entretien de Taina Tervonen avec Michèle Rakotoson

Juin 1998
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Romancière, scénariste et journaliste, Michèle Rakotoson passe sans problème du français au malgache dans ses écrits.  » C’est magique une langue, il faut en posséder plusieurs « , dit-elle, et revendique une mise en valeur de l’art de la traduction.

Vous vivez en France depuis 15 ans. Pourtant, vous écrivez toujours sur Madagascar. Que représente ce pays pour votre écriture ?
C’est vrai que quelque part je suis profondément malgache. Je suis issue des Hautes Terres. J’en suis partie quand j’avais 30 ans, et en fait, toute ma personnalité s’est forgée à Madagascar. Pour moi, l’écriture est une quête, et plus j’avance dans cette quête, plus je m’aperçois que le fond profond est autour de Madagascar. Surtout le travail du roman, que l’on mène seul. C’est un peu plus compliqué pour le théâtre qui est une écriture ouverte, où la sensibilité des autres, du metteur en scène, des acteurs… vient enrichir le texte.
Vous parlez de quête. Est-ce une quête de l’identité ou…
C’est tout. L’identité, c’est une rencontre entre une histoire collective, celle d’un pays, d’une région, d’une ville… et entre une histoire personnelle, individuelle qui découle de l’histoire collective. L’identité, c’est aussi quelque chose d’essentiellement mouvant. Je suis Malgache mais vivant à Paris, je suis aussi Parisienne. Il n’y a pas une identité facile !
Une identité qu’on ne définirait qu’en se confrontant aux autres…
J’en suis intimement persuadée. Je crois que mon grand traumatisme, ça a été l’enfermement à Madagascar. J’en ai terriblement souffert, comme beaucoup de gens de ma génération. C’est salutaire d’aller se confronter aux autres, même si on prend des coups. Dans tous les grands mythes d’initiation, le jeune héros décide à un moment de partir, de quitter le cocon.
Et qu’est-ce qui vous a décidée à partir ?
Pour moi, c’était une question de survie psychologique. Il y avait aussi des raisons politiques. Mais, avec le recul, je m’aperçois qu’en fait, je n’avais qu’une envie, c’était de partir. Je n’avais pas le courage de partir sans raisons donc je me suis donné des raisons.
Vous écrivez des textes dans les deux langues : en français et en malgache.
Depuis que je suis en France, j’écris directement en français. Quand j’étais à Madagascar, j’écrivais dans les deux langues. J’ai écrit en français par révolte contre la malgachisation. Telle qu’elle a été faite à Madagascar, ça a été une très mauvaise chose, à la limite une malgachisation fascisante, de prise de pouvoir. Il y avait dans la malgachisation une ouverture possible à la culture malgache qui est une culture très riche ; il y avait des moyens à donner aux artistes malgaches pour qu’ils sortent leur identité, mais rien de tout ça n’a été fait. Ce n’était que des slogans.
En quoi consistait cette malgachisation ?
Le système scolaire a été changé, tout l’enseignement était fait en malgache. Ce qui a priori est une bonne chose, mais qui a été extrêmement mal faite. Personne n’a pensé aux coûts… Toute une génération s’est retrouvée sans livres, sans bibliothèques, sans réels outils de réflexion. Maintenant, ils remplacent la catastrophe par une autre : du jour au lendemain, ils décident qu’ils vont tout faire en français, alors qu’il n’y a plus de professeurs capables de parler cette langue.
Êtes-vous contre le discours qui soutient un retour vers les langues africaines comme langues de la littérature ?
Ma position est plus nuancée. La malgachisation, il fallait la faire, mais pas comme elle a été faite. Quand j’entends les grands chantres de l’africanisation, je dis toujours  » attention où vous mettez les pieds  » ! Posez d’abord les conditions de l’africanisation : les livres, les maisons d’édition, la formation des enseignants… Que ceux qui hurlent pour l’africanisation se disent aussi qu’ils ont eu l’avantage de parler le français, qu’ils ne retirent pas cet avantage à d’autres. Il faut africaniser mais il ne faut pas que ce soit un enfermement. Il faut se poser des questions avec des économistes, des psychologues, des auteurs, se donner petit à petit tous les moyens. Une des raisons de ce qui se passe en Algérie actuellement, c’est qu’il y a eu toute une génération de jeunes arabisants qui se sont retrouvés éjectés du système !
Comment vivez-vous vos deux langues en tant qu’écrivain ?
Jusqu’à présent c’était très simple pour moi, je n’ai pas eu de problème de déchirement de langues. Par contre, je m’aperçois que j’ai une frontière très nette : le français, c’est ma langue de grande communication, ma langue de bagarre. En fait, quand j’écris en français, j’avance masquée, je peux dire tout. Mais dès que je commence à écrire en malgache, tout mon affect étant dans cette langue, je tombe sur des tabous. Je me suis aperçue que des textes anodins en français ne passent pas en malgache. Ils sont extrêmement violents.
Le français vous donne donc une plus grande liberté.
Oui, mais en même temps, c’est une liberté qui a ses limites, parce que le fondement c’est quand même le malgache. Dans Henoÿ, je commence à atteindre le noyau central, le rapport à la mort, au sacré, à la vie, et là, c’est un rythme en malgache qui vient. Aujourd’hui, je m’aperçois que de plus en plus les textes viennent en malgache.
Qu’est-ce qui détermine que le texte sera en français ou en malgache ?
Je ne sais pas quoi vous dire…Il y a des histoires dont je sais que ça sera un roman, et il y a des textes qui sont des voix, des sons, des lumières et ça, ça va être du théâtre. Je pense qu’à un moment donné, le français c’était la langue de la facilité parce qu’en français je pouvais me faire éditer. C’était aussi la langue de la rencontre – au-delà de tous les délires francophones… En fait, quelque part, il y a un faux problème : si vous avez un bon traducteur, vous pouvez écrire dans la langue que vous voulez. Il faudrait que les auteurs puissent écrire dans la langue ou les langues qui sont les leurs, mais il faudrait développer l’art de la traduction.

///Article N° : 458

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