Une danseuse qui ose faire rire

Entretien d'Ayoko Menash avec Julie Dossavi

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Née en France, en 1968, Julie Dossavi, d’origine béninoise, propose une danse urbaine qui échappe aux étiquettes. On y retrouve aussi bien du contemporain et du hip-hop qu’une gestuelle africaine. Avec le chorégraphe Gérard Gourdot, Julie Dossavi a créé la compagnie Les Géographes.

Quel rôle donnez-vous à l’humour dans votre travail ?
L’humour, c’est vital dans ma vie de tous les jours. Pour moi, c’est évident d’en mettre dans mon expression. Tout d’abord, j’aime me faire rire lorsque je danse ; lorsqu’en studio, je cherche un mouvement devant la glace… Ensuite, j’aime faire rire le public. C’est une manière de l’attirer plus vite dans mon univers. Les gens se détendent, se relâchent, deviennent plus ouverts… Quand je les entends rire, je me donne encore plus… ça me fait chaud au cœur !
Comment traduisez-vous votre humour par la danse ?
J’adore imiter les gens. Dans Go, j’imite des proches – mes parents, mes frères, un ancien copain – ou des personnes croisées dans la rue et qui m’ont frappée. Je ne garde que les côtés drôles de leurs attitudes. J’aime aussi faire des grimaces, marcher ou danser n’importe comment.
L’humour que je veux transmettre doit passer dans tout mon corps : du bout des pieds au sommet du crâne. Il ne doit pas s’arrêter au cou : il doit transparaître jusque dans mon visage. Beaucoup de personnes, lorsqu’elles dansent, séparent leur corps en deux parties. Cela leur donne une certaine froideur que je regrette. Quelles que soient les émotions que l’on veut transmettre, elles doivent monter jusqu’au sommet du crâne.
Sur scène, vous sentez-vous libre de faire rire comme vous en avez envie ? L’image conventionnelle de la danseuse vous limite-t-elle ?
J’ai envie de montrer plusieurs facettes de moi. Nous sommes tous multiples : quelqu’un de beau peut être laid et vice versa. Je ne m’interdis aucune grimace. C’est vrai que le cliché de la belle et inaccessible danseuse reste vivace, mais je ne m’en préoccupe pas. Finalement, encore assez peu de danseuses osent faire rire. Peut-être la peur qu’on ne les trouve plus assez féminines….
Dans vos spectacles, le public rit-il aux moments où vous l’avez prévu ?
Vers la fin de mon solo Go, il y a une séquence que j’appelle  » le gang des amazones « . Elles sont cinq : la timide, la bêcheuse, la méchante, l’hilare et la terrible. Tour à tour je passe quelques secondes dans le corps de chacune d’elle. Quand j’ai travaillé ce passage, je me demandais si les gens allaient rire. Gérard me répondait :  » Ce n’est pas le problème, l’important c’est la manière dont tu vas les amener dans ce voyage-là.  » C’est vrai, les gens ne comprennent pas tout de suite que je joue différents personnages. A chaque fois que je danse cette séquence, j’ai le cœur qui bat : je me demande comment le public va réagir. Au départ, il est décontenancé : il ne comprend pas… Les rires commencent à fuser seulement à partir de la troisième ou de la quatrième amazone. C’est là que je me suis aperçue qu’il n’est pas facile de faire rire les gens par la danse. Chacun comprend la scène à sa manière. Il faut à la fois garder cette ouverture et savoir transmettre au public son univers.

///Article N° : 527

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