » et les « Hottentots » et l’imaginaire exotique des lettrés français à l’apogée de l’Age baroque

Université de Paris IV-Sorbonne(C.R.L.V.) / Middlebury College (Vermont)

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A l’avènement du dix-septième siècle, les voyageurs poursuivent l’exploration du monde et des lointains entreprise par leurs prédécesseurs au cours du siècle précédent (1). Si les Anglais, les Portugais, les Hollandais et les Allemands se lancent littéralement à l’assaut des opulentes Indes orientales, les Français concentrent principalement leurs efforts sur l’Orient, l’Amérique et la Barbarie. Les nombreuses relations que les voyageurs européens ont consacrées à leurs périples dans les Indes orientales contiennent chacune une description plus ou moins circonstanciée des populations évoluant dans les baies du pourtour du Cap de Bonne-Espérance. Bien moins nombreuses, du fait du nombre moins important de voyages effectués, les relations composées par des voyageurs de langue française n’en comportent pas moins elles aussi une description de ces habitants. Mais parce qu’elles sont longtemps demeurées à l’état de manuscrits et parce que le renouveau de la littérature géographique passe par une redécouverte des sommes des anciens et des écrits des humanistes, ces portraits vont demeurer sans effet sur la production romanesque, dramatique et poétique de cette période que l’on a nommée, après avoir emprunté cette notion aux arts plastiques, l’Age baroque (2). Si les voyageurs commencent à établir des distinctions entre les « Noirs », les « Cafres », les « Sauvages du Cap », et les « Hottentots », et si les descriptions qu’ils livrent de ces populations tendent de plus en plus à faire l’objet de véritables portraits, les lettrés français – qu’il s’agisse des romanciers, des dramaturges ou des poètes – préfèrent utiliser les matériaux que leur offrent les espaces antiques ou ces espaces exotiques dont ils ont une meilleure connaissance et que sont la Barbarie, l’Orient et l’Amérique. Via l’étude des productions viatiques des voyageurs de langue française et des productions scientifiques et littéraires de la première moitié du dix-septième siècle, c’est à la part dévolue aux populations des côtes méridionales africaines dans l’imaginaire exotique des lettrés français à l’apogée de l’âge baroque que l’on va donc s’intéresser.
Exotisme et altérité : l’Orient, l’Amérique et la Barbarie dans les récits de voyage de la première moitié du dix-septième siècle
C’est au cours des premières décennies du dix-septième siècle que s’épanouit un nouvel imaginaire du voyage qui dépasse l’héritage antique tout en continuant à l’intégrer. Les entreprises d’exploration et les tentatives de colonisation européennes qui s’inscrivent dans la continuité des expéditions mises sur pied au cours de la seconde moitié du seizième siècle se poursuivent. Concernant les entreprises françaises, Olivier de Malherbe fait en 1609 à Henri IV le récit du voyage autour du monde qu’il vient d’accomplir. Jean Mocquet, apothicaire du roi, effectue plusieurs voyages en Afrique et en Extrême-Orient entre 1607 et 1610. Découvrir, reconnaître, entrer en contact avec l’autre, se confronter à lui ; tels sont quelques-uns des buts poursuivis par les voyageurs à l’avènement de ce nouveau siècle. Les relations de voyage auxquelles donnent lieu ces expéditions, marquées du sceau de la curiosité et de la crainte, contribuent à renouveler, même si cela concerne un nombre somme toute assez réduit d’espaces et même si elles continuent à rapporter l’inconnu au connu et à réduire le nouveau au familier, les savoirs relatifs aux mœurs, coutumes et pratiques des populations rencontrées, suscitant un intérêt neuf et croissant pour l’autre, dans le sens du cosmopolitisme et du relativisme (3). Au cours de la première moitié du dix-septième siècle, ce ne sont pas les confins africains qui retiennent l’intérêt des curieux, des lettrés et des férus de géographie mais trois autres espaces qu’investissent à la même époque les romanciers, les dramaturges et les poètes : l’Orient, l’Amérique et la Barbarie. Les récits de voyage qui sont imprimés à cette époque concernent d’ailleurs principalement ces espaces. L’Orient et la Terre Sainte continuent de séduire un lectorat important. Parmi les récits qui sont consacrés à cette partie du monde, la Relation du voyage de Perse […]. Où vous verrez les remarques particulières de la Terre Saincte du Père Pacifique de Provins, imprimée à Paris en 1631, et La Terre Saincte ou Description topographique […] des Saincts Lieux et de la Terre de Promission du Père Eugène Roger, imprimée à Paris en 1646, rencontrent un assez franc succès (4). Plus que l’Orient, c’est l’Amérique, et plus particulièrement la Nouvelle-France et le Brésil, qui suscitent tout au long de cette période un intérêt croissant. En attestent les publications successives du Voyage de Samuel Champlain en 1603, de l’Histoire de la Nouvelle France de Marc Lescarbot en 1609, de la Brieve relation du voyage de la Nouvelle France de Paul Lejeune en 1632, du Grand voyage du pays des Hurons du Père Gabriel Sagard la même année… Les rééditions auxquelles donne lieu un certain nombre de ces récits confirment l’ampleur de cet engouement (5). L’Afrique en revanche ne suscite pas cet enthousiasme. La seule partie de ce continent qui fasse l’objet d’une attention toute particulière est la Barbarie, à laquelle le Père François Dan consacre une Histoire en 1637, Lucien Héraut, un récit, Les Larmes et clameurs des chrétiens françois de nation captifs en la ville d’Alger en Barbarie en 1643, et dont le sieur Emmanuel de Aranda procurera une description détaillée dans le récit qu’il livrera de sa captivité et qu’il publiera en 1656 (6). Les espaces qu’explorent les voyageurs français et dont ils rendent compte dans la première moitié du dix-septième siècle sont donc au nombre de trois. Si les voyageurs français sont moins nombreux que leurs voisins européens à avoir emprunté la route des Indes, quelques-uns parmi ceux qui l’ont fait ont laissé une intéressante relation de leur périple, dans laquelle ils n’ont pas manqué d’insérer une description circonstanciée des populations évoluant sur les côtes méridionales et orientales africaines.
Une galerie de portraits circonstanciés : les « Noirs« , les « Cafres« , les « Sauvages du Cap » et les « Hottentots« dans les récits des voyageurs de langue française dans la première moitié du dix-septième siècle
Qu’ils soient Anglais, Portugais, Bataves, Allemands ou encore Français, les voyageurs qui se rendent dans les Indes et qui entreprennent de consigner le récit de leur voyage sous la forme d’un journal ou de mémoires ne sont pas sans ignorer que les côtes méridionales africaines sont peuplées de gens bestiaux, de sauvages hideux expectorant des sons inintelligibles, qui se couvrent de peaux de bêtes lorsqu’ils ne s’enduisent pas le corps d’une graisse qui dégage une odeur fétide, et aiment à se repaître des tripes dont ils se parent (7). Parce que ceux dont ils ont lu les périples ou ceux qu’ils côtoient en mer n’ont pas manqué on ne manquent pas d’en livrer une description plus ou moins féroce, ils ne peuvent, quand ils se lancent dans l’écriture de leur relation, faire l’économie de ce portrait, au risque d’être suspectés de n’avoir pas fait le voyage dont ils s’emploient à faire le récit, le Cap de Bonne-Espérance étant devenue une escale quasi incontournable pour les équipages sur la route des Indes. Comparés aux dizaines de voyageurs anglais et hollandais qui y font halte au cours de la première moitié du dix-septième siècle, les voyageurs qui ont laissé une description en français de ses habitants à la même époque sont peu nombreux. Se fondant sur leurs propres observations et sur les témoignages de leurs compagnons de route ou s’inspi-rant des descriptions laissées par Jean Huyghen van Linschoten, Willem Lodewijcksz et l’auteur anonyme du Verhael, dont les relations ont toutes trois été traduites et impri-mées au tournant du siècle, ces voyageurs, qui sont des marchands comme François Pyrard de Laval ou Augustin de Beaulieu, des apothicaires comme Jean Mocquet, le futur garde du Cabinet des singularitez du Roy, ou encore des aventuriers comme le mercenaire suisse francophone Elie Ripon ou le jeune parisien Jean Guidon de Chambelle, militaire au service de la Veerenigde Oost-Indische Compagnie, ont en commun d’avoir chacun inséré dans la relation qu’ils ont livrée de leur périple une description des sauvages des confins africains riche d’enseignements quant à la perception de ces populations dans l’imaginaire collectif européen et quant à la formation du genre de la relation de voyage. (8)
Bien que ces descriptions renvoient à des populations différentes, les habitants du Cap de Bonne-Espérance pour Augustin de Beaulieu, Elie Ripon et Jean Guidon de Chambelle, ceux de toute la côte méridionale africaine pour François Pyrard de Laval, ceux de la côte orientale pour Jean Mocquet, les traits qui leur sont attribués sont quasi identiques d’une description à l’autre. « Le peuple qui habite ceste coste […] est fort brutal et grossier, lourd au possible, et sans aucun esprit, noir et difforme sans cheveux ny aucun poil en teste, les yeux toujours chassieux […], ces gens mangent la chair humaine et des bestes toutes crues, tripes et boyaux sans les laver, comme feraient les chiens […], ils vivent sans loy et sans religion, comme des bestes » écrit Pyrard ; « ces peuples-là mangent la chair humaine […] et se découpent toute la peau avec mille sortes de figures […]. [L]orsqu’ils ont tué ou pris leurs ennemis en guerre, [ils]leur coupent le membre viril, et l’ayant fait dessécher le baillent à leurs femmes à porter au col […] » note Jean Mocquet ; « [ils]sont de petite stature, basanés, fort sales, car ils mangent la chair toute crue comme les chiens […]. [I]ls n’ont point d’habitation, mais vont comme le bétail va ; et où le bétail pâture, ils posent là leurs maisons […]. Ils sont de grands larrons […]. » ajoute Elie Ripon ; « pour du biscuit et tabac, écrit enfin Jean Guidon de Chambelle, ils font dix mille tours de singe, dansant tantôt sur un pied, tantôt sur un autre. Ils chantent un certain air que j’ai voulu insérer ici, poursuit-il, qui est sur le chant hautintant broquaa resolim esmay toba doa aros appy, c’est-à-dire : hau-tintant absolu[ment]désire du tabac et du feu pour allumer sa pipe, et du biscuit pour manger. » (9)
La laideur, la brutalité, la puanteur, l’inintelligible vocalité, les répugnantes mœurs phagiques… A ces éléments qui figurent dans les discriptions des sauvages des confins africains insérées dans les traductions des récits des voyageurs hollandais imprimées à la fin du seizième siècle et réimprimées au tout début du dix-septième, François Pyrard de Laval, Jean Mocquet, Elie Ripon ou en core Jean Guidon de Chambelle ont chacun ajouté un ou plusieurs éléments inédits. Ces ajouts font partie intégrante du système de véridiction de la relation exotique en ce sens qu’ils ont pour fonction de confirmer, pour François Pyrard de Laval et Jean Mocquet notamment, que leur auteur a bien effectué le voyage dont il livre la relation et qu’il a bien vu ce qu’il décrit (10). Mais le monde dans lequel évoluent les voyageurs est d’abord un univers oral (11). Aussi les portraits qu’ils brossent des indigènes procèdent-ils de la conjugaison de leur propre imaginaire et de l’imaginaire des gens de mer. Sur ces quatre relations, seules deux seront publiées, celle de François Pyrard de Laval et celle de Jean Mocquet. Celle d’Elie Ripon et celle de Jean Guidon de Chambelle demeureront longtemps à l’état de manuscrits. Des deux relations imprimées, c’est celle de François Pyrard de Laval qui connaîtra la plus remarquable fortune et qui donnera lieu à plusieurs rééditions tout au long du dix-septième siècle. Mais si ce récit séduit assez rapidement un lectorat assez important, ce n’est pas pour la précision ou l’exhaustivité de ses descriptions ethno-graphiques ; c’est d’abord parce qu’il rend compte d’un périple remarquable pour l’époque. Or le voyage vécu retient l’intérêt des lecteurs lorsque son traitement littéraire confère à celui qui en est le protagoniste un statut de héros. C’est tandis qu’est imprimé à Paris chez Samuel Thiboust la troisième édition du récit de Pyrard que le roman baroque, qui puise notamment ses sources dans le récit épique grec, est en passe de faire son entrée triomphale sur la scène littéraire française avec la publication à Paris chez Théodore du Bray de L’Exil de Polexandre de Marin Le Roy de Gomberville.
Espaces antiques, espaces exotiques : la Barbarie, l’Orient et l’Amérique dans les œu-vres des romanciers, des dramaturges et des poètes de l’âge baroque
La géographie littéraire est, dans la première moitié du dix-septième siècle, très indécise, lorsqu’elle n’est pas aléatoire. Au début du siècle prévaut encore le principe de l’imitation ; faisant l’objet de nombreuses rééditions, traductions et transpositions dans le goût galant de l’époque, les romans grecs épiques connaissent alors une remarquable fortune (12). C’est à cette époque que le roman, un genre jugé mineur et jusqu’alors méprisé, commence à susciter l’intérêt d’un lectorat mondain (13). S’il emprunte sa topique au récit d’aventures maritimes, et notamment à l’Odyssée, il puise également ses sources dans les premiers romans grecs, et plus particulière-ment dans Les Ethiopiques, la fameuse Histoire de Théagène et Chariclée d’Héliodore, qui est de l’avis de Charles Sorel et de nombre de ses contemporains le roman « sur lequel se sont formez tous les autres. » (14) Mais les romanciers de cette époque s’appliquent de plus en plus à conférer un certain réalisme à leurs œuvres en ancrant leurs intrigues, lesquelles sont autant d’intrigues adaptées des romans grecs, dans des cadres neufs. Délaissant le bassin méditerranéen, ils investissent progressivement l’Amérique et la Barbarie et se passionnent pour l’Orient (15). Les romans qui ont pour cadre l’Europe sont assez nombreux. Parmi les plus connus figurent l’Agathonphile de Jean-Pierre Camus, Le Roman d’Albanie et de Sycile de Louis Moreau Du Baïl, La Chrysolite d’André Mareschal ou encore Le Pèlerin estranger de Pierre de Bouglers de Brethencourt. Quelques-uns ont pour cadre l’Amérique. C’est notamment le cas des Amours de Pistion d’Antoine du Périer, de L’Exil de Polexandre d’abord, puis du Polexandre ensuite, tous deux de Marin Le Roy de Gomberville. Quelques autres se déroulent en Afrique comme La Caritée de Marin Le Roy de Gomberville ou encore L’Histoire Africaine de Cléomède et de Sophonisbe de François du Soucy Sieur de Gerzan. Mais c’est indubitablement l’Orient qui demeure le cadre de prédilection des romanciers de cette époque, avec L’Histoire véritable, ou le voyage des Princes fortunés de Béroalde de Verville, Les Traversés hasards de Clidion et Armirie et Les Fortunes d’Alminte de Nicolas des Escuteaux, L’Histoire indienne d’Anaxandre et d’Orazie de François Le Métel de Boisrobert, les Adventures de la Cour de Perse de la Princesse de Conti, l’Histoire Nègre-Pontique de Jean Baudouin, l’Histoire Asiatique de François du Soucy Sieur de Gerzan et enfin le fameux Ibrahim ou l’illustre Bassa de Madeleine de Scudéry. Ces romans l’attestent : l’imaginaire baroque est un imaginaire exotique. Cependant cet exotisme a ses limites : aucun roman baroque n’a pour cadre les confins africains (16). Dans les années 1640 paraissent des romans d’un nouveau genre, les romans héroïques précieux, qui annoncent les romans héroïques en plusieurs volumes des années 1660-1680, les fameux « Grands Romans », dont les auteurs sont principalement des femmes : Artamène ou le Grand Cyrus, Clélie, histoire romaine et Almahide ou l’esclave reine de Mademoiselle de Scudéry, mais aussi Alcidamie de Madame de Villedieu, Zayde de Madame de Lafayette, Astérie, ou l’Illustre Tamerlan de Made-moiselle de La Rocheguilhem. Sans oublier, d’un auteur masculin cette fois, Cassan-dre et Cléopâtre de La Calprenède (17). Mais dans ces romans héroïques précieux aux multiples rebondissements pas plus que dans les romans baroques aux incessants vaga-bondages des premières décades du siècle, les confins africains ne font office de cadre.
Les lointains horizons ne sont pas absents de la scène : tout au long de la première moitié du dix-septième siècle, si les tragédies se déroulent essentiellement dans ces trois espaces antiques que sont Rome, la Grèce et la Terre Sainte, et si la farce tabarinique exploite le motif du retour des Indes, les romans baroques font l’objet de nombreuses adaptations théâtrales, principalement des tragi-comédies, qui ont pour cadre un ailleurs exotique ou pour protagoniste un personnage dont le nom a une consonnance exotique, et dont les représentants les plus révérés sont Dalibray, Des-mares, Mairet, Jean Rotrou, Paul Scarron ou encore Georges de Scudéry (18). Parmi les adaptations et transpositions dramaturgiques de romans baroques, assez nombreux sont somme toute celles dans lesquelles apparaissent au détour d’une scène ou lors du ballet final des personnages exotiques : bohémiens, danseuses mores, et parmi lesquelles figurent notamment La Belle Egyptienne de Sallebray, Le Mariage forcé, Monsieur de Pourceaugnac, Le Malade imaginaire et Le Sicilien ou l’amour peintre, de Molière. Mais plus que dans les tragi-comédies, c’est dans les pièces à machines, les ballets et les divertissements que s’épanouit un exotisme de manière à l’apogée de l’âge baroque. Mais l’ailleurs n’est qu’un cadre et l’autre un costume. C’est dans les ballets de cour que l’autre est le plus visible via les entrées de sauvages : Africains, Américains et Indiens parés de leurs plus beaux atours. Plus que l’Afrique, c’est l’Orient qui fascine les dramaturges, lesquels lui accordent une place de choix dans leurs comédies, leurs pièces burlesques, leurs divertissements de cour, leurs tragi-comédies et leurs tragédies. Hormis Les Portugaiz Infortunez de Nicolas Chrétien des Croix, dont l’intrigue se déroule chez les « Cafres Noirs » mais dont tout le matériau exotique est emprunté à la culture savante de la Renaissance, aucune production dramatique de l’âge baroque n’a pour cadre les environs du Cap de Bonne-Espérance, le légendaire Monomotapa ou la lointaine Cafrerie.
Le constat est quasi identique en ce qui concerne le genre poétique. À l’âge baroque, le voyage amusant, le voyage en vers et en prose, le voyage littéraire et le voyage galant connaissent une assez remarquable fortune, grâce notamment à des auteurs comme Chapelle, Bachaumont et La Fontaine. Dans ces petites pièces qui sont autant de récits de voyage poétisés, les aventures et anecdotes galantes se succèdent au gré des étendues traversées. Une seule pièce en vers a – à notre connaissance – pour cadre les confins africains. Il s’agit de la fable des « Deux amis » (19). « Deux vrais amis vivaient au Monomotapa » écrit en effet La Fontaine. Mais ce Monomotapa-là renvoie moins à une géographie réelle qu’à une géographie fabuleuse. Ce n’est qu’un toponyme à une époque où les ailleurs lointains sont encore méconnus du grand public et des lettrés.
À la redécouverte des œuvres des anciens et des écrits des humanistes : le lent renouveau de la littérature géographique
La géographie n’est pas, dans la première moitié du dix-septième siècle, une science prestigieuse. N’est-ce pas Bernard Lamy qui écrit dans son Entretien sur les sciences : « La Geographie […] est une Science facile & dont les enfants sont capables, parce qu’il ne faut que des yeux & un peu de mémoire » ? Aussi est-ce l’une des raisons pour lesquelles les romanciers, les dramaturges, les poètes, les lettrés et les curieux puisent encore leurs sources dans les traductions ou les adaptations des œuvres des géographes antiques, chez Pausanias, Eratosthène et Posidonios, dans la Geographia de Ptolémée, le De Chorographia de Pomponius Mela ou encore dans la traduction française de l’Orbis terrae descriptio, l’ouvrage de Denys procurée par Bénigne Saumaize au seizième siècle : la fameuse Périégèse de la Terre habitée (20). C’est tout au long de la première moitié du dix-septième siècle et consécutivement à la fondation de la Veerenigde Oost-Indische Company – la Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales – que s’épanouissent la cartographie flamande puis la cartographie hollandaise, avec les globes et atlas des Hondius, Van Langren et Hansson et les douze volumes du Grand Atlas des Blaeu. Mais c’est avec l’arrivée au pouvoir de Louis XIV et sous son impulsion que se multiplient les globes, les plans en relief, les cartes historiées, dont les grands maîtres d’œuvre sont Nolin, Sanson et Coronelli. C’est sous le règne de Louis XIV toujours que les travaux des cartographes hollandais intègrent les fonds des bibliothèques et cabinets d’études français et qu’ils contribuent à renou-veler les connaissances françaises en matière de géographie. À l’instar des Egyptiens, des Abyssins, des Nègres de Guinée, des Cafres de Mozambique ou encore des Noirs de Madagascar, les Cafres et les Hottentots du Cap de Bonne-Espérance donnent lieu à un portrait en pied qui agrémente les marges des « Cartes générales de l’Afrique ». Mais les représentations dont les Sauvages du Cap font l’objet sont inspirées des descrip-tions et gravures insérées dans les relations de voyage imprimées à la fin du seizième siècle. Si les « Caput Bonae Spei habitores » placés dans les marges de l’Africae nova descriptio qui figure dans le dixième tome du Grand Atlas de Joan Blaeu sont aussi aisément identifiables, c’est parce qu’ils sont vêtus d’une cape de peau et qu’ils se repaissent d’entrailles bien pleines. Le regard porté par les cartographes évoluera peu avec les années ; à la fin du siècle, les habitants du Cap de Bonne-Espérance et avec eux ceux de la Cafrerie et du Monomotapa, feront encore l’objet de descriptions féroces dans les cartes historiées de l’Afrique (21).
Au cours de la première moitié du dix-septième siècle et tandis que le récit de voyage véritable est en passe de se constituer, que le roman et les tragi-comédies connaissent un essor exceptionnel et que les voyages amusants, les voyages en vers et en prose, les voyages littéraires et les voyages galants s’affirment de plus en plus comme des succédanés au roman, les voyageurs européens sont de plus en plus nombreux à faire halte au Cap de Bonne-Espérance et à insérer dans le récit qu’ils livrent de leur périple une description circonstanciée des habitants des lieux. Cependant, et en dépit de leur exhaustivité et de leur précision, ces témoignages demeurent sans effet sur la culture littéraire et scientifique du temps. En effet, il ne se trouve pas une somme géographique, pas un roman, pas une tragédie, pas une comédie, pas une tragi-comédie, pas un ballet, pas une pièce poétique qui se fasse l’écho de l’un de ces portraits à l’âge baroque (22). Pourtant les voyageurs européens n’ont jamais été aussi nombreux à écrire sur cette région et à décrire ses habitants. Hormis de rares exceptions, le récit de voyage ne constitue pas une source documentaire essentielle. Les lieux qui inspirent les romanciers et les dramaturges sont d’abord ceux que traversent les héros des épopées et des romans antiques et ensuite seulement ces espaces que sont l’Orient, l’Amérique et l’Afrique. Ce qu’ils recherchent, c’est par ailleurs moins un espace géographique qu’un espace exotique. C’est plus dans un riche corpus de clichés qu’ils puisent les matériaux que dans les récits de voyage ou les livres savants. Mais le fait que les savoirs neufs réunis dans les relations de voyage, les sommes géographiques ou les ouvrages de cartographie ne soient pas convoqués par les romanciers, les dramaturges ou les poètes ne procède pas d’un manque de curiosité ; cette attitude est l’expression de la sensibilité et du goût baroques. La fin du roman baroque que suit presque immédiatement celle du roman héroïque voit se confirmer le goût du public pour l’exotisme et pour la fiction. Nouvelles, récits historiques et relations de voyage se multiplient, de même que les ouvrages historiques, les romanciers se montrant de plus en plus désireux de faire accéder leurs œuvres à la dignité de l’Histoire. C’est de cette littérarisation de l’histoire que sont issus les mémoires et de ce développement de l’exotisme que sont issues les utopies qui sont composées et imprimées durant les deux décennies qui vont correspondre à l’apogée du règne de Louis XIV et au cours desquelles va triompher le Classicisme.

1. Sur ce point : Numa Broc, La Géographie de la Renaissance (1420-1620), Paris, Editions du C.T.H.S., 1980, « Mémoires de la section de géographie. » Rééd. : Paris, Editions du C.T.H.S., 1986, « Format » ; Dirk Van der Cruysse, Le Noble désir de courir le monde. Voyager en Asie au XVIIe siècle, Paris, Fayard, 2002 ; Sophie Linon-Chipon, Gallia orientalis. Voyages aux Indes orientales, 1529-1722. Poétique et imaginaire d’un genre littéraire en formation, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2003, « Imago mundi ».
2. « Quelque variée pourtant qu’ait pu être la période baroque, note Jacques Morel, elle présente un principe d’unité que les années rendent toujours plus sensible. La littérature française y a pris conscience d’elle-même. Traditionnelle ou moderniste, elle a compris qu’il lui fallait à la fois tenir compte des traditions où elle puisait ses thèmes et ses formes et du public toujours renou-velé qu’elle devait séduire. Elle a mesuré ses forces et découvert ses limites. Des libertés qu’elle s’était accordées, elle a reconnu les excès et parfois les dangers. Mais elle a également refusé de s’enfermer dans le formalisme où la discipline qu’elle se donnait aurait pu la réduire. Elle a été porteuse de sa propre critique. Autant ou plus que dans les écrits des « doctes », dans les acadé-mies et dans les salons, c’est dans les œuvres littéraires elles-mêmes que s’est élaborée une doc-trine de la bonne écriture que les décennies suivantes ne devaient faire que prolonger et adapter : Francion et Clélie définissent le roman au moment où ils s’écrivent. L’Illusion comique et Saint Genest sont pièces sur le théâtre autant que pièces de théâtre […]. Pascal, en composant son Apologie, fait alterner, page après page, les fragments où il s’interroge sur son entreprise et ceux où il aborde sa réalisation. Double regard où l’union du créateur et du critique, au sein d’une mê-me œuvre, traduit les élans et les doutes de son auteur, et justifie les incertitudes et les richesses de l’art baroque. » Jacques Morel, « Conclusions » [in]Histoire de la littérature française. De Montaigne à Corneille, Paris, Flammarion, 1997, « GF », p.185-186.
3. « Dès lors, écrit Friedrich Wolfzettel, le monde est compris comme le champ empirique d’une recherche régie par des règles logiques et des critères rationnels. La légitimité de la curiosité et de l’expérience étant acquise depuis la Renaissance, il s’agira maintenant de supprimer toute trace du merveilleux et de l’invraisemblable en appliquant le « bon sens » à l’investigation de la diversité. Le récit de voyage, depuis longtemps la « servante » de l’érudition, a désormais pour fonction de faire valoir la nouvelle taxinomie au contact des objets et de soumettre ces derniers au jugement de la raison. » Friedrich Wolfzettel, « Le voyage au XVIIe siècle : un discours de l’ordre » [in]Le Discours du voyageur. Le Récit de voyage en France, du Moyen Age au XVIIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1996, « Perspectives littéraires », p.121-230. Cit., p.123. La rupture avec les connaissances réunies au seizième siècle et les modes d’écriture pratiqués n’est pas brutale. À l’avènement du dix-septième siècle, parmi les voyageurs qui composent leur relation à leur retour des lointains horizons américains, orientaux ou africains, nombreux sont ceux qui puisent encore chez leurs prédecesseurs une partie des matériaux qui vont alimenter leur récit.Le cas est flagrant pour un auteur comme François Pyrard de Laval. Mais il est loin d’être unique. Sur cet intérêt croissant suscité par l’autre : Christine Montalbetti, Le Voyage, le monde et la bibliothèque, Paris, Presses Universitaires de France, 1997, « Ecriture ».
4. Père Pacifique de Provins, Relation du voyage de Perse […]. Où vous verrez les remarques particulières de la Terre Saincte, Paris, Nicolas et Jean de La Coste, 1631 ; Père Eugène Roger, La Terre Saincte ou Description topographique […] des Saincts Lieux et de la Terre de pro-mission […], Paris, Antoine Bertier, 1646. Sur la fortune des voyages en Orient et des pèlerinages en Terre sainte au seizième siècle : Marie-Christine Gomez-Géraud, Ecrire le voyage au XVIe siècle en France, Paris, Presses Universitaires de France, 2000, « Etudes littéraires / Recto-verso ».
5. Samuel Champlain, Des Sauvages ou Voyage de Samuel Champlain, de Brouage fait en la France Nouvelle l’an mil cent trois, Paris, Claude Monstr’œil, 1603 ; Les Voyages du sieur de Champlain, Xaintongeois, capitaine ordinaire pour le Roy en la marine, Paris, Jean Berjon, 1613 ; Marc Lescarbot, Histoire de la Nouvelle France […], Paris, Jean Milot, 1609 ; Paul Lejeune, Brieve relation du voyage de la Nouvelle France, Paris, Cramoisy, 1632 ; Père Gabriel Sagard, Le Grand voyage du pays des Hurons […], Paris, Denys Moreau, 1632 et Histoire du Canada et voyages […], Paris, Claude Sonnius, 1636. Sur l’ensemble de ces voyages : Geoffrey Atkinson, Les Relations de voyages du XVIIe siècle et l’évolution des idées, Paris, Champion, 1924 ; Sylvie Requemora, Littérature et voyage au XVIIe siècle (Récit, roman, théâtre). Thèse de doctorat de littérature française préparée sous la direction de Pierre Ronzeaud et soutenue à l’Université de Provence le 8 janvier 2000.
6. Père François Dan, Histoire de Barbarie et de ses corsaires, divisée en six livres, où il est traité de leur gouvernement, de leurs mœurs, de leur cruauté, de leurs brigandages, de leurs sortilèges et de plusieurs autres particularités remarquables […], Paris, Pierre Rocolet, 1637 ; Lucien Héraut, Les Larmes et clameurs des chrétiens françois de nation captifs en la ville d’Alger en Barbarie […], Paris, Denys Houssaye, 1643. Sur les corsaires de Barbarie : Alain Blondy, « La course en Méditerranée : les discours sur la captivité et la servitude » [in]Sophie Linon-Chipon et Sylvie Requemora, dirs., Les Tyrans de la mer. Pirates, corsaires & flibustiers, Paris / Sillery, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne / Les Editions du Septentrion, 2002, « Imago Mundi / Les Nouveaux Cahiers du CELAT, », p.43-57.
7. L’univers des gens de mer est d’abord un univers verbal. Si le portrait des Gens ou Sauvages du Cap de Bonne-Espérance est remarquablement stable au tournant des seizième et dix-septième siècles, c’est parce que les voyageurs ne manquent pas, lorsqu’ils approchent des côtes méridionales africaines, de les décrire à leurs compagnons tels qu’ils les ont peut-être vus mais plus sûrement tels qu’on les leur a dépeints. Autour de ces sauvages se construit donc via les paroles des gens de mer toute une mythologie et c’est dans cette mythologie que vont notamment puiser les voyageurs européens ou français lorsqu’ils vont s’attacher à brosser le portrait des Sauvages du Cap dans leurs récits.
8. Sur les quelque cent vingt témoignages rassemblés pour cette période, plus de cinquante sont dus à des voyageurs anglais. Parmi ceux-ci figurent ceux de James Lancaster, Henry Middleton, Edward Michelbourne, David Middleton, William Keeling, John Jourdain, Thomas Jones, Nicholas Downton, John Saris, Thomas Best, Patrick Copland, Nicholas Withington, Thomas Kerridge, Thomas Aldworth, John Tatton, Walter Peyton, John Milward, Thomas Roe, John Borden, John Davis, Edward Terry, Nathaniel Salmon, Thomas Mitford, Robert Bonner, Thomas Dale, William Minors, Thomas Herbert, Robert Stodart, John Weddell, Andrew Warden … Près de trente témoignages ont été laissés par des voyageurs hollandais. Parmi ceux-ci se trouvent ceux de Jacob van Neck, Wijbrant Warwijck, Paulus van Caerden, Joris van Spilbergen, Jacob Pieterszoon van Enkhuisen, Cornelis Matelief, Cornelis Claesz. van Purmerendt, Pieter Willemsz. Verhoeven, Reynier Diecksz., Pieter Willemsz. Van Elbing, Joris van Spielbergen, Jacob Dedel, Seyger van Rechteren, Hendrik Brouwer, Artus Gijsels, Hendrik Hagenaar, Nicolaus de Graaf, Karel Hartsing, Leendert Jansz., Willebrand Geleynsz. Jr. … Dix ou douze ont été écrits par des voyageurs écossais, danois, allemands ou portugais : Ralph Standish, Ove Giedde, Jón Ólafsson, Johan Albrecht von Mandelslo, Antonio Pinheiro de Sampaio… Seuls cinq sont le fait de voyageurs français ; ils sont tirés des relations de François Pyrard de Laval, Augustin de Beaulieu, François Cauche, Étienne de Flacourt et Jean-Baptiste Tavernier. Sur ce point : Rowland Raven-Hart, Before Van Riebeeck. Callers at South Africa from 1488 to 1652, Cape Town, Struik, 1967, p.21-181.
9. François Pyrard, Discours du voyage des français aux Indes Orientales Ensemble des divers accidents, aventures et dangers de l’auteur en plusieurs royaumes des Indes, et du séjour qu’il y a fait par dix ans, depuis l’an 1601 jusques en cette année 1611. Contenant la description des pays, les mœurs, lois, façons de vivre, religion de la plupart des habitants de l’Inde, l’accroissement de la Chrétienté, le trafic et diverses autres singularités, non encore écrites ou plus exactement remarquées. Traité et description des animaux, arbres et fruits des Indes orien-tales, observés par l’auteur […], Paris, David le Clerc, 1611 ; 2e partie, p.187 ; Jean Mocquet, Voyages en Afrique, Asie, Indes orientales & occidentales faits par Jean Mocquet, Garde du Cabinet des singularitez du Roy, aux Tuilleries, divisez en six livres, & enrichiz de figures […], Paris, Jean de Heuqueville, 1617, p. 80-81 ; Elie Ripon, Voyages et aventures aux Grandes Indes, journal inédit d’un mercenaire, 1617-1627, Paris, Les Editions de Paris, 1997, « Voyages et récits ». Edition établie et présentée par Yves Giraud., p.49 et Jean Guidon de Chambelle, Voyage des Grandes Indes orientales, commençant depuis le 26e décembre 1644 partant de Paris, et du jour de l’embarquement au Texel en Hollande le 19e avril 1645, levant l’ancre le 22e dudit mois, et arrivant à Java sur Jakcatra ou Batavia en Asie le 7e décembre 1645 […] [in]Dirk Van der Cruysse, « Le Cap avant 1652 » [in]Le Noble désir de courir le monde. Voyager en Asie au XVIIe siècle, Paris, Fayard, 2002, p.245.
10. La publication du Discours du voyage des Français aux Indes orientales de François Pyrard de Laval compte parmi les très rares relations de voyages dans les Grandes Indes qui aient été publiées par des voyageurs français au cours de la première moitié du dix-septième siècle. Elle est la seule à comporter une description circonstanciée des populations des côtes méridionales africaines. C’est parce qu’il a effectué un voyage dans les Indes orientales et au Brésil qui a duré dix ans et parce que le récit qu’il en a fait à ses proches est captivant, que Jérôme Bignon, le co-précepteur du jeune Louis XIII, l’encourage vivement à le coucher par écrit. La célérité avec laquelle le Discours du voyage des Français aux Indes orientales est achevé et imprimé laisse à penser qu’il n’est pas entièrement l’œuvre de Pyrard et que ce dernier a été relayé par un lettré rompu à ce genre d’exercice. Pierre Bergeron n’a sans doute pas rédigé le texte dans son intégralité. Mais plusieurs éléments tendent à indiquer qu’il l’a remanié en s’inspirant dans le style et le ton, de passages issus de la relation anonyme du Journal du voyage de l’Inde orientale, réédité peu avant le retour de Pyrard en France, chez Adrian Périer à Amsterdam, et dont il était aisé de se procurer un exemplaire, l’ouvrage connaissant alors un assez franc succès.
11. Sur ce point : voir supra. Première partie. Chapitre premier. 2. Des rencontres mémorables : les populations des confins africains dans les premières relations du voyage de Vasco de Gama aux Indes, p.66-84. Note 24 p.82.
12. Sur les rééditions, traductions et transpositions des romans grecs à l’âge baroque : William Stanford, The Ulysses theme. A study in the adaptability of a traditional hero, Oxford, Blackwell, 1954 ; Noémie Hepp, Homère en France au XVIIe siècle, Paris, Klincksieck, 1968 ; Georges Moli-nié, Du Roman grec au roman baroque : un art majeur du genre narratif en France, Toulouse, Service des publications de l’université de Toulouse-le-Mirail, 1982, p.39-204  ; Laurence Plazenet, L’Ebahissement et la Délectation. Réception comparée et poétiques du roman grec en France et en Angleterre aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, Champion, 1997, « Lumière classique ».
13. Furetière le définira en ces termes dans son célèbre Dictionnaire : « ROMAN. f. m. […] On disoit alors que les gens de la Cour parloient Roman. [Ce langage] a été en usage jusqu’à l’Ordonnance de 1539 jusqu’auquel temps les Histoires les plus sérieuses étoient appellées Roman, parce que c’étoit le langage le plus poli qu’on parloit en la Cour des Princes. Maintenant il ne signifie que les livres fabuleux qui contiennent des histoires d’amour & de Chevaleries, inventées pour divertir & occuper des fainéants. Héliodore a fait autrefois le Roman de Theagene & Cariclée […]. Nos modernes ont fait des Romans polis & instructifs, comme l’Astrée de d’Urfé, le Cyrus & Clélie de Mademoiselle de Scuderi, le Polexandre de Gomberville, la Cassandre & la Cleopatre de la Calprenede, &c. Les Poèmes fabuleux se mettent aussi au rang des Romans, comme l’Enéide & l’Iliade […]. »
14. Charles Sorel, « Harangue de Clarimond » [in]L’Anti-Roman, Paris, Théodore du Bray, 1633, vol.4, p.819. « Pour les autres romans, note Balzac, ce ne sont la pluspart que des Heliodores desguisez, ou, comme disoit feu M. l’Evesque d’Ayre, des enfans qui sont venus du mariage de Theagenes et Cariclee, et qui ressemblent si fort à leur pere et à leur mere, qu’il n’y a pas un cheveu de difference.  » Nicolas Guez de Balzac, « Lettre à une dame de qualité » [in]François Le Métel de Boisrobert, Histoire indienne d’Anaxandre et d’Orazie, Paris, François Pomeray, 1629. Parmi les romans de l’antiquité qui font l’objet de nombreuses traductions, impressions et adaptations, et qui exercent une influence considérable sur le roman de l’âge baroque figurent aussi Les Aventures de Leucippé et de Clitophon d’Achille Tatius ou encore la Vie d’Apollonios de Tyane de Philostrate. Les traducteurs s’essaient fréquemment au roman ou à défaut rédigent les préfaces de récits, tels Jean Baudoin, Abraham Ravaud ou encore François de Belleforest.
15. Sur l’exotisme américain, barbaresque et oriental dans la littérature française à l’avènement du Grand Siècle : Christian Wentzlaff-Eggebert, « Réalisme topographique et topique de la description dans les romans français du début du dix-septième siècle » [in]La Découverte de la France au XVIIe siècle, Paris, Editions du C.N.R.S., 1980, Laurence Plazenet, L’Ebahissement et la Délectation. Réception comparée et poétiques du roman grec en France et en Angleterre aux XVIe et XVIIe siècles, op.cit., p.432-433.
16. Jean-Pierre Camus, Agathonphile, Paris, Claude Chappelet, 1621 ; Louis Moreau Du Baïl, Le Roman d’Albanie et de Sycile, Paris, Pierre Rocolet, 1622 ; André Mareschal, La Chrysolite, Paris, Théodore du Bray, 1627 ; Pierre de Bouglers de Brethencourt, Le Pèlerin estranger, Rouen, Jean Cailloué, 1634 ; Antoine du Périer, Les Amours de Pistion, Paris, Théodore de la Ruelle, 1601 ; Marin Le Roy de Gomberville, L’Exil de Polexandre, Paris, Théodore du Bray, 1619 ; Polexandre, Paris, Adrien Courbé, 1637 ; La Caritée, Paris, Jean Quesnel, 1621, Fran-çois du Soucy Sieur de Gerzan, L’Histoire Africaine de Cléomède et de Sophonisbe, Paris, Claude Morlot, 1621 ; Histoire Asiatique, Paris, Pierre Lamy, 1634 ; Béroalde de Verville, L’Histoire véritable, ou le voyage des Princes Fortunés, Paris, Pierre Chevalier, 1610 ; Nicolas des Escuteaux, Les Traversés hasards de Clidion et Armirie, Paris, Veuve de Théodore Portay, 1612 ; Les Fortunes d’Alminte, Veuve de Théodore Portay, 1623 ; Fran-çois Le Métel de Boisrobert, L’Histoire indienne d’Anaxandre et d’Orazie, Paris, François Pomerey, 1629 ; la Princesse de Conti, Adventures de la Cour de Perse, Paris, François Pomerey, 1629 ; Jean Baudouin, Histoire Nègre-Pontique, Paris, Théodore du Bray, 1631 ; Madeleine de Scudéry, Ibrahim ou l’illustre Bassa, Paris, Antoine de Sommaville, 1641.
17. Mademoiselle de Scudéry, Artamène ou le Grand Cyrus, Paris, Adrien Courbé, 1650-1653, 20 vol. ; Clélie, histoire romaine, Paris, Adrien Courbé, 1656-1660, 10 vol. ; Almahide ou l’esclave reine, Paris, Adrien Courbé, 1660-1663, 8 vol. ; Madame de Villedieu, Alcidamie, Paris, Claude Barbin, 1661 ; Madame de Lafayette, Zayde, Paris, Claude Barbin, 1670… Mademoiselle de La Rocheguilhem, Astérie, ou l’Illustre Tamerlan, Paris, Antoine de Sommaville, 1651 ; La Calprenède, Cassandre, Paris, Adrien Courbé, 1642-1645 et Cléopâtre, Paris, Georges de Luyne, 1646-1658, 12 vol.
18. « La géographie tragique gravite autour de trois centres : Rome, la Grèce et la Terre Sainte, écrit Jean Emelina. Mais comme cette géographie dépend étroitement de l’histoire, poursuit-il, on assiste, au gré des conquêtes, des invasions, des victoires ou des désastres, à une extension extrême de ces espaces. La ruine de Jérusalem nous entraîne en Perse (Esther), les conquêtes de César en Egypte (Pompée), celles d’autres généraux en Aragon (Sertorius), en Numidie (Sophonisbe) ou en Asie mineure (Nicomède). L’Alexandre de Racine – point extrême – nous conduit jusqu’aux Indes « sur le bord de l’Hydaspe ». L’Empire d’Orient, c’est Constantinople (Héraclius) et les grandes invasions, la Norique, au bord du Danube (Attila). […] le phénomène de décentrages’accentue encore. On se trouve ainsi projetés de l’autre côté du monde gréco-romain ou judéochrétien, chez les « barbares », les alliés ou les ennemis. C’était déjà le cas avec Les Perses d’Eschyle, qui se passe à Suse, et pour toutes les tragédies sur la guerre de Troie vue du camp troyen (Hector de Montchrestien). Zénobie, reine de Palmyre vaincue par Aurélien, a inspiré plusieurs dramaturges. Cosroës, roi de Perse aux prises avec Constantinople, a inspiré à Rotrou une tragédie située à Persépolis. Le monde vu de l’autre camp, c’est encore Polyeucte (Arménie), Mithridate (Pont Euxin) ou Suréna, en terre Parthe […]. » Jean Emelina, « La géographie tragique espace et monde extérieur » [in]Seventeenth Century French Studies, n°12, 1990, p.111-138. Cit. p.114.
19. « Deux vrais amis vivaient au Monomotapa : / L’un ne possédait rien qui n’appartînt à l’autre : / Les amis de ce pays-là / Valent bien, dit-on, ceux du nôtre. / Une nuit que chacun s’occupait au sommeil, / Et mettait à profit l’absence du Soleil, / Un de nos deux Amis sort du lit en alarme. / Il court chez son intime, éveille les valets ; / Morphée avait touché le seuil de ce palais. / L’Ami couché s’étonne, il prend sa bourse, il s’arme ; / Vient trouver l’autre, et dit : « Il vous arrive peu / De courir quand on dort ; vous me paraissiez homme / A mieux user du temps destiné pour le somme : / N’auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu ? / En voici : s’il vous est venu quelque querelle, / J’ai mon épée, allons. Vous ennuyez-vous point / De coucher toujours seul ? Une esclave assez belle / était à mes côtés : voulez-vous qu’on l’appelle ? / – Non, dit l’ami, ce n’est ni l’un ni l’autre point : / Je vous rends grâce de ce zèle. / Vous m’êtes en dormant un peu triste apparu ; / J’ai craint qu’il ne fût vrai, je suis vite accouru. / Ce maudit songe en est la cause. » / Qui d’eux aimait le mieux ? Que t’en semble, Lecteur ? / Cette difficulté vaut bien qu’on la propose. / Qu’un ami véritable est une douce chose. / Il cherche vos besoins au fond de votre cœur ; / Il vous épargne la pudeur / De les lui découvrir vous-même. / Un songe, un rien, tout lui fait peur / Quand il s’agit de ce qu’il aime. » Jean de La Fontaine, Fables, Paris, Didier Thierry et Claude Barbin, 1678, VIII, 11.
20. La Description de la terre habitée de Denys d’Alexandrie ou la Leçon de géographie, Paris, Albin Michel, 1990. Edition établie par Christian Jacob et comportant le texte grec, la traduction française de Bénigne Saumaize et la traduction par Christian Jacob du texte grec et d’extraits de la version grecque revue et augmentée par Edward Wells. « Ce texte vulgarise, écrit ailleurs Christian Jacob, les travaux de la « géographie scientifique », notam-ment ceux d’Eratosthène et de Posidonios, toute en reprenant des représentations plus anciennes qui trouvent leur origine dans l’épopée homérique ou les Histoires d’Hérodote. Manuel destiné à un public d’écoliers et de lettrés, la Périégèse assemble comme sur une mosaïque mers et pays, représentant ainsi la totalité de l’œkoumène, la « terre habitée » connue des anciens. Cette description est à la fois exhaustive et sélective : elle n’oublie aucune région de l’étendue terrestre, mais ne s’arrête qu’aux grandes unités de territoire, aux principales ethnies, selon les critères établis par Ptolémée pour distinguer la géographie de la chorographie. La Périégèse offre ainsi au lecteur une description générale de la terre, mais aisément maniable et mémorisable. » Christian Jacob, « L’œil et la mémoire : sur la Périégèse de la Terre habitée de Denys » [in]Christian Jacob et Frank Lestringant, dirs., Arts et légendes d’espaces. Figures du voyage et rhétoriques du monde, Paris, Presses de l’Ecole Normale Supérieure, 1981, p.21-98. Cit. p.25.
21. Parmi les cartes de la fin du dix-septième siècle qui comportent d’éloquents cartouches donnant à voir des Sauvages Hottentots occupés à dévorer goulûment des intestins gonflés de fiente figurent notamment celles réalisées par Nicolas de Fer et Nicolas de Visscher. « L’Afrique. Ou tous les Points Principaux sont Placez sur les observations de messieurs de l’Academie royale des sciences. Par Nicolas de Fer, Geographe de monseigneur le dauphin », Paris, Chez l’Auteur, 1698. Echelle, dix degrés de latitude ou 200 lieues d’une heure de chemin [0m.100; 1 : 11.100.000 env.]. 4 f.lles assemblées 1160 x 920. [Coll.d’Anville]. B.n.F. Ge.DD.2987.B (7778) ; « Carte de l’Afrique méridionale ou Pays entre la ligne et le cap de Bonne Espérance et l’Isle de Madagascar, par la Vve de Nicolas de Visscher,… » Echelle de 100 lieues marines, ou lieues d’une heure de chemin [= 0m.060 ; 1 : 9.260.000 environ], s.l. [Paris], Chez l’Auteur, s.d. [après 1709]. 1 f.lle en vert et noir, limites en couleurs 581 x 508. B.n.F. Ge.CC.1246 (46). En carton : le Cap de Bonne Espérance [10(lat. = 0 m. 034 ; 1 = 3.274.000 environ]. Elévation du port et Mont table au Cap et plan du port de Mont table. Sur les cartes historiées et leurs cartouches : Christian Jacob, « Graphisme, Géométrie et Figuration » [in]L’Empire des cartes. Approche théorique de la cartographie à travers l’histoire, Paris, Albin Michel, 1992, « Bibliothèque Albin Michel Histoire », p.139-243. Voir notamment p.154-158.
22. Les récits de voyage dans les Indes orientales qui ont à l’époque fait l’objet d’une publication sont peu nombreux. Ils ne retiennent pas encore l’intérêt du public comme ce sera le cas dans la seconde moitié du dix-septième siècle avec la publication des récits des marchands, des diplomates, des savants ou encore des missionnaires jésuites. Parmi les rares relations de voyage aux Indes qui aient été imprimées figure le Some Yeares Travels in Africa and Asia the Great de Thomas Herbert. Imprimé à Londres par les soins de Jacob Blome en 1634 puis en 1638, l’ouvrage contient une description du Cap ainsi qu’un portrait des plus répugnants de ses habitants agrémenté d’une gravure assez étonnante en ce qu’elle rompt totalement dans la facture et dans le style avec les images qui ont circulé jusque-là de ces populations. Cette relation fera tardivement l’objet d’une traduction en français en 1663 ; aussi est-ce la raison pour laquelle elle ne figurera pas dans le volume de Melchisedek Thévenot : « […] quelque peine que j’aye prise à chercher la moindre apparence de religion parmy ces gens, écrit Thomas Herbert, je n’en ay jamais pu découvrir la moindre trace, ou qu’ils eussent aucune connoissance de Dieu, de l’Enfer, ou de l’immortalité de l’Âme, on n’y voit qu’une épouvantable stupidité et brutalité en toutes leurs actions et en toute leur vie. » Thomas Herbert, Relation du Voyage de Perse et des Indes orientales […], Paris, du Puis, 1663, p.23.
///Article N° : 4022

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