Nassima, l’inspiration soufie

Entretien d'Amal Berrahma avec la chanteuse algérienne Nassima

Paris, le 29 mars 2006
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Nassima, de son vrai nom Nacéra Chabane, a fait découvrir, en exclusivité, son dernier album  » Voie soufie, voix d’amour « , au Théâtre de la ville à Paris. Il permet de connaître les œuvres magnifiques de grands poètes soufis. Rencontre avec une femme remarquable.

Quelle est votre impression sur la diversité du public que vous avez en France ?
Quand je suis arrivée d’Algérie, je pensais retrouver essentiellement un public maghrébin, mais j’ai été agréablement surprise de trouver un public occidental non négligeable. Les Occidentaux sont ouverts et aiment les musiques savantes, ils encouragent continuellement la création. De plus, je ne peux qu’être reconnaissante vis-à-vis du Théâtre de la ville de Paris – scène prestigieuse – qui m’a accueilli pour la troisième fois. Le public de la communauté maghrébine, quant à lui, me replonge dans mes racines, j’aime entendre les youyous.
Comment a mûri cette idée de création que l’on retrouve dans votre album ? Quelles ont été vos inspirations ?
J’ai toujours chanté la paix et l’amour mais je n’avais jamais eu l’idée de faire un album sur ce thème. C’est le  » livre international pour la paix  » (l’ouvrage contient 153 pages de témoignages de Paix de personnalités internationales connues) qui m’a insufflé cette idée, j’ai été impressionnée de rencontrer des artistes de différents horizons oeuvrant pour la paix. J’ai eu envie d’apporter ma contribution. Il m’a fallu trouver un lien entre ce thème et ma musique, j’ai donc tout naturellement pensé aux grands poètes soufis qui véhiculent des valeurs universelles depuis des siècles. Le soufisme rompt les barrières entre les diverses confessions. Pour réaliser cet album, il m’a fallu entreprendre de nombreuses recherches. D’ailleurs, concernant Abdel Kader, je ne connaissais pas le poète et le soufi qu’il était. Or, il jouissait d’une très vaste culture, et il était ouvert au monde, et passionné des manuscrits rares. Ces poèmes n’avaient jamais été chantés auparavant.
Parlez-nous de ces penseurs-poètes.
Parmi les plus grands penseurs, nous connaissons Ibn Arabi, soufi du 13e siècle, ainsi que Sidi Abou Mediène, du 12e siècle, le saint patron de la ville de Tlemcen (à l’Ouest de l’Algérie). Ibn Arabi (appelé  » cheikh el akbar « ) respectait beaucoup la voie d’Abou Mediane. L’émir Abel Kader qui est beaucoup plus contemporain avait pour maître spirituel Ibn Arabi, au point de choisir la ville de Damas pour exil. Dans son poème  » Je suis l’Amour « , il reprend la même idée que son maître spirituel, à savoir que les soufis célèbrent la présence divine dans le monde sans exclusivité et dans toutes les formes d’adoration. C’est pour cela que j’ai souhaité les réunir dans ce même album. S’ils étaient vivants aujourd’hui, ils en seraient sûrement ravis. Enfin, je tiens à signaler qu’il a été difficile de choisir entre tous ces poèmes, mais il a bien fallu faire un choix !
Quels ont été vos maîtres dans la musique arabo-andalouse ?
J’ai commencé à chanter dès l’âge de 7 ans ! Je suis d’abord passée par le conservatoire, et j’ai rejoint la doyenne el Widadiya pour avoir une formation andalouse dans la plus pure tradition algéroise. Ce répertoire savant se transmet de maître à disciple, et j’ai eu de la chance d’apprendre avec les plus grands comme Dahman Ben Achour, El Hadj Medjbeur ou encore Sadek Bedjaoui. Mes maîtres étaient conscients du fait qu’aucune femme n’avait chanté la nouba avant 1978, ils m’ont formé pour avoir cette maîtrise. Ils m’ont pris sérieusement en charge. De plus, j’ai eu la chance d’avoir un entourage très compréhensif. En 1979, j’ai enregistré des anthologies complètes pour la télévision algérienne, après cela, j’ai fait plusieurs tournées et j’ai chanté dans différents pays arabes, d’Europe et d’Asie jusqu’en Corée du nord…
Et la nouba ?
La nouba est un programme de concert qui représente une suite classique qui va crescendo et dure environ une heure. Les poèmes, dont les thèmes sont souvent l’amour (divin ou profane), la nature, sont chantés soit en langue classique (Muwashshah) soit en langue semi-classique (Zadjal). Dans la tradition, la nouba n’est pas écrite, seulement enseignée de génération à génération. Concernant la nouba Zidane, j’ai été la première à la chanter du début à la fin, entourée de l’orchestre symphonique d’Alger. C’était la première fois qu’une nouba traditionnelle était écrite et harmonisée. Le succès a été immense. Même la Reine d’Angleterre nous a félicités lors d’un concert. J’ai aussi appris à jouer du mandole (instrument typiquement algérien inventé par El Hadj Mohamed el Anka) qui était réservé exclusivement aux hommes. Mon maître Dahmen Ben Achour jouait toujours de cet instrument, et comme j’ai une voix qui porte, il m’avait incité à l’utiliser. Depuis, je ne le quitte plus.
L’idée d’associer la musique arabo-andalouse à des paroles soufis est-elle nouvelle ?
Oui, c’est une création. Je me suis inspiré des modes arabo-andalous et de la musique médiévale. Dans l’album, j’ai revisité six siècles de poésies soufis, tout en ajoutant des arrangements modernes. Parmi ces poèmes, je cite notamment  » vision de l’aimée  » de Cheikh Ahmed el Alaoui de Mostaganem et,  » Paix  » de Cheikh Khaled Bentounès qui est de la même ville. Tous deux sont des personnalités du XXe siècle, j’ai voulu montrer qu’il existe encore des gens qui transmettent un héritage soufi.
Quel message avez-vous voulu transmettre ?
En tant que femme et mère algérienne, je voulais exprimer un message d’amour universel et de fraternité. Moi qui venais d’Algérie, je désirais lancer un message de respect et d’ouverture à l’autre.
Qui vous a aidé à réaliser cet album ?
J’ai eu la chance d’être entourée de grands spécialistes tels que Eric Joffroy, professeur d’arabe et d’islamologie. Spécialiste du soufisme, il dit d’ailleurs que :  » le soufisme est le cœur vivant de l’Islam « . Cheikh Khaled Bentounès m’a également beaucoup éclairé sur les textes de la confrérie alawiya. Le professeur Hamdan Hadjadji, docteur ès lettres en langue et littérature arabe s’est occupé de la traduction des textes. Un travail particulièrement minutieux ! Sans oublier les musiciens qui ont collaboré avec moi.
Vous êtes née à Blida.
Oh ! Blida…. (Grand sourire),  » Blida  » signifie  » petite ville « , on la nomme également la  » ville des roses « . Elle fut fondée au XVIème par les populations andalouses fuyant l’Espagne après la chute de Grenade ; ces nouveaux habitants étaient sensibles aux arts et métiers, et à la culture. Ils s’intéressaient également à l’agriculture. Ils ont beaucoup apporté à cette ville. Un savant andalou a choisi cette cité pour y installer sa retraite en 1519, c’était Sidi Ahmed el Kebir, qui est aujourd’hui le saint patron de Blida. Il a choisi cette région qui lui rappelait sans doute l’Andalousie avec ses montagnes et plaines verdoyantes, ses sources d’eau, et la mer très proche.
Que vous évoque l’Andalousie ?
Je reste fasciné par cette Andalousie de jadis où les trois religions monothéistes vivaient en parfaite harmonie. C’est ainsi qu’une civilisation se développe et s’enrichit ! C’est pour moi un message intemporel, un exemple à suivre.
Justement, vous attachez énormément d’importance à la paix. Comment pensez-vous que l’on puisse contribuer à promouvoir la paix dans le monde d’aujourd’hui ?
La paix est la responsabilité de chacun. Toute personne doit œuvrer de son côté. La paix – qui est un des noms divins – s’enracine profondément en nous grâce à la connaissance, la gnose et l’amour. Si on aime Dieu, on doit respecter toutes ces créatures que ce soient les êtres humains, les animaux ou la nature…
Et quel est le message de l’Islam par rapport à cela ?
L’islam vient du mot  » Salam  » qui signifie paix, fraternité. Dans le Coran, tous les prophètes sont cités (Jésus, Moise, Abraham, Marie…). J’ai grandi dans la religion de l’amour et du respect. A ce sujet, l’émir Abd El Kader dit :
 » Celui qui veut lire le Coran ou saisir sa lumière,
Celui qui veut une Torah ou un Evangile,
Ou qui veut des psaumes et un discours clair,
Celui qui veut une mosquée où prier avec ferveur son seigneur,
Ou qui veut une synagogue, un clocher et un crucifix,
Celui qui veut la Kaaba pour embrasser sa pierre,
Ou qui veut des fétiches ou qui veut des idoles.
Celui qui veut une retraite pour s’y isoler,
ou qui veut une taverne et courtiser les belles,
il y a en  » Moi  » ce qui était et ce qui est.
En nous, en vérité, gît le signe et la preuve. « 
Combien de temps après votre arrivée en France en 1994 êtes-vous retournée en Algérie ?
Je suis rentrée en 2003 après 10 ans d’absence, et j’ai donné un grand concert où j’ai pu renouer avec mon pays et mon public. C’était très émouvant ! Toute la presse était là. Les youyous fusaient de tous les coins de la salle, je me suis vraiment ressourcée. Je suis toujours heureuse de chanter et d’apporter de la joie, de l’amour, du bonheur… C’est le meilleur cadeau que je puisse offrir à mon public.
Vous prévoyez de faire des concerts en Algérie prochainement ?
Je compte y retourner bientôt, je souhaiterais chanter ce répertoire, que mon public algérien découvre ce que je fais. J’aimerais qu’on ne soit pas oublié là-bas, c’est vrai qu’on est reconnu à l’étranger, mais un enfant recherche toujours la reconnaissance de ses parents… l’Algérie enfante le beau !
Pour finir, vous êtes resplendissante, quel est votre secret de beauté ?
L’hygiène de vie avant tout, sinon j’essaye de manger le plus sainement possible. Et c’est peut-être la musique et le chant qui me nourrissent intérieurement, et m’apportent sérénité et équilibre !

///Article N° : 4388

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