« Et moi je suis aussi Hottentot… ». Les représentations des Cafres et des Hottentots dans les encyclopédies, les sommes historiques et les écrits philosophiques de la fin des Lumières

Université de Paris IV-Sorbonne(C.R.L.V.) / Middlebury College (Vermont)

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Si les quinze années sur lesquelles s’ouvre le dernier tiers du dix-huitième siècle sont fécondes en relations de voyage, recueils, mélanges, mémoires, traductions de voyages de circumnavigation et autres ouvrages géographiques, elles sont également fécondes en ouvrages savants, que ceux-ci revêtent la forme de dictionnaires encyclopédiques, d’ouvrages géographiques, historiques, philosophiques, de dissertations, d’observations ou de réflexions. Parce que les auteurs de ces ouvrages sont principalement des polygraphes, les thèmes qu’ils développent et interrogations auxquelles ils tentent de répondre dans leurs écrits sont assez variés, même si on note un intérêt tout particulier pour les idées de progrès, la recherche du bonheur, les origines des sciences, les fondements de la société, la formation des langues, mais aussi les avantages et inconvénients pour l’Europe de la découverte de l’Amérique, ce qui différencie et ce qui réunit le monde primitif et le monde moderne (1). Parce que les récits de voyage, les sommes géographiques et les ouvrages historiques figurent parmi les sources de prédilection de ces polygraphes, la part dévolue à l’ailleurs et à l’autre dans leurs écrits une place prépondérante. Indépendamment du sujet traité, toutes les contrées lointaines et nations sauvages n’éveillent pas le même intérêt. Si l’Asie continue d’exercer sa puissante fascination sur les occidentaux, et si l’Amérique suscite parmi eux un intérêt croissant, l’Afrique continue de les intriguer même si elle fait encore souvent office de repoussoir. Aussi est-ce la raison pour laquelle il n’est pas rare de voir un auteur puiser ses exemples chez les nations les plus emblématiques de ces continents : les Chinois pour l’Asie, les Abénakis, les Iroquois ou les Hurons pour l’Amérique, les Cafres, les Hottentots ou les Jagas pour l’Afrique. Que ces nations soient particulièrement prisées des polygraphes et qu’elles soient présentes dans leurs écrits explique qu’elles inspirent également les auteurs de fiction. Via l’analyse des représentations du Cafre et du Hottentot dans les ouvrages encyclopédiques, les sommes historiques et les écrits philosophiques de la fin des Lumières, c’est aux formes et enjeux de leur instrumentalisation dans les discours scientifiques que l’on va ici s’intéresser.
Les paradoxes de l’encyclopédisme. Une représentation éthérée : l’entrée « Hottentots » de la huitième livraison de l’Encyclopédie
Parmi les auteurs qui puisent abondamment dans les collections de voyage, les descriptions géographiques et les sommes historiques figurent les rédacteurs de l’Encyclopédie. Dans la huitième livraison de l’Encyclopédie qui paraît en 1765, une entrée est consacrée aux Hottentots (2). Elle est de la plume du chevalier de Jaucourt, l’homme des exotica, le grand spécialiste des nations sauvages de l’Encyclopédie. Si, parmi les collaborateurs de Diderot et D’Alembert, certains se contentent de ne consulter qu’une source pour rédiger un article, d’autres, désireux de livrer l’état du savoir le plus exhaustif qui puisse être, en convoquent plusieurs, à l’instar du chevalier de Jaucourt pour rédiger l’article « Hottentots ». Se référant aux auteurs qui leur ont consacré une description et dont les relations ont été régulièrement réimprimées sous la forme d’extraits dans des recueils de voyages ou des monographies – « Junigo de Bervillas, Courlai, Dampier, Robert Lade, François Légar, La Loubere, Jean Owington, Spilberg, le P. Tachard, Tavernier, & finalement M. Kolbe », pour reprendre tous ceux qu’il cite nommément–, son portrait est un agrégat de tous les lieux communs répétés par les voyageurs depuis la fin du seizième siècle : couleur, puanteur, langage, célérité à la course, couille unique, laideur et bien sûr le tablier qu’il décrit comme étant « une peau dure et large qui leur croît au-dessus de l’os pubis », « une monstrueuse difformité », qui « descend jusqu’au milieu des cuisses. » Plus que les auteurs qu’il allègue, ce sont les éléments qui composent le portrait qu’il brosse des Hottentots dans l’article qu’il leur consacre, qui confirment qu’il a additionné ses sources. Aussi est-ce la raison pour laquelle son portrait a peu en commun avec les descriptions livrées par les voyageurs de passage au Cap dans les mêmes années. Ce qui est neuf en revanche, c’est cette volonté systématique de savoir qui anime les encyclopédistes et en dehors de leurs cercles, les auteurs d’ouvrages savants qui s’intéressent, dans le cadre de l’argumentation qu’ils développent, aux nations sauvages (3).
Un philosophe face aux ravages de la colonisation et à la lente destruction du monde sauvage : la représentation des Hottentots dans les Recherches philosophiques sur les Américains de Cornélius De Pauw
C’est dans les années 1768-1769 que Cornélius de Pauw publie chez Decker à Berlin ses Recherches philosophiques sur les Américains. Parce que l’ouvrage soulève de nombreuses polémiques, il connaît rapidement une assez remarquable fortune. Réédité dès l’année suivante, augmenté d’une dissertation de Dom Pernetty, il fait l’objet d’une nouvelle édition quatre années plus tard. La culture livresque de Cornélius De Pauw est encyclopédique. Même si ses Recherches portent sur les Américains, il s’est intéressé aux nations sauvages des autres continents et c’est la raison pour laquelle la part dévolue aux Hottentots, aux Lapons ou aux samoyèdes est dans on œuvre aussi importante. Sur la colonie du Cap et ses habitants, il tire l’essentiel de ses informations du Journal historique du voyage fait au Cap de Bonne-Espérance de l’abbé de La Caille, qu’il révère, de la Des-cription du Cap de Bonne-Espérance, de Peter Kolb, dont il dénonce toutefois les mensonges, ainsi que « d’une personne qui a vécu cinquante-trois ans à la pointe de l’Afrique. » (4) Si les Recherches constituent un ouvrage intéressant, c’est parce que leur auteur figure parmi ces savants qui ne circonscrivent pas leur réflexion à leur sujet. C’est la réflexion qu’il mène sur la lente extinction des populations indiennes qui le conduit à porter son regard sur ces nations dont les colons européens ont aussi brutalement précipité la fin et note que par leur faute, ce sont les trois quarts des Lapons, les deux tiers des Hottentots et la moitié des Tunguses qui ont disparu de la surface de la terre. Pour lui, le comportement des Européens n’a pas seulement été préjudiciable sur le plan humain, il l’a aussi été sur le plan économique : « On ne saurait trop répéter, écrit-il, qu’en détruisant les Américains, on a fait, même en politique, une faute irréparable : on aurait dû les laisser subsister et s’y incorporer, comme on a fait aux Indes orientales avec les Javanais, les Malais, les Malabares, les Mogols et tous les autres peuples de cette partie de l’Asie. Que n’a-t-on agi comme les Hollandais qui ont apprivoisé les Hottentots au lieu de les exterminer ! »  (5) La raison pour laquelle De Pauw convoque les Hottentots est double : ils lui permettent d’abord de montrer que les abus des colons européens n’ont pas seulement été perpétrés en Amérique, ensuite, que l’Afrique a été durement frappée et enfin que tous les Européens ne se sont pas comportés de la même manière. Le constat dressé par Cornélius De Pauw est sans appel mais du fait de la hardiesse des thèses développées par ailleurs dans l’ouvrage, il n’appelle aucun commentaire de la part des lecteurs et demeure lettre morte.
La couille unique des hommes et le tablier des femmes ou le sexe insaisissable : les attributs sexuels des Hottentots dans les différentes tentatives de réexamen des savoirs relatifs aux nations sauvages
Les attributs sexuels des populations des confins africains ont très tôt furieusement excité les Européens. Parce que les voyageurs, les polygraphes et les savants se livrent dans ces années à un réexamen des savoirs relatifs aux nations sauvages, les attributs sexuels des Hottentots, à l’instar des mœurs phagiques des Jagas, de la stupéfiante anatomie des hommes à queue et de l’indécidable taille des Géants Patagons retiennent leur intérêt. Au cours du voyage qu’il effectue en Hollande et dans les Pays-Bas autrichiens dans les années 1773 et 1774, Diderot séjourne à La Haye chez l’ambassadeur de Russie, le Prince Galitzine, et visite Leyde, Delft, Harlem, Amsterdam et Utrecht. S’il profite de son séjour pour entreprendre la rédaction de plusieurs manuscrits – la Satire première à Naigeon, la Réfutation d’Helvétius, le Commentaire sur Hemsterhuys, l’Entretien d’un philosophe avec la Maréchale de ***, la Politique des souverains ou encore les Observations sur le Nakaz –, il consigne également au quotidien une série de notes que Belin publiera en 1819 sous le titre de Voyage en Hollande. De ces notes, il fait mention à deux reprises dans sa correspondance. Dans une lettre datée du 18 août 1773 et adressée à Madame d’Epinay, il insère une série d’observations sur les Hollandais. Dans une lettre datée du 6 septembre 1774 et adressée à Madame Necker, Diderot évoque non sans faconde les joutes oratoires de deux voyageurs, Gordon et Robert, occupés à se quereller au sujet du tablier des Hotten-totes : « Le voyageur, écrit-il, qui, à chaque tour de roue, jette une note sur ses tablettes, ne se doute pas qu’il écrit un mensonge ; c’est pourtant ce qu’il fait. Il n’y a pas longtemps que j’ai eu le plaisir d’entendre deux hommes très instruits se contredire de la manière la plus formelle sur le tablier des Hottentotes. Ils avaient fait ensemble le voyage du Cap. » (6) C’est en 1775 que Voltaire fait paraître à Genève, chez Cramer, une nouvelle édition de son Essai sur les mœurs. Le portrait des Hottentots qu’il a inséré dans le chapitre traitant des découvertes des Portugais y figure toujours, de même que les deux ajouts datant de 1761 et relatifs aux attributs sexuels des Hottentots : celui par lequel il précise que les Hottentots naissent tous « hommes et femmes, avec une surpeau pendante du nombril, qui couvre les organes de la génération, en forme de tablier qu’on hausse et qu’on baisse », et celui par lequel il explique que « si la circoncision a dû étonner les premiers philosophes qui voyagèrent en Egypte et à Colchos, l’opération des Hottentots dut étonner bien davantage », « [qu’]on coupe un testicule à tous les mâles, de temps immémorial, sans que ces peuples sachent pourquoi et comment cette coutume s’est introduite parmi eux », que « quelques-uns d’eux ont dit aux Hollandais que ce retranchement les rendait plus légers à la course ; d’autres, que les herbes aromatiques dont on remplace le testicule coupé les rendent plus vigoureux » avant de conclure qu' »il est certain qu’ils n’en peuvent rendre qu’une mauvaise raison » et que c’est là « l’origine de bien des usages dans le reste de la terre. » Parce qu’il ne se trouve pas un seul voyageur, un seul savant ou un seul polygraphe parmi tous ceux qui ont eu l’occasion d’effectuer un séjour plus ou moins long au Cap ou dans la colonie, qui soit venu confirmer que les hommes sont aussi pourvus d’un tablier, la présence de cet ajout dans cette nouvelle édition est plus surprenant que sa présence dans l’édition de 1761 (7). Mais dans cette édition comme dans les précédentes, à l’exception bien sûr de la première, le fait d’affubler les hommes d’un tablier permet à Voltaire de différencier les Hottentots des autres hommes comme le tablier des femmes lui permet de différencier les Hottentotes des autres femmes. C’est très vraisemblablement la lecture des observations faites sur les attributs sexuels des Hottentots et insérées dans ses Recherches philosophiques sur les Amé-ricains par Cornélius De Pauw, ouvrage qui est réédité en 1774 après avoir été publié pour la première fois dans les années 1768-1769, qui incite Voltaire à se raviser et qui le conduit à supprimer les quelques lignes relatives au tablier sur l’exemplaire de l’édition de 1775 de l’Essai sur les mœurs qu’il corrige en vue d’une nouvelle réédition. C’est ce qui explique que ces quelques lignes soient absentes de l’édition de Kehl de l’Essai sur les mœurs. Dans ses Additions aux Variétés de l’espèce humaine qu’il publie en 1777, Buffon, qui avait écrit dans le chapitre qu’il avait consacré à la puberté dans De l’homme : « les Hotten-tots coupent un testicule dans l’idée que ce retranchement les rend plus légers à la course », procède à un certain nombre d’ajouts. Mais dans les Additions comme dans les Variétés, le dessein poursuivi par Buffon reste d’expliquer en quoi les Hottentots constituent une variété originale de l’espèce humaine. Et s’il se fonde comme Voltaire sur les observations réunies sur les attributs sexuels des Hottentots par Cornélius de Pauw dans ses Recherches philosophiques sur les Américains, il tire l’essentiel de ses connaissances des informations que lui a communiquées via une lettre et son Journal le vicomte de Querhoent, lequel a obtenu ces informations de lord Gordon, l’officier écossais qu’a rencontré Diderot durant son séjour en Hollande, et qui, partant du Cap a pénétré dans les années 1773 et 1774 à l’intérieur du continent africain, à l’ouest, jusqu’au fleuve Orange, et à l’est, jusqu’à la côte des Cafres (8). Lorsqu’il rédige ses Additions aux Variétés de l’espèce humaine, Buffon a conscience que les connaissances qu’il a réunies et publiées trente ans auparavant sont caduques mais sa volonté de savoir et de comprendre est intacte (9). La même volonté anime Diderot. Si dans la troisième édition de l’Histoire des deux Indes, il assure que le tablier des femmes hottentotes n’est qu’une fable, il tient en revanche pour « très vrai que les Hottentots n’ont qu’un testicule. » Cependant, à l’inverse de tous ceux qui ont véhiculé cette fable, il ne pense pas que cette opération les rende plus légers à la course ; pour lui, il s’agit d’un signe de reconnaissance : « Par l’amputation du prépuce, écrit-il, un Juif dit à un autre, et moi je suis juif aussi. Par l’am-putation d’un testicule, un Hottentot dit à un autre Hottentot, et moi je suis aussi Hottentot. » (10) Diderot ne juge pas cette pratique. En proposant une explication rationnelle, il montre ce en quoi les Hottentots sont radicalement différents des autres hommes et ce faisant, suggère que leurs pratiques ne sont pas plus barbares que celles des Juifs. Comme ses contemporains toutefois, la justesse de ses analyses demeure assujettie à la nature des informations que rapportent les voyageurs dans leurs relations. Et c’est parce qu’il continue de diviser les voyageurs que le sexe des Hottentots demeure insaisissable et qu’il donne encore lieu à des descriptions et explications contradictoires de la part des savants à la fin des années 1780.
« Fuyez malheureux Hottentots, fuyez ! » Raynal et Diderot lecteurs de Dapper : les passages relatifs aux Hottentots dans les trois éditions de l’Histoire de l’établissement et du commerce des Européens dans les deux Indes
C’est en 1770 que, pour dénoncer les exactions commises par les Européens de par le monde, l’abbé Guillaume-Thomas Raynal publie la première édition de l’Histoire philosophique et politique des établissement et du commerce des Européens dans les deux Indes. Dans le second livre, qui est consacré aux conquêtes et établissements des Hollandais, un long passage relate les circonstances dans lesquelles, au milieu du dix-septième siècle, Jan Van Riebeeck s’est emparé du Cap. Le portrait que Raynal livre des Hottentots, même s’il est grandement inspiré de la Description de l’Afrique d’Olfert Dapper concilie, comme une importante partie des descriptions qui leur sont consacrées depuis le premier tiers du dix-huitième siècle, deux images : celle d’un Hottentot bienveillant et paisible et celle d’un Hottentot malpropre et stupide. « La grande contrée qu’on se proposait de mettre en valeur, lit-on, étoit habitée par les Hottentots. Ils étoient comme tous les peuples pasteurs, remplis de bienveillance, et tenoient quelque chose de la malpropreté et de la stupidité des animaux qu’ils conduisoient. La guerre contre les lions et les tigres étoit presque la seule qu’ils con-nussent. Ils avoient institué un ordre dont on honoroit ceux qui avoient vaincu quelqu’un de ces animaux destructeurs de leurs bergeries ; et ils révéroient leur mémoire. » (11) Comme le chapitre portant sur les Hottentots dans la Description de l’Afrique, le chapitre consacré aux conquêtes et établissements des Hollandais de l’Histoire des deux Indes comporte une harangue hottentote ainsi rapportée : « Riebeek se conformant aux idées malheureusement reçues, commença par s’ emparer du territoire qui étoit à sa bienséance, et il songea ensuite à s’ y affermir. Cette conduite déplut aux naturels du pays. pourquoi, dit leur envoyé à ces étrangers, avez-vous semé nos terres ? Pourquoi les employez-vous à nourrir vos troupeaux ? De quel oeil verriez-vous ainsi usurper vos champs ? vous ne vous fortifiez que pour réduire par degrés les hottentots à l’ esclavage. Ces représentations furent suivies de quelques hosti-lités, qui ramenerent le fondateur à des principes qui étoient dans son ame. Il acheta le pays qu’ il vouloit occuper quarante-cinq mille florins, qu’ on paya en marchandises. Tout fut pacifié, et il n’ y a eu nul trouble depuis. » Mais si Dapper insistait dans son texte sur le fait que les Hottentots n’avaient aucun espoir de retrouver un jour leurs terres, Raynal insiste quant à lui sur l’exemplaire concorde qui règne entre les Hottentots et les Hollandais. C’est de la Description de l’Afrique de Dapper également, comme le suggèrent la construction et la tonalité du passage, plus que de la Description du Cap de Bonne-Espérance de Kolb, du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes de Rousseau ou de l’Histoire des voyages de Prévost que Raynal tire la harangue qu’un Hottentot adresse à Van Riebeeck, pour fustiger l’attitude adoptée par les colons à l’égard des autochtones avant de rejeter le mode de vie proposé par les Européens et de s’en retourner vivre parmi les siens (12). Mais les trois éditions de l’Histoire des deux Indes ne sont pas entièrement de la main de Raynal. Si certains passages sont directement tirés de sources contemporaines, et si d’autres ont été rédigés d’après des réponses formulées par les correspondants de Raynal à de véritables questionnaires, d’autres encore ont été rédigés par des polygraphes comme Paulze, Martin, Pechméja, Saint-Lambert, D’Holbach ou Diderot. Comme l’a montré la critique, ce dernier a collaboré aux trois éditions de l’Histoire et a notamment ajouté un certain nombre d’éléments à la description des Hottentots élaborée par Raynal, et cela plus particulièrement dans l’édition de 1780. C’est avec la même force qu’il condamne l’ethnocide dont ils sont victimes en reprenant la ha-rangue hottentote inspirée de la Description de l’Afrique et insérée par Raynal dans les éditions de 1770 et 1774 de l’Histoire des deux Indes, cette même harangue qu’il reprendra et remaniera pour composer le second chapitre de son Supplément au Voyage de Bougainville et qui commence ainsi : « Fuyez, mal-heureux Hottentots, fuyez ! Enfoncez-vous dans vos forêts ! Les bêtes féroces qui les habitent sont moins redoutables que les monstres sous l’empire desquels vous allez tomber […] » Après avoir fustigé les vices et travers auxquels se sont livrés les colons, le philosophe prend violemment à parti les Européens mais c’est pour mieux célébrer le Bon Sauvage Hottentot : « Et vous, poursuit-il, cruels Européens […], si mon discours vous offense, c’est que vous n’êtes pas plus humains que vos prédécesseurs, c’est que vous voyez dans la haine que je leur ai vouée celle que j’ai pour vous. »  (13)
Qu’il s’agisse d’articles, de mémoires, de dissertations ou d’histoires, nombreux sont les ouvrages savants dont les auteurs consacrent aux mœurs et pratiques hottentotes un paragraphe ou un chapitre au crépuscule des Lumières. À l’exception de l’article « Hottentot » inséré dans la huitième livraison de l’Encyclopédie dans lequel Jaucourt opère une synthèse de deux siècles de représentations, mêlant indifféremment éléments avérés et fables, dans les Recherches sur les Américains de De Pauw, les « Additions » aux Variétés de l’espèce humaine de Buffon ou l’Histoire des deux Indes de Raynal, ces livres savants qui comportent une description plus ou moins circonstanciée de la morphologie ou des mœurs des Hottentots, pour la rédaction desquels De Pauw, Buffon, Raynal et Diderot se sont efforcés de puiser leurs sources dans des relations, recueils ou sommes récemment publiés. C’est probablement parce qu’ils délaissent les sources anciennes, qu’ils portent sur les écrits de leurs prédécesseurs un regard critique et qu’ils s’appliquent à ruiner les « fables grossières » de la couille unique ou du tablier, qu’ils portent sur eux un regard neuf et que la propension à juger fait lentement mais sûrement place à une volonté de comprendre. Diderot se trompe lorsqu’il écrit que les Hottentots se coupent un testicule pour se recon-naître mais cette observation lui permet de reconnaître ce que les Hottentots ont de singu-lier, d’expliquer leurs pratiques, pour mieux les comprendre et comprendre ce qu’ils sont.

1. Parmi ces innombrables ouvrages figurent par exemple les Recherches philosophiques sur les Américains, de Cornélius De Pauw, publié à Berlin, par Decker, en1769-1770, L’Esprit des usages et des coutumes des différents peuples, observations tirées des voyageurs et des historiens, de Jean-Nicolas Démeunier, imprimé à Londres et à Paris, par Pissot, en 1776, les « Additions » aux Variétés de l’espèce humaine, de Buffon, imprimées à Paris en 1777, le Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne, d’Antoine Court de Gébelin, publié à Paris, par les soins de l’auteur, de 1773 à 1782, ou encore L’Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les Deux Indes, de l’abbé Raynal, qui va donner lieu à trois éditions entre 1770 et 1780. Parmi ces ouvrages, il convient de ne pas omettre tous ceux qui ont déjà fait l’objet d’une édition quelques années voire une ou deux décennies plus tôt et qui font l’objet d’une ou plusieurs rééditions, comme c’est le cas de l’Essai sur les mœurs, de Voltaire, initialement publié à Genève, chez Cramer, en 1756, qui est régulièrement réédité, et dont la dernière édition qui paraîtra du vivant de l’auteur sera imprimée, à Genève toujours, chez Cramer, en 1775. Sur cette période clé de l’histoire de l’anthropologie européenne : Michèle Duchet, « L’Idéologie coloniale » [in]Anthro-pologie et histoire au siècle des Lumières, Paris, Albin Michel, 1995, « Bibliothèque de l’Evo-lution de l’Humanité », p.137-226.
2. Outre l’article du chevalier de Jaucourt, plusieurs articles renvoient à une pratique ou une particularité physique des Hottentots. Comme l’indique l’index, les articles « Humaine (espèce) », « Pubis » et « Samoyèdes », font tous trois mention du tablier des Hottentotes, tandis que les articles « Athées », « Ventouses », « Mamelles », « Konquer », « Kraals », « Touquoa » et « Gomgom » comportent tous quelques lignes sur les Hottentots. De ces articles, il ressort que les Hottentots sont bons, affables, sages, qu’ils croient en une divinité, perpétuent un certain nombre de pratiques païennes et aiment la danse et la musique. Bien que le Journal historique du voyage fait au Cap de Bonne-Espérance de l’abbé de La Caille ait été imprimé en 1763, ni le chevalier de Jaucourt, qui a rédigé l’ensemble des articles à l’exception de l’entrée « Athées » que l’on doit à l’abbé Yvon, et qui figure dans la première livraison de l’Encyclopédie, ni l’auteur anonyme de l’article « Gomgom », ne s’y réfèrent. Pour le chevalier de Jaucourt com-me pour cet auteur, l’ouvrage le plus récent qui fasse autorité sur le Cap et ses habitants reste la Description du Cap de Bonne-Espérance de Peter Kolb. Bien que son auteur ait toujours été décrié au Cap et qu’elle consiste en une description de la colonie à la fin du dix-septième siècle, cette somme est loin d’avoir été éclipsée par l’ouvrage de La Caille. Chevalier de Jaucourt, « Hottentots (Les) » [in]L’Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des arts, des sciences et des métiers […], Paris, Libraires associés, 1765.
3. Conscients qu’ils ne peuvent déterminer quelle est la meilleure forme de gouvernement, quel est le système de lois le plus juste ou quelle est la société dans laquelle les hommes sont les plus heureux, s’ils ne fondent leurs observations que sur l’examen d’un nombre réduit de sociétés appartenant à la même aire géographique et s’ils excluent le reste du monde, les savants, les philosophes et les polygraphes, établissent désormais fréquemment des comparai-sons entre des sociétés appartenant à des aires géographiques différentes : l’Europe et l’Amé-rique ; l’Europe, l’Asie et l’Afrique ; l’Asie, l’Afrique et les Terres australes. Parce que ces auteurs puisent leurs informations dans un nombre réduit de sources et parce que les ouvrages qu’ils composent sont assez brefs, émerge en ce début du dernier tiers du dix-huitième siècle, une importante littérature dont les problématiques s’inscrivent aux confins de la géographie, de l’histoire, de la philosophie et de l’anthropologie. Dans cette abondante littérature, les na-tions sauvages, qu’il s’agisse des Cafres, des Hottentots, des Algonquins, des Hurons, des Abénakis, des Patagons, des Lapons ou des Samoyèdes sont d’abord et avant tout des exemples ayant pour fonction d’étayer ou de refuser une thèse ; ils s’inscrivent dans une visée argu-mentative. Leur fonction est quelquefois si illustrative que leur présence, dans des énumérations par exemple, n’est que purement rhétorique. Sur ce point : Jean-Michel Adam, « Aspects du récit en anthropologie » [in]Jean-Michel Adam, Marie-Jeanne Borel, Claude Calame et Mondher Kilani, Le Discours anthropologique. Description, narration, savoir, Lausanne, Payot, 1995, « Sciences humaines », p.243-254 et Mondher Kilani, « Décrire ou évoquer. Sur le mode de représentation en anthropologie » [in]L’Invention de l’autre. Essais sur le discours anthropologique, Lausanne, Payot, 1995, « Sciences humaines », p.27-39.
4. C’est de ce témoin anonyme que Cornélius De Pauw tient les informations suivantes relatives au tablier des Hottentotes. Que l’on considère la production viatique ou la littérature savante, c’est la première fois que le tablier des femmes hottentotes fait l’objet d’une description aussi circonstanciée : « Ce tablier, écrit De Pauw, dont on a exagéré la longueur et la forme est, dit-on, une membrane flottante qui pend depuis le bas de l’abdomen, et selon d’autres, depuis le nombril jusqu’à la moitié des cuisses ; et l’on ajoute que les Hottentots sont, à cause de cette défectuosité, contraints de procéder à la copulation comme les crapauds : mais il y a trop de voyageurs qui, en passant au Cap de Bonne-Espérance, y ont vu, dans la maison de correction, des Hottentotes faire ostentation de leur appas […], pour qu’on ne soit pas mieux instruits là-dessus de nos jours. Cet appendice n’est ni détaché, ni membraneux, ni aussi étendu qu’on l’a cru : c’est une excrescence calleuse, dure, et qui, loin de descendre sur les cuisses, ne recouvre que la moindre partie des organes de la génération, et ne gêne en rien les maris caffres dans leurs fonctions. » Cornélius De Pauw, Recherches philosophiques sur les Américains, Berlin, Decker, 1768-1769, 2 vol. Rééd. : Recherches philosophiques sur les Américains […]. Nouvelle édition augmentée d’une Dissertation critique par Dom Pernetty et de la Défense de l’auteur des Recherches contre cette Dissertation […], Berlin, Decker, 1770 et 1774, p.80-81.
5. « Leur commerce avec les Européens leur a porté un coup mortel, observe Cornélius De Pauw, comme si c’était la destinée de tous les peuples sauvages de s’éteindre, dès que les nations policées viennent se mêler et s’établir parmi eux […] » Cornélius De Pauw, Recherches philosophiques sur les Américains, op.cit., I, p.235-236. « Le mérite singulier de Cornélius De Pauw, écrit Michèle Duchet, c’est d’avoir compris que la « destruction des Indiens » n’était pas, ne pouvait pas être seulement un thème polémique, et de s’être interrogé sur la réalité qu’il recouvrait, dans toute l’étendue du monde sauvage : l’extrême fragilité d’un équilibre, qui s’est trouvé brusquement rompu par l’invasion des Européens. Il observe en effet que partout où ils ont porté leurs pas, on a vu diminuer dans les mêmes proportions le nombre des sauvages, et des tribus entières anéanties. » Michèle Duchet, « L’Idéologie coloniale » [in]Anthro-pologie et histoire au siècle des Lumières, op.cit., p.203. La dépopulation consécutive à cet ethnocide est pour De Pauw est une erreur dont les Européens n’ont pas mesuré l’importance. La dépopulation de l’Amérique a entraîné celle de l’Afrique ; pour remplacer les populations qu’ils avaient exterminées en Amérique, les colons ont dû dépeupler l’Afrique alors qu’une autre politique leur aurait permis de fonder et faire prospérer des comptoirs commerciaux autant sur le sol africain que sur le sol américain. Sur ce point : Cornélius De Pauw, Recherches philosophiques sur les Américains, op.cit., I, p. 99-100.
6. Ces deux voyageurs sont Gordon et Robert. De Gordon, Diderot apprend que contrairement à ce qu’ont affirmé plusieurs voyageurs, les femmes ne montrent pas aisément cette « curio-sité », que ce tablier ne « descend point du ventre, mais de la partie supérieure des parties natu-relles ; qu’il serait aisé de le prendre pour un clitoris exorbitant, quoiqu’il n’en fût rien ; que ce n’était que des nymphes très allongées qui pendaient sous la forme de la cravate d’un coq d’Inde, et que cette excroissance n’avait point d’érection. » De Robert, il apprend que les Hottentotes ne sont que « de fieffées gueuses que leurs maris prostituent pour un bout de tabac », que leur tablier ne serait qu' »une suite de grossesse, si l’on n’en remarquait pas des vestiges aux hommes » et que c’est « la peau du bas-ventre qui tombe sur le pubis. » Sur les deux l’un ment mais Diderot s’en préoccupe peu ; bien au contraire, il s’en amuse. Ces notes sur le tablier des Hottentotes sont extraites d’un passage plus important entièrement consacré aux Hottentots qui figure à la fin du Voyage en Hollande. C’est parce que Diderot tire l’essentiel de ses informations de Gordon, qui a réellement exploré les confins africains, que sa description est particulièrement riche. Mais comme nombre de ses textes, le Voyage en Hollande ne paraîtra qu’après sa mort. C’est de cette conversation avec Gordon et Robert que sa lettre adressée à Madame Necker et datée du 6 septembre 1774 se fait l’écho. Denis Diderot, Voyage en Hollande, Paris, Maspéro, 1982, « La Découverte ». Introduction d’Yves Bénot, p.134-135 et Correspondance, Paris, Editions de Minuit, 1955-1970. Edition établie par Georges Roth et Jean Varloot, vol.XIV, p.71-72.
7. « Les naturels de ce pays, écrit Voltaire dans la première édition de l’Essai sur les mœurs publiée à Genève par Cramer en 1756, ne ressemblent ni aux blancs, ni aux nègres ; tous de couleur d’olive foncée, tous ayant des crinsa. Les organes de la voix sont différents des nôtres ; ils forment un bégaiement et un gloussement qu’il est impossible aux autres hommes de d’imiter. Ces peuples n’étaient point anthropophages ; au contraire, leurs mœurs étaient douces et innocentes. Il est indubitable qu’ils n’avaient point poussé l’usage de la raison jusqu’à reconnaître un Être suprême. Ils étaient dans ce degré de stupidité qui admet une société informe, fondée sur les besoins communs. Le maître ès arts Pierre Kolb, qui a si long-temps voyagé parmi eux, est sûr que ces peuples descendent de Céthura, l’une des femmes d’Abraham, et qu’ils adorent un petit cerf-volant. On est fort peu instruit de leur théologie et quant à leur arbre généalogique, je ne sais si Pierre Kolb a eu de bons mémoiresb. » Les deux ajouts relatifs au tablier et à la couille unique des Hottentots figurent respectivement là où ont été placées les lettres a et b dans les éditions de 1761, de 1769 et de 1775 de l’Essai sur les mœurs. Voltaire, « Des Découvertes des Portugais » [in]Essai sur les mœurs et l’esprit des na-tions […], Genève, Cramer, 1761. Autres éditions : Genève, Cramer, 1769 et Genève, Cramer, 1775. Rééd. : Essai sur les mœurs, Paris, Bordas, 1990, « Classiques Garnier ». Edition de René Pomeau, vol.2, p.303-311. Cit. p.309.
8. Le journal et les lettres de Querhoent à Buffon sont demeurés manuscrits. Les lettres sont conservées dans le fonds des manuscrits du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris. Lettres du vicomte de Querhoent à Buffon et notes prises par Buffon d’après des lettres du vicomte écrites en 1773 et 1774, Muséum d’Histoire Naturelle, Paris, ms. 309. Georges-Louis Leclerc de Buffon, Histoire naturelle, générale et particulière […]. Nouvelle édition où l’on a réuni à leur article principal les additions qui dans les éditions précédentes se trouvent dispersées en différens volumes, Lausanne et Berne, Jean-Pierre Heubach et Nouvelle Société typographique, 1784-1786. « Tout un réseau de correspondants et de collaborateurs, écrit Michèle Duchet, fournit à l’auteur pendant les trente années qui séparent la rédaction des Variétés des Additions de 1777 la matière d’observations inédites : c’est Roume de Saint-Laurent, qui a un cabinet d’histoire naturelle à la Grenade, M. de la Nux, qui a vécu plus de cinquante ans à l’île de Bourbon, le vicomte de Querhoent, qui lui a communiqué le journal manuscrit de son voyage chez les Hottentots, Bruce, qui lui a envoyé des notes sur les Egyptiens et les nègres de Nubie, lord Gordon, qui lui écrit pour lui confirmer l’absence de « tablier » chez les femmes Hottentotes, Pagès, médecin du roi à Saint-Domingue, Sarrasin, médecin du roi à Québec, Laborde, médecin à Cayenne, une de sources de Buffon pour l’histoire naturelle de la Guyane, Domascheneff, dont il utilise un mémoire inédit, Commerson, enfin, auteur d’un mémoire sur un peuple nain de Madagascar. » Michèle Duchet, « L’Information » [in]Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, op.cit., p.116.
9. Sur ce point : Buffon, « Addition à l’article précédent » [in]Histoire naturelle, générale et particulière avec la description du Cabinet du roi […], Paris, Imprimerie royale, 1777, vol.IV. Buffon accordera un intérêt tout particulier aux notes de James Bruce qui explore l’Afrique entre 1768 et 1773 mais dont la relation ne paraîtra qu’en 1790. « Les nègres de la Nubie, m’a dit Bruce, écrit Buffon, ne s’étendent pas jusqu’à la mer Rouge ; toutes les côtes de cette mer sont habitées ou par les Arabes ou par leurs descendants. Dès le huitième degré de latitude Nord commence le peuple de Galles, divisé en plusieurs tribus, qui s’étendent peut-être de là jusqu’aux Hottentots, et ces peuples de Galles sont pour la plupart blancs. » Ibid., vol.IX, p.308. James Bruce, Voyage aux sources de Nil, en Nubie et en Abyssinie pendant les années 1768, 1769, 1770, 1771 et 1772, traduit de l’anglois par J. H. Castera, Londres, 1790.
10. Denis Diderot, « Des Primitifs : les Hottentots » [in]Abbé Guillaume-Thomas Raynal, His-toire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, Genève, Jean-Léonard Pellet, 1780, liv.2, chap.18, p.237.
11. Abbé Guillaume-Thomas Raynal, Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, Amsterdam, s.éd., 1770, liv.2, p.178. Le texte de l’édition de 1774, quelque peu différent, met l’accent sur l’ignorance, la barbarie et la férocité de leurs us et coutumes. Parce qu’il concilie, en juxtaposant les éléments constitutifs du portrait qu’il brosse, des représentations opposées, et qu’il donne à la fois à voir un être qui rappelle le Sauvage Hottentot de Thomas Herbert, Simon de La Loubère ou François Leguat en même temps qu’il donne à voir un être qui évoque le Bon Sauvage Hottentot de Kolb, Rousseau ou Prévost, Raynal livre un portrait qui est tout en contradictions : « La grande contrée qu’ on se proposoit de mettre en valeur, lit-on, étoit habitée par les hottentots, peuples pasteurs, qui ne connoissoient de bien que leurs troupeaux et leur liberté ; peuples simples, à qui la nature avoit donné des mœurs assez douces, la superstition inspiré des coutumes atroces, et l’ ignorance laissé des usages barbares dont on ne connoissoit pas l’ origine. Ils étoient comme tous les peuples pasteurs […]. » Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, Amsterdam, s.éd., 1774. Rééd. : La Haye, Gosse Fils, 1776, liv.2, p.178.
12. « La vie indépendante et oisive qu’ils menent dans leurs déserts a pour eux des charmes inexprimables, écrit Raynal : rien ne peut les en détacher. Un d’eux fut pris au berceau : on l’éleva dans nos mœurs et dans notre croyance. Ses progrès répondirent aux soins de son éducation. Il fut envoyé aux Indes, et utilement employé dans le commerce. Les circonstances l’ ayant ramené dans sa patrie, il alla visiter ses parents dans leur cabane. La simplicité de ce qu’ il voyoit le frappa. Il se couvrit d’une peau de brebis, et alla reporter au fort ses habits européens. Je viens, dit-il au gouverneur, renoncer pour toujours au genre de vie que vous m’aviez fait embrasser. Ma résolution est de suivre jusqu’ à la mort la religion et les usages de mes ancêtres. je garderai pour l’ amour de vous le collier et l’ épée que vous m’ avez donnés : trouvez bon que j’ abandonne tout le reste . Il n’attendit point de réponse: il se déroba par la fuite, et on ne le revit jamais. » Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, op.cit., p.180-181.
13. Comme l’a mis en évidence de manière convaincante Hans Wolpe, l’Histoire des deux Indes est une « machine de guerre » dirigée contre les abus perpétrés par les Européens de par le Monde plus que dans les seules « deux Indes. » À la différence des collaborateurs de l’Encyclopédie, les collaborateurs de l’Histoire des deux Indes empruntent ses atours au roman. Raynal a beaucoup appris de Diderot. Lorsqu’il s’attelle à la rédaction de son monumental ouvrage, il désire fortement conquérir un public plus vaste et plus diversifié que celui qu’a su attirer l’Encyclopédie. Aussi est-ce la raison pour laquelle l’Histoire des deux Indes compte moins de volumes que l’Encyclopédie, que ces volumes ne sont pas des in-folio, mais surtout, que la part dévolue aux récits et aux anecdotes y est si importante et que le style y est si alerte. Sur la forme et les enjeux de l’Histoire des deux Indes : Michèle Duchet, « L’Idéologie coloniale » [in]Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, op.cit., p.170-177 ; Hans Wolpe, Une Machine de guerre : l’Histoire des deux Indes et ses perfectionnements, Stanford, Stanford University Press, 1957, « Language and Litterature » ; Abbé Guillaume-Thomas Raynal, Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, Paris, Claude Tchou, 2004, « Bibliothèque des Introuvables ». Édition établie et présentée par Gilles Bancarel, 5 vol.
///Article N° : 4035

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