Lettres et images d’ailleurs et d’ici. Le Caput Bonae Spei Hodiernum de Peter Kolb : sa traduction, sa diffusion et sa réception en France et en Europe

Université de Paris IV-Sorbonne(C.R.L.V.) / Middlebury College (Vermont)

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Après avoir été publié en 1719 en allemand par le libraire nurembergeois Peter Conrad Monath, traduit et imprimé en hollandais par l’imprimeur Balthazar Lakeman en 1727, puis traduit et publié en anglais par l’éditeur William Innys en 1731, le Caput Bonae Spei Hodiernum, le coûteux in-folio du Prussien Peter Kolb, que le baron Von Krosigh avait envoyé faire des observations astronomiques au Cap en 1705, est traduit en français et publié par Jean Catuffe en 1741 sous le titre de Description du Cap de Bonne-Esperance (1). Publiée sous la forme de trois volumes in-octavo alors que l’édition originale est un infolio de plus de mille pages, totalement recomposée, en partie réécrite, la Description du Cap de Bonne-Espérance est moins une traduction qu’une adaptation du Caput Bonae Spei Hodiernum. Via l’analyse des raisons pour lesquelles le traducteur et l’éditeur ont pro-cédé à ces choix, des différences majeures repérables entre l’original et son adaptation, et de la réception de cet ouvrage dans les cultures littéraire et scientifique françaises et euro-péennes du second tiers du dix-huitième siècle, on verra en quoi la Description du Cap de Bonne-Espérance a présidé au véritable avènement du mythe du Bon Sauvage Hottentot.
La Description du Cap de Bonne-Espérance : une publication tardive. La traduction française du Caput Bonae Spei Hodiernum par Jean Bertrand
Ce sont plus de vingt années qui se sont écoulées lorsque paraît la version française du Caput Bonae Spei Hodiernum : la Description du Cap de Bonne-Espérance. À l’inverse des éditions hollandaise et anglaise, qui sont des traductions médiocres, mais intégrales, l’édition française est une traduction partielle « tirée des Mémoires de Mr. Pierre Kolbe. » Comme invitent à le penser le coût auquel l’édition originale et ses traductions devaient être vendus ainsi que le nombre d’années s’étant écoulées entre la publication de l’édition originale et ses traductions (2), c’est très vraisemblablement pour des raisons économiques que l’éditeur Jean Catuffe prend la décision de publier et de donner au public français une édition abrégée de la monumentale somme de Peter Kolb et c’est en ces termes que le traducteur Jean Bertrand justifie ce choix dans sa « Préface » : « J’ai disposé à mon gré, écrit-il, de ce que cet illustre Auteur avoit donné au public, en y retranchant tout ce que j’ai cru ne pas faire directement au but qu’il s’étoit proposé, ou intéresser trop peu le lecteur […] » Nonobstant le fait que Kolb ait été déprécié au Cap durant son séjour et des années après son retour en Europe, Jean Bertrand le présente comme un véritable savant : « Mr Kolbe, écrit-il, n’est point un Aventurier que la faim [a]fait devenir Auteur. C’est un Savant […]. » Mais il romance quelque peu son existence et son séjour africain lorsqu’il note qu’il a effectué « plusieurs voyages chez les Hottentots, & même chez ceux qui vivent éloignés des Colonies », qu’il les a « longuement interrogés », et qu’il a « beaucoup lu. » À l’inverse de ce qu’il écrit, Kolb a peu voyagé, il a peu fréquenté les Hottentots et s’il a beaucoup lu, c’est d’une part pour mieux critiquer les auteurs qui ont jusqu’alors fait autorité sur le Cap et ses habitants et d’autre part pour plagier sans aucun scrupule les relations manuscrites qu’il a réunies, en particulier celles de Grevenbroek et Ten Rhyne (3). Instructive, la somme de Kolb l’est, pour lui, à plus d’un titre. Parce que le lecteur peut y apprendre en détail la Religion, les Mœurs, les Usages, le Gouvernement, le Caractère, les Occupations, les Vices & les Vertus des Hottentots « dont jusques à Mr Kolbe l’on a eu les idées les plus fausses » mais aussi « diverses choses sur l’étendue, les bornes, les Rivieres & les Montagnes des Colonies » sur lesquels les géographes ont été tant trompés par les voyageurs, et « divers Phénomènes expliqués tres heureusement, tels que sont la formation du Sel du Cap, l’Origine des Vents réglés qui y soufflent, &c. » Agréable, cette somme l’est aussi, parce que le traducteur s’est appliqué à débarrasser l’édition originale d’un certain nombre de ses longueurs, comme l’appelait notamment de ses vœux le très érudit Bibliothécaire et Antiquaire du Roi de Prusse, Maturin Vayssière La Croze, dans un passage de son Histoire du Christianisme des Indes que Jean Bertrand cite de manière opportune à la fin de sa « Préface » : « C’est grand dommage, écrivait-il, que Mr. Kolbe, à qui nous devons les meil-leurs connoissances que nous ayons jamais eues du Pays & de la Nature des Hottentots, n’ait pas donné ses Mémoires à rédiger à quelque autre Personne, capable d’en retrancher les inutilités, qui rendent souverainement ennuyeux un Livre d’ailleurs utile & instructif. C’est à quoi l’on pourrait remédier dans une traduction, si quelque Personne judicieuse vouloit se donner la peine de l’entreprendre. » (4) En réduisant l’in-folio de plus de mille pages à trois petits volumes in-octavo, l’éditeur et le traducteur visent moins à satisfaire un lectorat dont Maturin Vayssière La Croze exprime les attentes qu’à réduire de manière considérable le montant des frais de leur édition, afin de pouvoir la rendre accessible à un public qui ne se compose pas exclusivement de savants, de lettrés et d’érudits mais qui puisse également se composer de curieux et de voyageurs. « Et c’est dans ces vues, conclut Bertrand, que cette Traduction a été faite. »
Une éloquente adaptation : les « Mémoires de Mr. Pierre Kolbe » revus, corrigés et abrégés par Jean Bertrand
Bien que Jean Bertrand présente l’édition française de la Description du Cap de Bonne-Espérance comme une traduction tirée des « Mémoires de Mr. Pierre Kolbe » dès la page de titre, celle-ci s’avère en réalité moins être une traduction abrégée qu’une adaptation assez libre du Caput Bonae Spei Hodiernum (5). S’il a procédé à un certain nombre de coupes, ainsi qu’il le stipule dans sa « Préface », il a aussi pris la liberté de totalement repenser l’organisation générale du volume en intervertissant l’ordre dans lequel les parties apparaissent dans l’ouvrage de Kolb, mais il repense aussi la logique de l’ouvrage en substituant à la forme originale de la lettre familière grâce à laquelle le savant prussien passait allègrement d’une matière à une autre celle plus conventionnelle du chapitre. Tandis que la lettre permettait à Peter Kolb de traiter librement d’un sujet ou d’un autre sur le mode de la conversation familière, le chapitre permet à Jean Bertrand de privilégier l’organisation rationnelle des connaissances. La première partie de l’édition originale, consacrée à la faune et à la flore du Cap, devient la troisième partie de l’édition française. La seconde partie de l’édition originale, consacrée aux Hottentots, devient la première de l’édition française. La troisième partie de l’édition originale enfin, consacrée aux éléments relatifs à la géographie physique, humaine, et aux modes de vie des Européens, devient la seconde de l’édition française. Coupes, bouleversement de l’ordre des parties, transforma-tions des lettres en chapitres, Jean Bertrand s’accorde toutes les libertés ; y compris celle de réécrire certains passages du Caput Bonae Spei Hodiernum. Plus qu’une traduction, plus qu’une adaptation, la Description du Cap de Bonne-Espérance est un tout autre ouvrage.
Un ouvrage qui fait rapidement autorité : la réception de la Description du Cap de Bonne-Espérance en France et en Europe à l’avènement de la seconde moitié du dix-huitième siècle
Si cet ouvrage fait rapidement autorité, c’est d’abord notamment pour la précision et l’exhaustivité des informations réunies sur les Hottentots. Qu’il s’agisse « Du vrai Noms des habitans du Cap de Bonne-Espérance », « De leur Origine », « De leur Langage », « Du Caractère des Hottentots », « De l’Extérieur des Hottentots », « De l’Habillement des Hottentots », « Des Diverses Nations des Hottentots », « De la Forme du Gouvernement des Hottentots », « De la Manière dont les Hottentots font la guerre », « De la Religion des Hottentots », ou encore de leur musique, de leurs danses, de leur nourriture, de l’éducation des enfants, de la manière dont ils élèvent leur bétail, des métiers qu’ils exercent, de leur manière de chasser, ou de leurs funérailles, le lecteur dispose avec cet ouvrage d’une information d’une exceptionnelle richesse (6). Mais si c’est ouvrage fait autorité, c’est sans doute aussi parce qu’il livre une image des populations hottentotes qui contraste avec celle qui a jusqu’alors été véhiculée. Affable, doux, plein de sagesse et de raison, le Hottentot de Kolb est, comme le Huron du baron de Lahontan, un Bon Sauvage. Parce que Peter Kolb récuse tous ses prédécesseurs et qu’il s’intéresse à l’ascendance des Hottentots, la Description du Cap de Bonne-Espérance va tout particulièrement retenir l’intérêt des historiens et poly-graphes qui éprouvent la nécessité d’inscrire ces peuples quelque part dans l’histoire de l’humanité et qui vont s’interroger sur leur passé et par conséquent sur leur histoire (7). Pour Wouter Schouten, les Hottentots descendaient d’Adam. Pour Thomas Herbert, ils descen-daient de Cham, pour Whilhelm Ten Rhyne, de races non noachiques. Pour Peter Kolb, ils descendent d’un certain Noh. Bien que ce nom ne soit pas sans rappeler celui de Noé, Kolb ne fait pas descendre les Hottentots d’Adam mais des Troglodytes du fait de leurs mœurs funéraires. Car si la Description du Cap de Bonne-Espérance va retenir l’intérêt des histo-riens et polygraphes, c’est surtout pour les informations que Kolb a réunies sur leurs supers-titions et pratiques incantatoires. Ces informations, qui ont déjà inspiré d’éloquents dévelop-pements à La Croze et à Ziegenbalg, vont être mises à contribution par Banier dans le sep-tième et dernier volume de sa monumentale Histoire des cérémonies, mœurs et coutumes de tous les peuples du monde. C’est sans doute dans cet ouvrage que les savoirs réunis par Kolb seront le plus judicieusement exploités.
L’extraordinaire fortune de l’ouvrage de Peter Kolb procède autant de l’inhabituelle exhaustivité de l’information fournie que du soin extrême accordé à la parution et à la diffusion même de l’ouvrage. La description des mœurs des nations hottentotes évolue de manière sensible au gré des traductions et rééditions. Les lettres et images véhiculées sur ces populations ici et là-bas se télescopent et achoppent d’imageries opposées, le Hottentot apparaissant tantôt couvert des oripeaux de la sauvagerie la plus abjecte, tantôt exhibé dans toute sa noblesse, drapé de sa toge de peau. La situation des nations hottentotes s’étant considérablement dégradée en l’espace de quelques décades, le décalage entre la des-cription livrée jadis par l’ancien résident et la réalité à laquelle se trouvent confrontés les voyageurs est flagrant. Or, avant d’être très sévèrement vilipendé par tous ces voyageurs-explorateurs qui seront soucieux de livrer une description exacte du Cap et de ses habitants, et qui ne manqueront pas de dénoncer les fables dont regorge son ouvrage, l’abbé de La Caille, Bernardin de Saint-Pierre, Sonnerat, Pagès et Levaillant (8), Kolb sera loué, cité et commenté par tous ces auteurs qui seront désireux de fournir sur les mœurs des nations cafres et hottentotes une information avérée ou d’étayer une argumentation savante par des faits précis. C’est d’ailleurs dans l’édition allemande de sa description et non dans son édition française que l’abbé Antoine Banier et Voltaire trouveront les matériaux qui leur permettront de s’interroger sur les origines, la nature et les fins des idées religieuses des Hottentots ainsi que sur leur intellection de la mémoire.

1. Caput Bonæ Spei Hodiernum […] von M. Peter Kolben […], Nürnberg, Peter Conrad Monath, 1719. In-fol, pièces limin., 846 p. Un exemplaire de ce très bel ouvrage est actuellement conservé dans un des fonds de la réserve de la Bibliothèque nationale de France. BnF, Réserve, M-2353. Trad. néerl. : Naaukeurige en uitvoerige beschryving van de Kaap de Goede Hoop […] door Peter Kolbe […], Amsterdam, Balthazar Lakeman, 1727, 2 vol. In-fol. Met Privilegie. BnF, Réserve, M-2354 et M-2355. Trad. angl. : The Present State of the Cape of Good Hope: or a Particular Account of the Several Nations of the Hottentots […] with a short account of the Dutch settlement at the Cape. Written originally in High German […] Done into English […] by Mr Medley : illustrated with Copperplates, London, William Innys, 1731, 2 vol. in-8°. Trad. fr. : Description du Cap de Bonne-Esperance ; Où l’on trouve tout ce qui concerne l’histoire-naturelle du pays ; La Religion, les Mœurs & les Usages des Hottentots ; et l’etablissement des Hollandois. Tirée des memoires de Mr. Pierre Kolbe, Maitre ès Arts. Dressés pendant un séjour de dix Années dans cette Colonie, où il avoit été envoyé pour faire des Observations Astronomiques & Physiques, Amsterdam, Jean Catuffe, 1741. Traduit de l’allemand par Jean Bertrand, 3 vol. Sur Peter Kolb : Otto Friedrich Raum, « Kolb(e)(n)(s), Peter » [in]Dictionary of South African Biography, III, Cape Town, Tafelberg-Uitgewers, 1968-1987, p.474-476.
2. C’est très certainement parce que la richesse de l’information réunie par Peter Kolb l’a séduite que Peter Conrad Monath a choisi de donner du Caput Bonae Spei Hodiernum une édition luxueuse, en vue de conquérir un lectorat cultivé et aisé. Du fait de son coût probablement très élevé, l’ouvrage s’est difficilement vendu, même s’il a assez rapidement fait autorité. Sa lente diffusion explique aussi le peu d’empressement avec lequel les libraires hollandais, anglais et français ont acquis le privilège. C’est en effet grâce à plus de trois cents souscripteurs que la traduction hollandaise du Caput Bonae Spei Hodiernum peut être imprimée. Si le traducteur respecte assez l’esprit et la lettre du texte de Kolb, l’édition, bien que fort honorable, est moins luxueuse que l’édition originale. La reliure, la qualité du papier, le soin accordé à l’impression, le choix des gravures le montrent clairement. Lakeman n’a pas, en terme de belle ouvrage, la prétention de rivaliser avec Monath. Le coût de l’ouvrage n’en demeure pas moins élevé : c’est le seul relatif au continent africain vendu par souscription à cette époque en Hollande. Bien que moins soignée que l’édition hollandaise l’édition anglaise publiée en 1729 à Londres chez Innys a sans doute aussi été un ouvrage assez coûteux. Sur la publication et la diffusion de l’édition hollandaise du Caput Bonae Spei Hodiernum : Ernst van den Boogaart, « Books on Black Africa. The Dutch Publications and their Owners in the Seventeenth and Eighteenth Centuries », Paideuma, 1987, n°33, p.115-128. Voir p.118.
3. La relation de Wilhelm Ten Rhyne a été publiée en 1686 à Schaffausen. La relation de Johannes Gulielmus de Grevenbroek n’a quant à elle été publiée pour la première fois qu’au début du vingtième siècle. Cl. Wilhelmi Ten Rhyne Daventr. Ampliss. Soc. Indiae Or. Medici, & a consiliis Justitiae, Schediasma de Promontorio Bonae Spei […], Scafusii, Impensis foh. Mart. Meister. Typis foh. Mart. Osvaldi, 1686 ; Wilhelmi Ten Rhyne, Schediasma de Promontorio Bonae Spei […] et Johannes Gulielmus de Grevenbroek, Elegans et Accurata Gentis Africanae […] Descriptio Epistolaris [in]Isaac Schapera & Benjamin Farringfton, éd., The Early Cape Hottentots Described in the Writings of Olfert Dapper (1668), Wilhelm Ten Rhyne (1686) and Johannes Gulielmus de Grevenbroek, Cap Town, Van Riebeeck Society, 1933. Comme l’ont noté plusieurs critiques, Peter Kolb s’est grandement inspiré de ces deux sources, et il n’est sans doute jamais aussi exact que lorsque qu’il reprend textuellement les notes de Wilhelm Ten Rhyne ou celles de Johannes Gulielmus de Grevenbroek parce que ceux-ci ont réellement obser-vé avec beaucoup d’attention le quotidien des populations hottentotes établies sur le pourtour du Cap de Bonne-Espérance et dans l’arrière-pays au cours de leur séjour dans la colonie. Voir « L’Afrique australe au prisme de l’Europe savante : le Cafre et le Hottentot dans les travaux des historiens, des géographes et des membres de l’Académie des Belles-Lettres et Inscriptions » [in]www.africultures.fr.
4. « […] De tous les Barbares connus, ces peuples [les Hottentots]sont les plus hideux & les plus dégoûtans par leur saleté & leur puanteur insupportable, écrit-il plus haut. On a voulu les faire passer pour des Athées, aussi-bien que les Caraïbes des Antilles ; & il y a des Savans qui prétendent affoiblir par-là cette preuve de l’Existence de Dieu, qu’on tire du consentement de toutes les nations. On sait présentement, que les Caraïbes ont une Religion & des Prêtres ; & ce que Mr. Ziegenbalg rapporte ici [Dans un Ouvrage Allemand dont le titre est : Relation Histo-rique des Conversions faites parmi les païens dans les indes Orientales. Haale 1713 in-quarto. Voyez le Tome I de cet Ouvrage, chap.XII. §.IX, pag.198-199.], fait voir que les Hottentots n’ont pas perdu la connoissance de Dieu. On pourra objecter, que celui dont il s’agit avoit formé ses idées sur celles des Hollandois, & des autres Chrétiens d’Europe qui habitent au Cap. Mais Mr. Kolbe, qui a demeuré plusieurs années dans le voisinage des hottentots, & qui, après avoir appris leur Langue, s’est très soigneusement informé de leurs mœurs, est entré dans un grand détail sur leurs pratiques de Religion : pratiques, à la vérité, les plus absurdes & les plus absurdes qu’on puisse imaginer ; mais pourtant fort opposées à l’Athéisme, dont on les a accusés sur le rapport de quelques Voyageurs, qui ne voyant les choses qu’en passant, mettent ordinairement par écrit des jugemens précipités, sur lesquels on ne doit faire aucun fonds […]. » Maturin Vayssière La Croze, Histoire du Christianisme des Indes, La Haye, Vaillant & Prévost, 1724. La Croze vise ici plus particulièrement Pierre Bayle et sa Continuation des Pensées diverses […], Rotterdam, Reinier Leers, 1705.
5. Tous les questions théoriques relatives à la traduction – qu’est-ce qu’une traduction ? est-elle une réénonciation ? en quoi est-elle une reproduction ? une adaptation ? une réécriture ? – ont fait l’objet de nombreux débats tout au long du dix-septième siècle. Sur les problèmes théoriques posés par la traduction au dix-septième siècle : Roger Zuber, Les « Belles Infidèles » et la formation du goût classique, Paris, Armand Colin, 1968. Rééd. : Paris, Albin Michel, 1995, « Bibliothèque de l’Evolution de l’Humanité » ; Emmanuel Bury, « Bien écrire ou bien traduire : Pierre-Daniel Huet théoricien de la traduction » [in]Suzanne Guellouz, dir., La Traduction au XVIIe siècle. Littératures classiques, n°13, octobre 1990, p.251-260. Au dix-huitième siècle, la situation a considérablement évolué. Nombreux sont les traducteurs qui ne s’embarrassent pas outre mesure de demeurer fidèles au texte original que ce soit lorsqu’il s’agit de traduire des œuvres romanesques, dramatiques, des pièces en vers ou comme c’est le cas ici avec le Caput Bonae Spei Hodiernum de Peter Kolb, des ouvrages historiques. Sur cette évolution : Daniel Mercier, L’Epreuve de la représentation, l’enseignement des langues étrangères et la pratique de la traduction en France aux dix-septième et dix-huitième siècles, Besançon, Presses de l’Uni-versité de Besançon, 1995, « Annales littéraires de l’Université de Besançon » ; Michel Ballard et Lieven d’Hulst, dirs., La Traduction à l’âge classique, Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 1996, « Travaux et recherches ».
6. La première partie de la Description du Cap de Bonne-Espérance, qui est entièrement consacrée aux Hottentots, compte vingt-cinq chapitres qui sont chacun divisés en plusieurs sous-chapitres, de la manière suivante : « CHAPITRE XVI. De la Nourriture des Hottentots. I. Nourriture ordinaire des Hottentots. II. Ils aiment passionnément une certaine racine qu’ils appellent Kanna. III. Ils mangent des Poux. IV. Lorsqu’ils sont dans le besoin, ils mangent de vieux souliers & des bandes de peaux. V. Ils n’usent ni de sel, ni d’épiceries ; ils aiment cependant les mets accommodés à l’Européenne. VI. Ils s’abstiennent de certaines viandes. VII. Leur Boisson ordinaire. VIII. Ils aiment à l’excès les Liqueurs fortes. IX. Aussi-bien que le Tabac & le Dacha. X. Provisions qu’ils portent avec eux, lorsqu’ils vont à la chasse ou en voyage. » Si certains chapitres ne sont subdivisés qu’en trois sous-chapitres, comme c’est le cas du second chapitre, qui est consacré à la découverte du Cap, ou du cinquième chapitre, qui porte sur le nom, les origines et le langage des Hottentots, d’autres peuvent compter jusqu’à quinze ou vingt subdivisions, comme c’est le cas du sixième chapitre, qui est consacré au caractère des Hottentots, ou du vingtième chapitre, dans lequel l’auteur traite de la manière dont les Hottentots gouvernent leur bétail en vingt sous-chapitres.
7. Pour conférer plus de véracité à ses propos, Peter Kolb entend rompre avec toutes les autorités qui l’ont précédé ; c’est la raison pour laquelle il n’a de cesse de pointer leurs inexactitudes et leurs erreurs. Jean Catuffe se fait l’écho de ces attaques ainsi que l’indiquent les passages suivants qui ne sont que quelques-unes des nombreuses attaques que l’on peut relever : « Il y a peu de relations, lit-on, aussi imparfaites et aussi remplies de faussetés que celles qu’on a publiées jusqu’à présent des peuples qui habitent les environs du Cap de Bonne-Espérance. » Description du Cap de Bonne Espérance, op.cit., p.35-36. « Ceux-là se trompent assurément, lit-on encore, qui font envisager le nom d’Hottentot comme une espèce de sobriquet […]. Autant qu’on peut le savoir, c’est là leur nom propre et primitif. » Ibid., p.38. « Rien n’est plus outré, lit-on plus loin, que le portrait que les voyageurs ont fait jusqu’ici des Hottentots. » Ibid., p.57. « Certains voyageurs, lit-on encore, n’ont pas eu honte de débiter que ces peuples, hommes et femmes, habitaient ensemble pêle-mêle sans aucune pudeur, et sans observer les moindres bienséances. Rien n’est plus mal fondé. » Ibid., p.59. Dans son Caput Bonae Spei Hodiernum, Peter Kolb s’en prend tout particulièrement au Père Guy Tachard dont la description du Cap de Bonne-Espérance et de ses habitants qui est insérée dans son Voyage de Siam des Pères Jésuites est indéniablement à l’avènement du dix-huitième siècle la vulgate sur la région et sur les Hottentots. Parmi de nombreuses invectives, on relève l’attaque suivante : « On ne doit pas être surpris de voir le P. Tachard dans une erreur si grossière, lit-on. Tous les voyageurs qui ne fondent leurs relations que sur des rapports sont sujets à se tromper à tout moment […]. J’ai eu mille occasions de l’éprouver, surtout au commencement que j’étais au Cap. Si j’eusse voulu ajouter foi à tout ce que j’y ai entendu dire, j’aurais bientôt eu de quoi remplir un très gros volume de faits faux ou incertains. » Ibid, p.95.
8. Parmi ces voyageurs et voyageurs-explorateurs qui critiqueront avec virulence l’œuvre de Kolb et qui jugeront sa réputation usurpée figurent notamment l’abbé de La Caille, Bernardin de Saint-Pierre, Sonnerat, Pagès et Levaillant. L’abbé de La Caille et François Levaillant seront parmi les plus sévères. Abbé Nicolas-Louis de La Caille, Journal historique d’un voyage fait au cap de Bonne Espérance, suivi de remarques […] sur les coutumes des Hottentots et des habitants du Cap, Paris, Guillyn, 1763 ; Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, Voyage à l’Isle de France, à l’Isle de Bourbon, au Cap de Bonne Espérance, etc. avec des observations nouvelles sur la nature et sur les hommes […], Amsterdam, Paris, Merlin, 1773 ; Pierre Sonnerat, Voyage aux Indes orientales et à la Chine, fait par ordre du Roi, depuis 1774 jusqu’en 1781, dans lequel on traite des mœurs, de la religion, des sciences et des arts des Indiens, des chinois, des Pégouins et des Madégasses ; suivi d’observations sur le Cap de Bonne-Espérance, les isles de France et de Bourbon, les Maldives, Ceylan, Malacca, les Philippines et les Moluques, et de recherches sur l’histoire naturelle de ces pays […], Paris, l’auteur, 1782 ; Pierre-Marie-François de Pagès, Voyages autour du monde et vers les deux pôles par terre et par mer, pendant les années 1767, 1768, 1769, 1770, 1771, 1773, 1774 et 1776 […], Paris, Moutard, 1782 ; François Levaillant, Voyage de M. Le Vaillant dans l’intérieur de l’Afrique, par le Cap de Bonne-Espérance, dans les années 1780, 1781, 1782, 1783, 1784 et 1785 […], Paris, Leroy, 1790. Sur cette génération de voyageurs : François Moureau, dir., « Présentation », L’Œil expert : voyager, explorer. Dix-Huitième siècle, n(22, 1990, p.5-12.
///Article N° : 4031

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