Fama

D'après Ahmadou Kourouma

Texte et mise en scène : Koffi Kwahulé
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L’épopée tragique d’un antihéros
Un rectangle de latérite, un liseret bleu sur un côté du rectangle au lointain. La terre d’Afrique et l’eau du voyage. Pas de décor, mais une scénographie épurée qui convoque un espace sacré, l’espace du rituel et de la lutte où s’est écrite l’Histoire d’un continent. Apparaissent dans le fond, l’une après l’autre les figures mythiques de l’Afrique légendaire ; leurs costumes rouges et ocres et l’opacité des lumières renforcent l’impression qu’ils émanent de la terre. Puis traverse le choeur, tout de blanc vêtu, deux jeunes femmes et l’Ancêtre, une très vieille comédienne, Bernadette Oulaï qui incarne le Coryphée.
Comment traduire le monde de cette Afrique précoloniale et son identité même rêvée et légendaire avec les mots du peuple colonisateur ? Aussi, afin de restituer le paysage sonore de l’Afrique ancestrale, afin de ne pas laisser l’histoire filtrer seulement par le tamis linguistique de la culture d’adoption, Koffi Kwahulé a convoqué sur le plateau, à côté du français, les langues maternelles respectives de chaque comédien : malinké, guéré, bété, dioula, baoulé, peul…. notamment dans les chants et les polyphonies. C’est ainsi que le Coryphée qui entre en traversant en diagonal le plateau chante en guéré la déploration de Fama, avant que ne commence l’histoire. Et à côté de ces paysages sonores de l’Afrique que peignent une flûte peul, un timbo, un bâton de pluie et bien sûr les chants et les voix, se profile aussi l’ombre de la conquête occidentale à travers les accents espagnols du Concerto Héroïco de Joachim Rodrigo et la prière incantatoire et solitaire de Fadarba, le conquérant.
Mais si nous remontons aux temps précoloniaux, c’est pour mieux comprendre l’Afrique des temps présents. A travers le destin de Fama, ce héros tragique que Koffi Kwahulé a tiré des romans d’Ahmadou Kourouma en tissant les unes aux autres les histoires des Soleils des indépendances et celles de Monnè, outrages et défis., ce sont les trois étapes de l’histoire récente de l’Afrique qui s’accomplissent.  » Trois rendez-vous manqués de ce continent avec son Histoire  » selon Koffi Kwahulé : la rencontre avec l’Occident, les indépendances et leur lot de désenchantements, les aspirations démocratiques et leurs faces cachées ubuesques.
L’aventure de Fama est une épopée tragique, mais l’épopée d’un antihéros. Koffi Kwahulé ne cède pas aux séductions passéistes que pourrait dicter la nostalgie. Les temps mythiques de l’Afrique précoloniale n’ont pas le lustre qu’on leur attribue souvent par sublimation d’un passé originel perdu. L’explosion de joie des indépendances tourne brutalement au déchirement : le drapeau se décompose et laisse place à un cadavre qui s’écroule. Le pouvoir politique qui fait suite et prétend défendre la démocratie prend l’allure d’une pantalonnade. Madame le ministre et ses conseillers sont de drôles de clowns autistes, l’un garde l’oreille collée à un poste de radio, l’autre remonte fébrilement un gros réveil à timbres, le troisième observe frénétiquement le mécanisme d’une boîte à musique, et le dernier, c’est une femme qui joue les Mata Hari de carnaval, tirant sur tout ce qui bouge avec un jouet. Quant à Madame le ministre elle ressemble à une espèce de bonbon acidulé, monté sur ressort, emballé de rouge et de vert fluo.
La mise en scène installe systématiquement une distance ironique et ne cède jamais à la grandiloquence. Pas de mur monumental pour figurer la muraille que fait construire Djigui contre l’arrivée de la Chose, pas de palais ou d’édifice qui déploie la présence du colonisateur, pas de ville en liesse au moment de l’indépendance, pas de plage, pas d’océan où Fama se noie. La mise en scène repose avant tout sur la ressource des corps et des voix et le pouvoir d’expression de certaines images violentes ou poétiques. Ce sont les comédiens qui font un rempart de leur corps, l’épée que plante dans le sol Fadarba à l’avant de la scène métamorphose le rectangle de terre en tombeau, un drapeau géant avec lequel dansent en tournant les comédiens suffit à exprimer l’exaltation générale, une simple toile bleue qu’ils manipulent devient cet océan qui engloutit Fama. Et ce bleu, c’est la couleur qu’aura porté le personnage tout au long de son histoire. Guerrier au début de la pièce, mendiant après les indépendances, puis roi du Dougou après la mort de Lacina et enfin prisonnier politique, Fama est toujours drapé de bleu, le bleu du rêve impossible, de cet idéal auquel l’Afrique moderne est contrainte de renoncer.
Un spectacle de couleurs, de rythmes et de voix dont l’acteur est le centre et l’Afrique le théâtre.

D’après Ahmadou Kourouma
Compagnie Ymako Teatri
Texte et mise en scène : Koffi Kwahulé
avec Vaber Douhouré, Claude Gnakouri, Luis Marquès, Dji Nésséré, Nathalie Atou Ekaré, Bernadette Oulaï Taha, Allassane Touré, Clémentine Papouet, Mathurin Nahounou, Mouna N’Diaye, Koffi Kwahulé, Diakité Satigouma, Rahima Koné.
Scénographie et costumes : Claude Goyette
Création lumières : Daniel Guillemant
Musiques : Diakité Satignouma et Rahima Koné
Régie : William Brou///Article N° : 545

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Les images de l'article
Fama © Alain Chambaretaud





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