Niamey : entre le dromadaire et la girafe

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Quelques grains de sable m’ont accueillie en coup de vent une heure après mon arrivée à l’aéroport de Niamey. Et voilà que je ramène sur ma peau des regards d’enfants, des images de dromadaires à pas lents, le jaune et le vert des mangues qui sont un véritable régal pour les yeux. Et, comme pour couronner le tout, un animal nommé girafe, grandeur nature, que j’ai croisé dans une réserve. Ma mémoire a été fortement impressionnée par cette histoire entendue entre deux mots : une pierre qui rend la justice…
Dans ce pays, la sécheresse n’est pas un mot. Elle fait partie du temps quotidien. Elle en donne le ton et la couleur locale. La vie s’organise autour d’elle. Elle est le temps qui ne passe pas même en saison des pluies. Et les pluies balaient le ciel ces jours-ci. Mais les rues de Niamey ne dorment pas dans le lit des eaux boueuses, comme du côté de la mer où l’humidité de l’air et la moiteur de la forêt conjuguent leurs efforts pour faire pleurer le ciel pendant des nuits et des soleils. Ici, la terre asséchée par le vent a faim et soif. En un clin d’œil, elle avale toute l’eau du ciel qui a eu un mal fou à se frayer un chemin parmi les nuages de poussières suspendues entre ciel et sol. Par moments, les rayons du soleil ne font pas la ronde. Ils tombent dru sur le crâne de tous les habitants de cette terre nue. Voilà pourquoi une halte à l’ombre d’un neem ou d’un caïlcédrat, arbres rois de la ville, garde toute sa sagesse.
Ici, l’ombre qui se dessine dans la rue sous le soleil de midi vaut tout l’or du monde rassemblé en un lieu.
Mais je me demande quelle forme peut avoir le monde dans l’esprit d’un dromadaire. Ceux de Niamey, je les vois tous les matins, de ma fenêtre, descendre vers la ville. Ils traversent le pont. Ils passent devant le Musée de l’homme qui est aussi celui de l’animal, de la plante et du minéral. Ce Musée garde des âmes et des esprits vivants. Les animaux et les oiseaux qui vivent ici pourraient en témoigner : lions, hyènes, hippopotames, perroquets, donnent un air de fête permanente à cet espace ouvert. Tous les jours, des dromadaires passent devant la grille du Musée et je parie qu’ils ont envie de faire un tour parmi ces bâtisses habillées de bleu et de blanc, aux murs finement décorés. Ce Musée abrite aussi des artisans : tisserands, bijoutiers, tanneurs, sculpteurs, potiers…
C’est dans ce décor que l’atelier d’écriture a eu lieu. Je me rappelle cette dizaine de paires d’yeux qui, le premier jour, scrutaient tous mes gestes. Et le titre du texte à écrire ensemble en dit long sur leur vision du monde : « regards d’enfants ». Ces jeunes gens ont entre vingt et trente ans. Certains d’entre eux ont participé à l’atelier d’écriture dirigé par Boubacar Boris Diop et Hélène Bezençon en octobre 97 à Bamako. Ils sont fiers d’avoir été publiés dans ce recueil qui vient de paraître à Dakar : « Saison d’amour et de colère ». Ils y croient à l’écriture. Ils ont abandonné leurs occupations habituelles pour être là, tous les jours, pendant des heures. Ils viennent faire la paix avec leurs propres convictions. Ils ont envie de dire non pas tout ce qui leur passe par la tête mais bien ce qui doit être dit : la guerre, la militarisation du monde, l’amour et la mort, la solitude des plus démunis. Ce qui doit être réclamé : la paix, la rencontre, l’amitié. Voir le monde de leurs propres yeux et en rire ou en pleurer.
Le plus jeune du groupe, étudiant en Sciences Physiques a mis en scène l’atelier d’écriture. Il raconte comment l’atelier a failli tourner au drame par la faute d’un explosif. Tous les personnages du décor jouent leur propre rôle y compris les animaux qui nous tiennent compagnie à longueur de journée. Un autre nous raconte l’histoire d’un voleur qui a peur d’une poupée. Il y a aussi l’histoire du militaire mégalomane, celle d’un roi du cercueil, celle d’un fiancé qui doit sauver son honneur bafoué, celle d’un archéologue perdu dans une oasis, celle d’un jeune marié qui meurt sans dire adieu à sa bien-aimée… Et puis ce texte collectif « regards d’enfants » qui montre que l’imagination est la reine du paysage. Mais où sont donc les éditeurs dans ce pays ?
Cette table ronde un soir, sur l’édition, avait de quoi agacer plus d’un auteur. Dans cette affaire, l’argent et la rentabilité gouvernent le monde. Mais les auteurs, forts de leurs convictions, n’ont pas tort… jamais !
Je me rappelle la chaleur des regards dans un lycée de ville. La curiosité est une leçon de vie pour ces jeunes. Là, j’ai croisé une de mes anciennes étudiantes devenue professeur de philosophie…
Je me rappelle aussi cette conférence sur la poésie à l’Université. Qui l’eût cru ? Le public était nombreux dans cet amphi. J’en ai été étonnée. Ici, on cherche le sens de la poésie. La poésie n’est pas cette récitation qui s’impose comme un devoir, mais la parole primordiale, parole essentielle, celle qui dit la vie et la mort, l’amour et la solitude. Et cette autre table ronde sur la lecture, au Centre Culturel Franco-Nigérien. Là je revois Antoinette Tidjani déballer un sac de voyage plein de livres. Toute sorte de lecture pourrait nourrir le lecteur. Elle en donne la preuve par l’exemple. Et le public écarquille des yeux. Il se demande quel peut être le sens de la lecture plaisir. Et Boubacar Boris Diop assis à côté d’elle fait un sourire en coin. Il s’apprête à lancer une boutade qui pourrait ruiner la preuve par l’exemple…
Pendant ce temps, dans la ville, quelques dromadaires, vieillis, suivent le sens de leur destin. Je les ai rencontrés une après-midi, près du Centre Culturel Oumarou Ganda. Ils marchent en troupeau. Un homme les conduits à l’abattoir. Ils sont marqués au fer bleu. Chiffrés de 7 à 77.
Puis un dimanche, nous avons emprunté la route qui mène vers le Nigeria. Ici, les arbres sont clairsemés. Nous passons d’un animal remarquable à l’autre : du dromadaire à la girafe. Entre les deux géants, il y a des kilomètres à parcourir. La route est droite et l’horizon à peine vallonné. Terre latéritique, terre ocre, huttes et hameaux. Greniers sur pilotis. Quelques termitières çà et là. Le « gao » parle de l’histoire de cette région. C’est un arbre qui vit à contre saison. Il perd ses feuilles pendant la saison des pluies et verdit, comme pour narguer la sécheresse, en saison sèche. Le chauffeur qui nous guide sur la route de l’animal nous raconte l’histoire de la pierre qui parle et dénonce les malfaiteurs. Cette histoire fertilise mon imagination. Je ne sais sous quelle forme la pierre enfantera d’autres histoires dans mon esprit.
Ici, des enfants ont compris que la route vers la girafe est une mine d’or. Ils creusent des trous dans la chaussée. Ils passent leur temps à les remplir de sable. Ils attendent que les automobilistes, voyant ce labeur désintéressé, leur jettent quelques pièces de monnaie. Nous atteignons un carrefour. Sur une pancarte, il est écrit : « Venez nous voir, nous sommes les dernières girafes de l’Afrique de l’Ouest. Nous vivons à une centaine de kilomètres de Niamey en direction de Dosso. (la suite du texte est écrite en rouge)…pour nous observer, prenez un guide. Tarif visite : 5000 F ».
Avec un guide debout à l’arrière de la 4+4 sans capot, nous bifurquons à gauche. Le guide devient le vrai chauffeur qui nous conduit à travers les buissons clairsemés ou sur la terre nue. Nous apercevons les girafes. Nous abandonnons la voiture. Nous faisons le reste du chemin à pied. Animal majestueux. Dieu a sculpté son visage comme une statue de bronze. Il lui a donné un corps d’athlète tatoué de fauve. L’animal est si paisible qu’il pourrait nous donner des leçons de quiétude. Cette quiétude qu’il répand, par les yeux, tout autour de lui.
Sur le chemin du retour à Niamey, le silence règne dans la voiture. L’animal nous aide à méditer et à mieux voir nos faiblesses. Mais les humains qui vivent ici passent leur vie à lutter. Contre la sécheresse. Contre le temps. Je vois le lit du fleuve Niger et je mesure l’âpreté de la lutte pour l’eau. Quand le chauffeur nous raconte l’histoire de ce quartier situé près de l’aéroport, je mesure toute la difficulté à avoir un toit. L’homme de la rue a dû forcer la main du politique pour avoir le droit de construire sur cette parcelle de terre où il vit aujourd’hui avec ses chèvres et ses moutons. Oui, ici, l’animal domestique est un vrai trésor que l’on garde près de soi, tout le reste n’est que du luxe… comme l’électricité fournie en grande partie par le Nigeria voisin. Comme les mangues dont les plus juteuses sont importées du Burkina Faso…

///Article N° : 521

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