Lorna de Smidt: parcours d’une activiste sud-africaine, du Cap à Londres

Print Friendly, PDF & Email

Exilée depuis vingt-huit ans en Angleterre, Lorna de Smidt fait partie des Sud-Africains qui ont fui l’Apartheid après les émeutes de Soweto en 1976. Femme de culture, elle a beaucoup œuvré pour faciliter les échanges culturels au sein de la communauté sud-africaine exilée. Héroïne de l’ombre, ses convictions politiques lui ont coûté sa part de sacrifices. Parcours d’une femme dont émane aujourd’hui encore un très fort charisme.

Née en 1943 de parents métis, Lorna de Smidt a grandi dans la région du Cap, en Afrique du Sud. Elle fait preuve très jeune d’une soif de savoir, commence l’école primaire à quatre ans, et plus tard, dévore les livres qu’elle emprunte à la bibliothèque locale. « J’étais obsédée par les livres, d’une curiosité insatiable. Je posai des questions et exigeai des réponses satisfaisantes », dit-elle dans une interview avec Marie-Noëlle Anderson (1).
L’Apartheid, elle le découvre le jour où, distribuant des tracts du parti libéral auquel est inscrit son père, elle apprend que les Africains n’ont pas le droit de vote. Cette injustice la marque profondément et justifie sans doute ses choix littéraires, notamment son intérêt pour la Seconde Guerre mondiale et les camps de concentration. Elle fait très vite le parallèle entre l’Allemagne que décrit Anne Frank dans son Journal et la situation sud-africaine.
Elle obtient son diplôme d’institutrice vers 1960 et enseigne pendant un an avant de se sentir limitée par un système éducatif l’empêchant d’exprimer ses idées et
« de jouer un rôle actif et constructif dans sa communauté. » (2). Elle quitte alors son poste et prend la clé des champs, pleine de rêves et d’ambitions.
Mais l’innocence prend fin avec la naissance de son premier fils, né d’une liaison avec un musicien. Lorna retourne chez ses parents pendant trois ans, puis reprend le travail. C’est alors qu’elle rencontre un médecin indien qu’elle épousera. Cependant, la sécurité financière ne lui épargnera pas le mépris d’un entourage qui la tolère, elle la métisse du Cap, uniquement par son statut de femme mariée. L’union du couple se détériore. Rien, pas même la naissance de leurs jumeaux, ne réussira à sauver leur mariage. Elle quitte le domicile conjugual avec ses trois enfants. Après un séjour d’un an chez sa mère, Lorna de Smidt s’installe au Cap. D’un commun accord, la garde des jumeaux est confiée à leur père, avec droit de visite. Mais celui-ci s’attachera à briser les liens entre la mère et ses fils.
Fichée comme ennemie publique de l’État sud-africain
Lorna enseigne au Cap lorsqu’éclatent les émeutes de Soweto. Les étudiants noirs refusent un enseignement dispensé en Afrikaans, langue de l’oppresseur, ne leur offrant qu’avilissement et asservissement en guise de bagage intellectuel et débouché professionnel. Le soulèvement se répand jusqu’aux townships du Cap et Lorna en fait un récit publié en Angleterre dans le Guardian sous un pseudonyme (3).
Alors que se creuse une fracture entre les enseignants en faveur du gouvernement et ceux qui s’y opposent, les élèves de son école décident de montrer leur solidarité envers les étudiants de Soweto. Un jour de juin, ils se rendent à Athlone, un quartier du Cap, pour manifester pacifiquement. Dispersés de force par la police, ils ripostent avec des pierres. La manifestation tourne à l’affrontement violent. Lorna en réchappe indemne mais apprend que certains élèves ont été arrêtés. Le directeur de l’établissement s’étant défilé, c’est à elle que revient la tâche de les faire libérer. Elle plaide leur innocence, dénonçant au passage la violence policière. Ses élèves sont finalement relâchés.
Le lendemain, la tension entre élèves et enseignants monte. Devant le centre de formation des instituteurs, élèves et policiers se font face. Lorna tente de s’assurer que la police ne fera pas usage de la violence. Les manifestants battent en retrait mais sont rejoints en chemin par des centaines d’autres. Malgré la marche pacifique, la brigade antiémeute charge les étudiants à deux reprises avant de lancer des gaz lacrymogènes. La police frappe toutes les personnes n’ayant pas la peau blanche. Elle justifiera ses actes par l’agitation qui règnait.
Cette fois encore, Lorna s’en sort. Mais sa participation aux manifestations, ses prises de position en font une des cibles de la special branch. Elle est arrêtée et emprisonnée pendant quatre mois. À sa sortie, on l’informe qu’elle figure sur la liste d’une autre vague d’arrestations préventives. C’est à cette période qu’elle rencontre son futur époux, Graham de Smidt, un Sud-Africain blanc qui refuse d’aller faire la guerre en Namibie au nom d’un pays et d’une idéologie racistes.
Leur mariage violant l’Immorality Act, loi interdisant les unions mixtes, en fait des hors-la-loi. Lorna étant sans travail, fichée comme ennemie publique, et Graham objecteur de conscience : la prison les guette. Cette perspective ne leur laisse d’autre choix que de quitter leur pays. Une décision d’autant plus difficile pour Lorna qu’elle doit dire adieu à ses jumeaux.
Une nouvelle vie commence
Après un certain nombre de complications, son premier fils embarque seul pour Londres, via le Luxembourg. Graham et Lorna, sans passeport, recherchés par la police, franchissent la frontière du Botswana après une marche de quatre heures dans la brousse. Ils se rendent auprès de la police pour demander l’asile politique. On les dirige vers le Conseil chrétien du Botswana qui les prend en charge (4). Après six mois de lenteur administrative, sans domicile fixe et avec à peine de quoi manger, ils sont admis au Royaume-Uni. Ils arrivent à Londres en février 1978, trois mois avant la naissance de leur fille. Les premiers temps sont durs mais, petit à petit, les de Smidt se construisent une nouvelle vie.
Aujourd’hui, Graham est formateur d’enseignants à l’Université de Lewisham (Londres). Leur fille est diplômée en psychologie. Quant à Lorna, elle a repris contact avec ses jumeaux à la fin de l’Apartheid. Entre 2000 et 2005, elle était responsable du projet de restauration de la South Africa House, l’Ambassade d’Afrique du Sud à Trafalgar Square. Pour que celle-ci, à travers les œuvres d’artistes contemporains, soit à l’image de la nouvelle Afrique du Sud, et représente son peuple dans toute sa diversité.

1. M.-N. Anderson, Couleurs d’Exil, Dole, Saint-Imier, Canevas Éditeur et Lausanne, Éditions de l’Aire, 1992, pp. 109-126. Ouvrage dont sont tirés ces premiers éléments biographiques.
2. Id., p. 114.
3. Joanna, « A grim lesson in contemporary history », The Guardian 7-12-1976, in A. Harris et al (eds.), The child is not dead. Youth resistance in South Africa, 1976-86, Londres, British Defence and Aid Fund for Southern Africa et Inner London Education Authority, 1986, p. 14.
4. Lorna de Smidt, « Home is not where the bed is… », Genève, Genève-Afrique, vol. XX, n. 1, 1982, pp. 39-47.
///Article N° : 4616

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire