Des festivals pour rapprocher les hommes

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Depuis le début des années 1980, les festivals de théâtre en Afrique francophone sont des vecteurs importants du développement de l’art dramatique, et du spectacle en général. Ils ont permis à des lieux de se pérenniser, à des techniciens de se former, à des équipes artistiques de disposer d’espaces de fabrication indépendants. Ils ont permis aux artistes d’évoluer hors de la main mise des États, leur ont ouvert une liberté de circulation sur le continent en développant les échanges. S’ils ont aussi produit des effets pervers, notamment dans la coupure avec un public local, les festivals de théâtre restent les pierres angulaires d’une  » économie  » et d’une géographie du spectacle vivant sur le continent africain.

En Afrique, le sens du mot  » théâtre  » est multiple et doit toujours être précisé, comme celui de  » festival « . La notion de théâtre s’entend différemment dans le monde francophone ou anglophone. Les francophones perçoivent le théâtre comme étant principalement le théâtre de textes alors que les anglophones nomment couramment  » théâtre  » toutes les représentations ayant lieu sur une scène. On retrouve cette analogie dans le mot  » théâtre  » pour désigner le lieu de spectacles, même si l’on y pratique la danse ou la musique. Cette confusion existe pour tous les  » théâtres nationaux  » qui sont principalement des  » ballets nationaux « .
La notion de festival est aussi complexe à définir sur ce continent que dans d’autres régions du monde, mais il prend ici une connotation particulière. Si l’on se réfère à la définition occidentale du terme, on peut affirmer que de nombreuses manifestations sont des festivals dans la mesure où elles proposent dans un temps donné (souvent assez court) une série concentrée de propositions artistiques et culturelles (autour d’un thème ou d’un art) auxquelles un large public va participer. Mais le vocable recouvre partout des réalités très différentes, voire n’est pas utilisé du tout. Le Marché des arts et du spectacle africain à Abidjan (MASA) refuse de se définir comme festival. Il correspond à la définition, mais se positionne avant tout comme un marché, destiné aux professionnels des arts du spectacle. Les moyens à disposition et la programmation en font néanmoins le plus grand festival des arts de la scène du continent (hors Afrique du Sud et avant les événements en Côte d’Ivoire). D’autres utilisent ce terme, mais on aurait bien du mal à faire coïncider la définition précitée avec ce qui s’y passe. Cela a peu d’importance et ne remet pas en cause la qualité des manifestations. Sur tout le continent, une manifestation culturelle se définit avant tout comme une célébration de la culture africaine dans son ensemble, même quand elle est dite nationale.
Ces questions liées aux notions de culture, de théâtre ou de festival sont essentielles pour mieux percevoir l’importance des manifestations théâtrales. Elles ont forgé une véritable dynamique de rencontres et de confrontation, quoi que l’on mette derrière les différents termes.
De l’importance de la langue
Pour que les productions théâtrales liées au texte existent et circulent, la majorité des auteurs et des acteurs de théâtre écrivent ou jouent dans les langues  » internationales  » (anglais, français, arabe, espagnol, portugais). La langue est fondamentale au théâtre car elle est le socle de construction du spectacle dont les bases sont imaginées par l’auteur, premier créateur. L’art dramatique, sous toutes ses formes, ne peut exister sans un échange  » verbal  » entre les acteurs et le public. Les professionnels revendiquent l’idée que la parole n’est pas le seul élément d’appréciation d’un spectacle. Cette réflexion est juste, mais comment percevoir l’intrigue, les relations entre les personnages, la situation, les références, si l’on ne peut entendre les mots ?
La compréhension du langage est d’autant plus déterminante sur un continent où la Parole est l’art premier, celui qui permet la transmission du savoir, de la connaissance, de l’information. Le public est un élément déterminant du spectacle de théâtre, surtout en Afrique où il participe aux joies comme aux peines et où il s’implique de façon significative.
Cette nécessité de compréhension du langage devient cruciale si l’on souhaite que le spectacle soit diffusé hors du continent. Les courroies de transmission avec l’Europe ou l’Amérique sont devenues au fil du temps des liens indispensables, car elles ouvrent des perspectives économiques sans commune mesure avec les moyens financiers à disposition sur place. Les zones linguistiques sont à cet égard déterminantes. Les francophones vont tisser des liens avec la France, la Belgique, la Suisse ou le Canada. Les anglophones avec l’Angleterre ou les États-Unis, etc.….
Cette énumération, pour évidente qu’elle puisse paraître, doit pourtant être clairement posée car elle conditionne les réseaux de fonctionnement, de diffusion, de programmation et de financement. Les Européens de langue française connaissent peu, par exemple, le théâtre des zones anglophones d’Afrique. Pourtant, il est important au Nigeria comme en Afrique du Sud où le S.A. Handbook on Arts & culture 2002 recence près de 45 festivals, dont le Young Writers Festival du Market Theatre de Johannesburg, dédié à l’écriture contemporaine. Le National Arts Festival de Grahamstown dans l’Eastern Cape est une des plus grandes vitrines de la création africaine et internationale du continent. Il est pluridisciplinaire et propose un  » off  » (fringe) important, réalisé en collaboration avec le Fringe d’Edinburgh en Ecosse.
Les réseaux du théâtre en Afrique, comme en Europe, sont avant tout construits dans les zones linguistiques. Il n’est pas anodin que le festival des Francophonies théâtrales en Limousin soit une des premières portes d’entrée des productions africaines en Europe francophone.
Des lieux privés en plein essor
Sur tout le continent, le public est avide de spectacles vivants. Le plaisir du partage est évident et toutes les formes sont reçues comme des occasions d’échanges et de rencontres. Malgré cette  » demande  » très forte, l’offre est peu importante. Elle peut manquer de qualité artistique, mais jamais de qualité  » sociale « . Chaque manifestation est un événement où se côtoient les différentes classes qui composent la société locale. Cette remarque trouve toute sa justesse dans les petites agglomérations ou dans les campagnes. Dans les grands centres urbains, même si l’on retrouve cette dynamique à l’échelle des quartiers, les choses sont différentes. Les palais des congrès ou les  » Maisons du peuple « , construites par les Européens ou les Asiatiques, permettent l’organisation de grands concerts et d’importantes manifestations populaires. Le théâtre et la danse contemporaine se produisent en majorité dans les centres culturels étrangers qui sont équipés assez correctement en termes techniques (Ouagadougou ou Cotonou).
Depuis les années 1980, des compagnies ont créé leurs propres espaces. Ils disposent de grands plateaux, de régie, de loges, ou mêmes de  » cases de passage  » pour loger plusieurs dizaines d’artistes. Ces nouveaux lieux ont ouvert la voie à de très nombreuses manifestations théâtrales. Ils sont le socle qui permet l’indépendance. On peut y répéter, construire les décors, organiser des formations, jouer, accueillir d’autres troupes, louer la salle, percevoir des recettes annexes (avec le bar ou la restauration) et surtout ne plus être inféodé aux centres culturels étrangers ou structures gouvernementales. C’est le cas des salles de l’Atelier Théâtre Burkinabé de Prosper Kompaore ou du Théâtre de la Fraternité de Jean-Pierre Guingané à Ouagadougou (Burkina Faso), ou des jardins Moto Na Moto de l’écurie Maloba et la salle de Ndjili du Théâtre des Intrigants à Kinshasa (RDC), ou encore celui de l’espace Yaro de Pierre Claver Mabalia à Pointe-Noire (Congo Brazza).
C’est dans ce type de lieux que les festivals naissent et prennent leur essor. Leurs directeurs sont auteurs, metteurs en scène ou comédiens, et multiplient activités et sources de financement pour les faire vivre. Ces lieux et ces festivals ont permis de s’ouvrir vers d’autres pays, de monter des échanges interrégionaux, de trouver des financements et de se faire connaître dans le milieu théâtral international.
Hormis le MASA à Abidjan et le FITHEB à Cotonou, tous les festivals de théâtre sont organisés par des indépendants. Les gouvernements ont modifié leurs manières de faire et préfèrent désormais favoriser l’initiative privée. Même si les soutiens financiers étatiques sont maigres, voire quasi inexistants, cette nouvelle liberté a permis aux artistes de prendre en main leur destinée. Des contacts plus fructueux se sont noués avec les structures occidentales. Les réseaux interafricains fonctionnent de compagnie à compagnie et de personne à personne.
Ces nouveaux lieux ont modifié la réalité du théâtre en Afrique. Dans les centres culturels étrangers, ce sont principalement les expatriés, les intellectuels ou les professionnels locaux qui assistent aux spectacles. Les créations touchent alors un public plus familier des codes d’un théâtre classique, très attentif, mais pas toujours réceptif aux messages ou à la situation proposée. À l’inverse, tous les nouveaux lieux sont installés dans des quartiers populaires. Les enfants, les familles, les amis, les gens du coin s’y déplacent pour passer la soirée ensemble. Ce phénomène a fait évoluer les propositions artistiques. De plus en plus de spectacles sont joués en langues locales. Les références sont communes et les sujets abordés traitent de la politique, des affaires du moment, de l’histoire du pays. Les thématiques des pièces se rapprochent des préoccupations des populations, et par là même, deviennent de plus en plus universelles.
Des productions africaines ?
Les traditions française ou belge de subventionnement du spectacle vivant se retrouvent dans l’espace francophone africain. Au Sénégal ou en RDC, il existe des théâtres nationaux composés de ballets et d’une section d’art dramatique. Les ballets, souvent traditionnels, trouvent à se produire et s’exportent. Les troupes de théâtre ont plus de difficultés car elles n’ont aucun moyen de production, même si les acteurs sont rémunérés (plus ou moins mensuellement). Quelques pays, comme le Mali ou la Côte d’Ivoire, ont mis en place des fonds d’aide à la création, mais les sommes dégagées sont souvent minimes ou soumises aux aléas de la situation géopolitique.
Les compagnies vivent les mêmes problèmes que leurs homologues des jeunes compagnies européennes : très peu de moyens, aucune certitude de retour financier, peu de ressources propres, des salaires dérisoires. Replacées dans le contexte africain, ces difficultés obligent les artistes à faire preuve d’abnégation et d’ingéniosité pour mener à bien leurs créations. Les seules productions bénéficiant de moyens sont celles montées en coproduction avec des metteurs en scène ou des troupes occidentales. Ce type de projets est encouragé par certains bailleurs de fonds. Par exemple, la Commission internationale du théâtre francophone (CITF), qui a le mérite de compter parmi les rares organismes apportant des crédits à la production théâtrale, conditionne son soutien financier à la participation d’artistes d’au moins trois pays. Cette politique pousse les compagnies africaines à coproduire avec les pays du Nord, pour bénéficier d’apports de financements.
Les règles de financement sont certainement justifiées, mais on entre là dans un système contradictoire : monter une production internationale est une des seules voies pour trouver des moyens financiers, quand bien même cette coproduction coûterait beaucoup plus cher qu’une production nationale. Cette contradiction économique se retrouve bien évidemment en termes artistiques. L’influence des producteurs et des artistes qui les représentent va entraîner les créateurs, volontairement ou non, vers des formes adaptables au contexte occidental. Cette direction sera d’autant plus privilégiée que le spectacle tournera en Europe.
Après tout, pourquoi pas ? Mais alors, pourquoi s’étonner que les artistes formés dans un contexte occidental s’éloignent de leur public et décident d’exercer leur métier en Europe ? C’est une des raisons pour laquelle les festivals en Afrique sont les fers de lance d’une dynamique qui peut permettre au théâtre africain de rester proche de son public originel. Ils offrent un accès aux productions théâtrales pour les populations africaines, et l’image d’une culture  » démocratisée « . Parce que le théâtre est aussi un loisir, les festivals participent à l’animation des cités et des villes. Il existe naturellement une interaction entre le festival et son territoire, la ville, le pays ou la région.
Retombées économiques et… critiques
Dans ce contexte de pauvreté de moyens pour la création, les festivals vont avoir aussi un rôle capital économiquement. Événementiels, ils peuvent être médiatisés et offrent une vitrine internationale aux pays d’accueil. Ils sont une source de revenus pour l’économie locale, grâce aux subventions des organisations internationales (Agence intergouvernementale de la francophonie, délégations européennes, organisations interafricaines), des représentations diplomatiques ou fondations étrangères (France, Belgique, Suisse, Pays Bas, Allemagne…) et des organisations non gouvernementales. Mais aussi, parce que les deux tiers des dépenses des festivals sont liés aux transports internationaux, à l’hébergement, à la restauration et à la logistique.
De plus, ils constituent le seul marché de diffusion des productions théâtrales en Afrique en l’absence de réelle programmation régulière. Sur une année moyenne, ils présentent environ 400 spectacles de théâtre, soit au total plus de 3000 représentations théâtrales. Pour autant, l’impact grandissant du  » marché  » de l’offre et de la demande théâtrale ne doit pas faire oublier l’absolue nécessité d’un  » marché  » local ou national du théâtre, plus permanent. Un  » marché  » du théâtre africain dépendant principalement de l’aide internationale est source de fragilité et de vulnérabilité, liées à l’arbitraire de décisions non maîtrisables. La recherche d’une relative autonomie reste nécessaire et certains s’attellent à cette tâche, comme le festival de conte Yeleen de Bobo Dioulasso au Burkina Faso.
Les festivals de l’espace francophone, contrairement aux anglophones, s’inscrivent tous dans une logique de  » service public  » et d’amateurs (ceux qui aiment), mais rarement dans une logique économique. La gestion et l’organisation qui en découlent restent peu rigoureuses et il est difficile d’appréhender leur économie. Néanmoins, les règles de financements des structures internationales (entre autres celles de l’AIF) obligent à signer des contrats avec les troupes. Les cachets sont certes peu élevés, mais il n’en reste pas moins que cette somme existe et sera partagée entre la structure et ses participants. Ainsi, les artistes africains ne sont plus seulement rémunérés lorsqu’ils tournent en Europe, mais aussi en Afrique. Paradoxalement, ils sont plus souvent rémunérés en tournée que pour les représentations dans leur propre pays !
L’existence même des festivals constitue une demande certaine ou potentielle de productions théâtrales. Pour y répondre, les productions doivent s’inscrire dans une échéance. Les dates des festivals sont fixes et sont, a priori, respectées. Cette réalité contraint les troupes à plus d’exigence dans la gestion du temps et à présenter un  » produit  » de qualité, pour revenir de nouveau. La présence du public et des professionnels venus d’autres pays d’Afrique est aussi une manière de se confronter à la critique. Les différentes actions de formation organisées par les festivals ont eu des conséquences sur les métiers et la professionnalisation. La production du théâtre est ainsi directement influencée par les festivals, en interne ou en externe. En étant à la fois des lieux et des moments de confrontation des spectacles aux publics, les festivals permettent aux artistes d’accroître leurs pratiques et d’améliorer ainsi leur propre répertoire.
Pourvoyeurs de tournées, de déplacements, de coproduction, entre Africains et plus seulement avec les structures du Nord, ils facilitent les contacts entre directeurs de festivals, metteurs en scène, directeurs de troupes et compagnies et favorisent l’émergence de réseaux d’échanges et de complicité. Des affinités se sont créées lors d’échanges directs, ce qui est la base de la construction de nouveaux projets.
Mais ne faut-il pas prendre garde à ce que le théâtre ne trouve son économie et ses conditions de production que dans les festivals, au caractère plus qu’éphémère, plutôt que dans une activité régulière inscrite sur un territoire ? Quel est le risque de voir  » fleurir  » les festivals où les troupes y trouveraient les moyens de leurs productions ? Les programmations sont souvent faites à la va-vite et sans véritables choix artistiques, ce qui nuit fortement à l’image de ces rassemblements et à la crédibilité du théâtre africain. De plus, l’aide à la production dans le cadre d’échanges internationaux ne prive-t-elle pas les publics locaux de spectacles montés chez eux, présentés une à deux fois avant de partir en tournée ?
Il faudrait pour cela qu’une filière nationale existe, ce qui n’est jamais le cas ! Le problème des publics est récurrent et devrait véritablement poser question aux directeurs de festivals. Les organisations internationales et les différents partenaires financiers auraient aussi tout intérêt à réfléchir ensemble à la mise en place d’outils de soutien (information, formation, fonds relais de trésorerie, etc.) qui permettraient une véritable construction sur le long terme. Il devient impératif de modifier cette logique au projet, au coup par coup, ces financements ciblés qui ne prennent jamais en compte les frais de fonctionnement. Il y a nécessité d’accompagner les pratiques par des outils législatifs, des lieux de réflexion et, par-dessus tout, par une véritable capitalisation des acquis. Les compétences des hommes de spectacle vivant des pays d’Afrique francophone sont visiblement inconnues des gouvernements nationaux.
Les échanges artistiques se sont multipliés à la faveur du développement des festivals. Ils entretiennent une certaine pérennité des troupes nécessaire à la transmission des acquis et à la création d’une mémoire collective. Même si de grands progrès restent à faire en termes de compétences, ils obligent à mettre en place une organisation, des équipes techniques et d’accueil, une gestion des moyens financiers et administratifs, qui auront des effets à moyen terme sur le fonctionnement et la professionnalisation des métiers du secteur. Ce sont quelques-uns des points forts de l’impact des festivals qui marquent la nette évolution du théâtre africain de ces vingt dernières années.
Demain, l’Afrique ?
Pourtant, peu de spectacles ont eu de grands succès à la sortie des festivals de théâtre africain, que ce soit sur le continent ou hors continent. Ce manque de succès est-il dû à la qualité des spectacles, à un manque de connexion avec le public local, à une organisation ou une programmation chaotiques, ou encore à une lassitude à l’égard d’un certain théâtre africain ? La question reste posée.
Malgré le foisonnement des festivals (plus de 50 à vocation internationale), le théâtre africain demeure globalement inconnu dans les réseaux internationaux de diffusion. Il reste cantonné dans les manifestations européennes spécialisées. Les œuvres théâtrales, les textes, les techniques du théâtre africain sont méconnus au niveau des universités et des écoles, aussi bien en Afrique qu’ailleurs. Et si quelques rares comédiens africains obtiennent une reconnaissance, les metteurs en scène africains de renommée internationale semblent inexistants.
Pourtant, aujourd’hui, les artistes vont de festivals en festivals, se connaissent, parlent et réfléchissent sur leurs pratiques, s’organisent en réseaux, s’échangent leurs spectacles, leurs techniciens. Des opérateurs privés (organisateurs, producteurs, tourneurs) commencent à se faire connaître et à travailler après avoir acquis les compétences nécessaires par la formation, le compagnonnage ou la pratique. Les techniciens de scène (lumière ou son), formés en majeure partie lors des stages des premières éditions du MASA d’Abidjan, maîtrisent les technologies, savent diriger des équipes techniques, créer des lumières ou sonoriser les groupes de musiques. Bien évidemment, les festivals ne sont pas les seuls éléments qui ont permis aux différents acteurs du théâtre de franchir une marche importante vers le professionnalisme, mais ils sont un des maillons déterminants de la chaîne.
Sur les 40 festivals à vocation internationale que nous avons répertoriés en 2003 dans une étude réalisée pour l’Union européenne *, combien subsisteront dans les prochaines années ? La situation géopolitique est toujours très instable. La Côte d’Ivoire donne un aperçu de cette fragilité permanente. La richesse du pays ou la démocratie ne sont pas les garants d’une stabilité des peuples et des sociétés. Les réalités économiques (le poids de la dette, la pauvreté des populations, etc.) sont difficiles au quotidien, les situations de guerre encore trop nombreuses.
Malgré cela, de nombreux festivals perdurent. Quand la situation se dégrade, on repousse la manifestation à une autre année. Certaines se déroulent quand même, comme les JOUCOTEJ à Kinshasa qui a réalisé son édition au moment de l’entrée des troupes de Kabila dans la ville. Faire du théâtre en Afrique n’est pas simple, y organiser des festivals non plus. Pourtant, la passion des hommes de théâtre reste intacte malgré les difficultés. On assiste même à une floraison de nouvelles manifestations. Pas moins de quinze festivals vivaient en 2003 leur première ou seconde édition. Les lieux de spectacles indépendants se multiplient et de nouveaux professionnels compétents ont réussi à installer et à asseoir sur le long terme des manifestations de qualité.
En Afrique francophone, les festivals, les lieux gérés par des troupes ainsi que les réseaux des établissements culturels français, allemands, ou belges permettent la diffusion du théâtre : il évolue dans un circuit non marchand face à des publics locaux plus ou moins attentifs. L’impact des festivals sur la diffusion locale et continentale est majeur, pour un public local (généralement présent mais non fidélisé dans la durée) et pour un public professionnel du continent qui s’autoalimente. La  » sanction  » du grand public est donc rarement sollicitée dans le processus de diffusion, alors que le public devrait être au cœur des préoccupations de la filière.
Que ce soit en termes de dramaturgie, de production ou d’organisation, le théâtre africain entre néanmoins dans les réseaux internationaux du théâtre. Il lui faut encore trouver une place singulière et surtout se dégager de la mauvaise image que donnent les responsables politiques du continent. Sony Labou Tansi préconisait de  » donner du souffle au temps et de polariser l’espace « . Les hommes de théâtre du monde entier doivent aussi accepter les nouvelles propositions africaines telles qu’elles sont, et non telles qu’ils souhaiteraient qu’elles soient.  » Je ne suis pas à développer, mais à prendre ou à laisser « , nous disait encore le grand dramaturge congolais…

Note
* Les festivals de théâtre en Afrique sub-saharienne, rapport rédigé par Bruno Airaud, François Campana et Vincent Koala, disponible sur le site www.kyrnea.com
Maître de conférence associé à l’Institut d’études théâtrales de Paris III-Censier la Sorbonne Nouvelle, François Campana est également directeur de l’association KYRNEA International et expert auprès de l’Agence intergouvernementale de la francophonie.///Article N° : 4118

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