Comment faire le courant d’air pour que l’Afrique continue à faire partie du monde ?

Entretien de Soeuf Elbadawi avec Sophie Ekoué

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L’idée nous vient de Sophie Ekoué. Journaliste, âgée d’une trentaine d’années, ancienne collaboratrice du magazine français Marie-Claire, de la radio télévision togolaise et de la station Africa n°1, elle donne rendez-vous cinq fois par semaine (depuis un an) aux auditeurs de Radio France Internationale pour leur parler de l’actualité culturelle africaine. Entretien avec une femme de conviction au regard lucide… ou comment analyser la place qui revient aux cultures du continent noir dans le paysage médiatique de l’Hexagone.

Le nom de votre émission sur RFI laisse perplexe. Comment faut-il le décrypter ?  » Cultures Africaines  » au sens large ou bien cultures africaines vues à travers la lucarne parisienne ? Est-ce que ça signifie par exemple que les sujets que vous traitez doivent entretenir obligatoirement un rapport avec la France ?
Pas du tout. L ‘histoire… la traite négrière a fait que l’Afrique a un prolongement dans le monde. Les Amériques sont africaines, les Caraïbes sont africaines, même la France est africaine. L’Afrique est partout où sont passés des Africains. Mon Afrique ou mes Afriques sont françaises, mondiales… mais demeurent avant tout africaines. Je ne regarde pas le continent noir du haut de la tour Eiffel ou du haut d’une tour d’ivoire. Je m’intéresse à tout ce qu’il y a de meilleur dans les cultures africaines.
Comment analysez-vous la place qui revient aux cultures africaines dans les médias français de manière générale ?
L’Afrique est absente du débat culturel en France et en Europe. L’Afrique connue par les français s’arrête aux portes du désert égyptien et ne dépasse pas les limites du Nil. Mais à qui la faute ? Doit-on attendre de la France une humanité et une reconnaissance de la civilisation africaine, elle qui a érigé une doctrine civilisationniste lors de ces différentes conquêtes coloniales ? L’Afrique dans le paysage médiatique français, c’est l’Ethiopie, le Rwanda, le Zaïre… au 20 h. Et la véritable Afrique qui crée, qui vit… c’est sur Arte ou sur France 3 à 1 h du matin entre deux polars pour insomniaques. Même la chaîne francophone TV5 ne joue pas ce rôle de vitrine des cultures africaines.
Et sur RFI ? Qu’est-ce qui change ?
Je suis ravie que R.F.I. m’ait confié cette mission, il y a un an, de parler de l’actualité culturelle africaine. Je dis mission et non émission, parce qu’il s’agit de restituer aux Africains du monde entier leur histoire, leur mémoire, à travers un présent en mouvement, en création. Cela correspond à une demande mais aussi à un nouvel état d’esprit, qui s’éloignent des relents du colonialisme. C’est sûr qu’une seule émission ne suffit pas pour parler de l’Afrique aux auditeurs. Il y a d’autres émissions (« Votre Magazine », « Archives d’Afrique », « Musiques du Monde »…) qui vont dans ce sens sur R.F.I. Maintenant, est-ce que cela suffit ? C’est aux auditeurs d’en juger…
Qu’est-ce que votre émission apporte dans la manière de traiter l’information culturelle africaine ? Qu’est-ce qui fait – dit de façon complètement basique – sa marque de fabrique ?
Je n’ai qu’un principe : donner la parole aux architectes des cultures, savantes et populaires, anonymes ou connues, sans discrimination. J’invite ceux qui étudient la cosmogonie dogon dans les universités à venir en parler, au même titre que je vais voir l’artiste récupérateur qui joue un rôle de salubrité publique dans sa ville à Manenga.
Une Togolaise parlant de choses qui lui sont proches et qui semblent minoritaires au plus grand nombre sur une radio française qui à l’ambition d’être mondiale… Est-ce qu’on ne risque pas de voir en vous une sorte de militante, à un moment où le débat sur l’afro-pessimisme paraît s’être complètement installé ?
J’ouvre la porte pour faire le courant d’air… de manière à ce que l’Afrique continue – sur le plan culturel, du moins – à faire partie du monde. J’essaie de raccrocher le wagon à la locomotive. Si c’est du militantisme… Oui ! Je fais du militantisme.
Et l’aspect critique ?
Je suis africaine, je parle de l’Afrique. Mais n’oublions pas que je suis journaliste avant tout.
Vous bénéficiez apparemment d’une double, voire d’une triple perspective… Paris, l’Afrique et le monde ? Vous avez une idée précise de ce que cet auditoire attend à chaque nouvelle émission ?
Il s’agit d’un auditoire pluriel. L’auditeur de « Cultures Africaines » est italien, nord-américain, sud-africain…. Et l’émission leur permet probablement de redécouvrir le Continent, hors des clichés habituels.
Apporter l’actualité culturelle africaine sur un plateau aux Parisiens est aussi une de vos missions. Est-ce une chose aisée ?
Contrairement à ce qu’on peut penser, l’Afrique a le vent en poupe à travers le monde. A Paris notamment. Les créations sont nombreuses autour de l’Afrique. Le but du jeu, c’est d’arriver à en retenir le meilleur. Et à le présenter sous son meilleur jour.
Parlons de la diaspora africaine en France… Vous êtes vous-même un membre de cette diaspora depuis quelques très longues années. Que leur apporte, selon vous, une telle émission ?
Une découverte et une re-découverte de leur culture ou de la culture de leurs parents ou ancêtres. L’Afrique a une histoire, une mémoire… Comme je disais plus haut, elle vit, elle crée… Cette vitalité est un terreau pour ceux qui sont loin de la racine et qui attendent de voir remonter la sève… qui continuera à tenir l’arbre debout. Donc cette diaspora a besoin quelque part de ce lien que crée l’émission « Cultures Africaines » avec le Continent.

Cultures Africaines passe tous les jours, du lundi au vendredi, sur RFI à 18h40 en temps universel. Rediffusion à 0h10 et à 4h10 T.U.. Sa durée est de 20 minutes. A Paris : 89 FM. ///Article N° : 405

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