» Je voudrais explorer, valoriser le patrimoine socio- culturel du Burundi à travers le cinéma et les arts audiovisuels ».

Entretien de Viviane Azarian avec Lydia Ngaruko, à propos de son film Bulaya qu'as-tu fait de mon enfant ?

Festival Vues d'Afrique, 22° journées du cinéma africain et créole, du 20 au 30 avril 2006, Montréal
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Le film aborde la question du métissage colonial au Burundi (Rwanda-Urundi) avant 1962, pendant la colonisation allemande puis belge et lève le voile sur le  » rapt  » des enfants métis issus de l’union entre des colons blancs et des femmes burundaises. Il met au jour un pan occulté du passé colonial en s’appuyant sur des témoignages oraux pour rétablir une vérité historique. Ce retour sur le passé est une invitation adressée aux sociétés ex-colonisatrices à pratiquer un réel travail de mémoire. Il permet également de libérer la parole des mères, ouvrant un véritable dialogue au sein de la société burundaise sur les questions identitaires. La réalisatrice privilégie aussi la parole de l’autre, le sens de l’écoute et la volonté d’être un relais.

Comment est née l’idée de faire ce film, d’une motivation, une implication personnelle ?
J’avais déjà réalisé des films institutionnels en Belgique et j’avais envie de filmer sur le Burundi, mon pays d’origine. Capter ce que les gens vivent, ressentent et l’exprimer à travers des images et des sons.
J’avais également deux stimuli : le film autobiographique de Georges Kamanayo (métis d’origine rwandaise), Kazungu, le métis et ma rencontre, en Belgique avec un ami de mon père, Evariste Nikolakis qui est métis d’origine burundaise. L’histoire d’Evariste m’a particulièrement touchée : il a été rapatrié en Belgique à l’âge de 13 ans avec sa petite sœur Hélène. Il fut séparé de sa mère mais aussi de ces deux frères qui, grands adolescents, refusèrent de partir.
Pourquoi avoir choisi la perspective de la douleur des mères ?
Je ne recherchais pas en somme la douleur, je dirais plutôt le ressenti de la mère, son vécu durant toutes ces années avec l’ombre de cet enfant en(volé) à Bulaya, l’occident, qui à l’époque des faits était un monde inaccessible pour l’Africain ordinaire, celui que les colonisateurs avaient l’habitude de qualifier d’indigène, de  » grand enfant « …
Qu’avez-vous pensé des questions du public pendant le débat, qui semblait vouloir approfondir l’aspect historique ?
Je ne suis pas historienne et je n’avais pas l’intention de mener une enquête historique. Mon but se limitait à donner la parole à la maman lésée, mais pour que son discours soit compréhensible, il fallait le situer dans le contexte socio-politique des années 60, dans le tourbillon des indépendances en Afrique.
J’ai voulu maintenir aussi une frustration, ne pas tout expliciter au spectateur, susciter chez lui l’envie d’en savoir plus, de s’interroger sur soi-même. Le choix de ne pas montrer des retrouvailles, c’est laisser l’histoire ouverte et souligner également cette cassure irrémédiable : retirer un enfant à sa mère par la force ou par la ruse.
Envisagez-vous une suite, si oui, selon quelle optique ? En particulier donner la parole aux enfants métis ?
Non, ma recherche s’arrête là. Je tends la main aux historiens, aux sociologues, aux anthropologues et bien d’autres…
Le documentaire semble construit en deux parties : dans la première, on n’entend pas la voix qui pose les questions, mais seulement les réponses. Dans la deuxième, on vous entend interviewer (en swahili ?). Pourquoi deux temps ? Est-ce que les premiers témoins sont des témoins extérieurs, moins impliqués que les seconds, qui semblent être des membres de la famille de métis ?
Les personnes interrogées dans la première partie du film sont de témoins critiques qui analysent la situation de manière raisonnée, sans a priori: le premier est un prêtre-anthropologue ; le second un commerçant grec, un boulanger pâtissier, sa profession l’a amenée à s’intégrer à la société burundaise, à nouer des contacts étroits avec sa clientèle : il représente en ce sens un point de vue impartial. La troisième personne interrogée est en fait un des grands hommes politiques burundais (le premier à avoir occupé le poste de ministre de l’intérieur du Burundi indépendant) : il représente le point de vue de l’Etat et l’on peut sentir son malaise, le fait qu’il n’ose pas accuser l’état belge bien qu’il sous-entende que cette dernière a orchestré le départ des enfants vers la Belgique.
Le rapt a bel et bien été organisé par les autorités belges, c’est une évidence, il n’est pas le fait d’une volonté personnelle. Sur sa motivation, je ne peux me prononcer. Comme Teno, je dirais que c’est  » un malentendu colonial « . Pourquoi ces enfants ont été arrachés à leur mère africaine pour être placés dans des familles chrétiennes aisées ? Peut-être les auteurs ont-ils cru bien faire ? Etait-ce pour eux une gigantesque BA (bonne action) ? Derrière cette action caritative, ne se profile-t-il pas une idéologie raciste édulcorée ?
Vous cherchez à dévoiler, mettre au jour les aspects occultés de l’histoire coloniale, que pensez-vous de cette occultation, pourquoi les pays ex-colonisateurs n’arrivent-ils toujours pas à pratiquer ce travail de mémoire ?
En ce qui concerne le « travail de mémoire », l’exemple de l’Allemagne est à mon avis, un modèle à suivre : permettre aux autres nations de traiter cette question, à la fois reconnaître / gérer (évacuer) leur culpabilité et avancer avec les autres.
A qui adressez-vous ce film en priorité, quelles réactions en attendez-vous ?
Au départ, j’ai voulu l’adresser aux Belges, aux mères en particulier, mais la souffrance d’une mère à qui on arrache son enfant est un sujet sensible pour tous. En fin de compte, c’est la « figure de la mère » que j’ai représentée.
A-t-il été projeté en Belgique, au Burundi, dans quels cadres ?
Il a été projeté au Burundi, nous avions invité des représentants du gouvernement, des hommes d’affaires, les décideurs… Ils n’étaient pas au courant de ce rapt, pour la plupart. Pendant le débat l’aspect révoltant de ce drame a été souligné par les femmes. Certaines ont eu du mal à croire que c’était vrai. Des métis présents à la projection ont confirmé les faits : c’est mon histoire, je fais partie de ces enfants de la nation, on m’a dit que ma maman m’a abandonné….
Quels sont vos projets ?
Ce film marque le début pour moi d’une carrière de « documentariste engagée » : je voudrais explorer ; valoriser le patrimoine socio-culturel du Burundi à travers le cinéma et les arts audiovisuels. Ainsi, aurais-je contribué à la reconstruction de mon pays d’origine.

///Article N° : 4569

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