Et si tous les « indésirables » quittaient la France ?

Le refus des regards discriminatoires et des oublieuses mémoires
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1er mai 2006, « journée sans immigrants » aux États-Unis. 10 mai 2006, première commémoration française de l’abolition de l’esclavage. De quelques idées à essaimer au sujet d’un nécessaire travail d’exhumation de mémoire et de déconstruction des stéréotypes. En jeu, la maturation d’un vivre ensemble dans le respect de la diversité et le refus d’une histoire amnésique.

1er mai 2006, journée de boycott et de protestation des immigrants aux États-Unis. Troisième vague de manifestations du genre depuis le début de l’année. Un modèle d’action collective à s’approprier et à adapter aux réalités de la société française ? De quoi inspirer, en France, les personnes victimes d’une exclusion sociale fondée sur une discrimination au faciès, ou associée à d’autres identifiants qui font d’elles, pour certains, d’irréductibles « étrangers » ? De quoi inspirer les personnes soumises à la violence symbolique des discours de stigmatisation, d’infériorisation et de « disqualification collective » – qui débouche parfois sur de la violence physique ?
« La France, vous l’aimez ou vous la quittez », il nous est dit. En réponse à cette injonction injurieuse, poussons l’absurde à ses limites : rendons visible cet hypothétique départ. Que tous les « indésirables » qui pourraient, sur l’argument de la différence ethnoculturelle, s’entendre dire « rentre chez toi ! », que tous ces « indésirables » « quittent » la France une journée. En masse.
Créer un choc
Créons ainsi un choc inspiré de cette « journée sans immigrants » qui, alors que le Congrès américain travaille actuellement sur une réforme et un durcissement des lois sur l’immigration, invitait le 1er mai les immigrés, réguliers et sans-papiers, à boycotter travail, consommation et établissements scolaires, pour montrer leur présence et leur poids dans l’économie.
Ensemble, en paix, en force, créons un choc avec un scénario de départ imaginaire de tous ces « indésirables ». Et demandons alors à la France d’envisager ce qu’elle deviendrait si ce vaste départ collectif devenait réalité. Rappelons, à l’occasion, que ces « indésirables » sont aussi bien des immigrés que des descendants d’immigrés ou d’esclaves déportés n’ayant comme pays de nationalité que la France.
Qu’à leur manière, se joignent à cette action collective tous ceux à qui font honte ces représentations, discours et pratiques discriminatoires, scandaleusement entretenus avec diligence par certains hommes politiques. Que chacun mette en œuvre, seul ou en groupe, des modes de lutte contre le fléau déplorable que constitue le regard, la parole ou le geste qui discrimine et exclut.
Que tout en menant un travail autocritique, ceux qui possèdent une voix médiatique – tout particulièrement en liaison avec le « grand public » – en fassent usage pour en appeler à une plus grande civilité et tenter de générer une maturation des consciences. Maturation en cette France qui fait honte, France où, selon un récent sondage, une personne sur trois se dit ouvertement raciste.
Que partout s’engrangent, dans des espaces de visibilité publique, des initiatives où l’on accorde « une voix aux sans-voix ». Pour que s’y racontent, de l’intérieur, la souffrance et le mal-être que peut engendrer, chez l’adulte comme chez l’enfant ou l’adolescent, la violence symbolique de ces regards, discours et pratiques discriminatoires – à laquelle vient se joindre la menace d’une violence physique, dont la version ultime est le meurtre.
Que ces invitations à se mettre « dans la peau d’un discriminé » fassent comprendre à tous combien l’imposition de stéréotypes caractérisés par des logiques de domination, d’exclusion et de dévalorisation produit, immanquablement, une insécurité existentielle, qui alimente parfois la tentation d’un « repli identitaire » protecteur, injustement interprété par certains comme l’expression d’un refus d’inclusion sociétale. Que la prise en compte de cette réalité fasse comprendre également, à l’occasion, combien l’insécurité et la violence dont on incrimine les banlieues, sont, avant tout, la résultante d’une insécurité et d’une violence subies, au faciès.
Exhumer la mémoire et les stéréotypes
Refusons, conjointement, de refouler des pans entiers d’une douloureuse mémoire liée au passé esclavagiste et colonial de la France. À l’instar de la commémoration française de l’abolition de l’esclavage, qui a eu lieu, pour la première fois, le 10 mai dernier, encourageons un travail assidu d’exhumation de mémoire. Au nom du présent et de l’avenir. Continuons de rendre aussi hommage à la contribution des migrants à la construction de la nation française, contribution qui s’est faite parfois au prix de leurs vies.
Précisons que, tout comme les pratiques discriminatoires, les « trous de mémoire » relatifs aux rapports d’exploitation et de domination exercés par la France sont constitutifs, aujourd’hui, d’une violence symbolique à l’égard des descendants d’esclaves ou de colonisés.
Que dans les écoles, collèges, lycées et universités, s’organise un travail de réflexion sur cette mémoire – trop longtemps reléguée au silence –, ainsi que sur la question de « l’Autre » et du « vivre ensemble » dans le respect de la diversité. Engrangeons-y un travail de déconstruction des stéréotypes dévalorisants et hiérarchisants, où se mêleraient les voix de philosophes, historiens, anthropologues, sociologues, psychologues, artistes…
Car si nous entendons faire de cette France dite « des droits de l’Homme » un pays digne de ce nom, un pays peuplé d’individus responsables et plus matures, c’est sans doute justement là qu’il faut commencer : chez les adultes en devenir.
Souhaitons que certains hommes politiques citoyens français « issus de l’immigration » aient la clairvoyance de se joindre à cette réflexion-action collective.

Christine Tully-Sitchet est sociologue et journaliste à New York.///Article N° : 4492

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